Le poison Dieudonné
On savait Dieudonné antisémite, on ne le savait pas encore à quel point sa haine des juifs pouvait aller. Lors de son dernier Zénith, Dieudonné a franchi le Rubicon qui sépare les hommes dignes de ceux qui ne le sont pas. En invitant carrément sur scène un véritable revenant de 80 ans, et en le faisant applaudir longuement, Dieudonné s’est présenté comme étant bel et bien ouvertement négationniste. La question ne se pose même plus donc de savoir s’il faut bannir Dieudonné du monde du spectacle : il vient de le faire lui-même en prêtant allégeance à une théorie qui nie des faits, grâce aux dires et aux ragots d’ un véritable faussaire de l’histoire, comme l’avait si bien dit Robert Badinter. En faisant applaudir sur scène ce vendredi 26 décembre, Robert Faurisson, plusieurs fois condamnés pour déni de crime contre l’humanité, Dieudonné s’est en effet mis hors-la-loi. Celle qui protège l’être humain contre lui-même, celle qui empêche les crimes de se reproduire. Pour Faurisson, les chambres à gaz n’ont jamais existé : pour Dieudonné et ce soir là pour 5 000 personnes en France également, doit-on en conclure. Faut-il voir dans la présence de Jean-Marie Le Pen dans la salle, de sa femme et d’une de ses fllles, Marie-Caroline, un lien de cause à effet ? Le Pen a lui aussi à plusieurs reprises affirmé son goût pour la théorie faurissonienne. Lui aussi a été condamné pour avoir tenté d’en faire un simple détail de l’histoire de la seconde guerre mondiale.
Si Dieudonné avait été intelligent, au lieu de se poser en admirateur des thèses des zélateurs d’Hitler, il aurait lu des écrivains qui ont donné un éclairage parfois assez saisissant sur l’extermination des juifs, notamment sur l’usage du Zyklon B (de l’acide cyanhydrique), le gaz asphyxiant utilisé pour tuer les prisonniers à Dachau ou à Buchenwald, par lots entiers. La solution finale à l’économie, le Zyklon B revenant moins cher qu’un peloton d’éxécution et que des rafales de mitraillettes. Car les nazis avaient des âmes de comptable, et c’est d’ailleurs grâce à ça qu’aujourd’hui il est impossible de nier l’existence des chambres et le nombre de morts, à moins de falsifier ces comptes morbides, ce que les négationnistes passent leur temps à faire comme l’ont démontré à plusieurs reprises des historiens chevronnés.
Si Dieudonné, au lieu d’écouter les vieilles sirènes fêlées avait lu Didier Daeninckx, il serait aperçu d’une chose assez extraordinaire. Le gaz qui a été utilisé par les nazis pour exterminer les juifs avait été aussi fabriqué... en France. Chez Ugine (Ugine-Kuhlman), à Villers-Saint-Sépulcre, dans l’Oise, près de Beauvais. En mars 44, l’usine allemande de IG Farben ayant été totalement détruite par un bombardement, c’est le gaz produit à Beauvais qui avait donc servi en priorité. On trouvait sur place les étiquettes de Zyklon B rédigées en français et en allemand. Un ingénieur de l’usine, François Copié, avait eu le réflexe d’en garder des exemplaires avant de prendre le maquis en 1942. Selon lui, d’énormes quantités de Zyklon B avaient été produites et acheminées de toute urgence à la fin de la guerre à Auschwitz. L’usine, avant guerre, produisait une seule tonne de Zyklon B, et 22 tonnes en février 1944, puis 37 tonnes en juin 1944 !!! Sans lui on ne l’aurait jamais su. Tout cela, Dieudonné l’ignore sans doute : quand on a épousé les thèses de Faurisson, cela signifie que l’on ne se soucie plus beaucoup de vérité historique. Ou que l’on ressorte les phrases de 1978 de Darquier de Pellepoix sur ce qu’on a tué à Dachau : "des poux et des parasites". Sur les bons de commande d’Ugine, il était spécifié à propos du Zyklon B : "Pour travaux de destruction de parasites (puces, vermine, etc.) effectués sur réquisition allemande dans les casernes ou campements occupés par des troupes allemandes et travailleurs français et étrangers". Parasites... comme on voit que certains ici osent encore récemment utiliser le terme à propos de policiticiens français... A noter que le patron (juif) de l’usine Ugine-Kuhlman de Saint-Sépulcre, Raymond Berr, fut le 14 octobre 1940 démis de ses fonctions... et déporté à Auschwitz, où il fut gazé. Son histoire est l’objet d’un livre admirable rédigé par sa fille, Hélène, qui mourra elle aussi quelques jours avant l’arrivée des alliés à Bergen-Belsen, où elle avait été elle aussi déportée. Hélène Berr est l’autre Anne Frank, tout simplement. Un livre à recommander, que ne doivent avoir lu ni Dieudonné ni Faurisson ... et encore moins les 5000 spectateurs du Zénith.
Car en France, la pensée faurissienne est entretenue comme fleurs au cimetière par certains, comme en Italie d’ailleurs, par essentiellement les partisans d’un pouvoir fort. Berlusconi là-dessus à en effet aussi quelque chose à dire : n’avait-il pas dit un jour à un député européen "qu’en Italie, un producteur prépare un film sur les camps de concentration. Je vous recommande pour un rôle de ’kapo’ " qui est resté tout aussi célèbre ? Chez Berlusconi, on a le droit de faire de la Shoah un sujet d’amusement... Chez les racistes, on se permet tout en effet. Une théorie que semble partager un autre personnage qui a fait lui aussi la une des journaux voici quelques semaines. Dans un autre pays : la Belgique, où subsiste on vous l’a déjà dit un bon nombre de nostalgiques d’un dénommé Degrelle, qui se prenait pour le fils adoptif d’Hitler, pas moins. Il s’appelle Michel Delacroix, et il est le leader en Belgique du Front National, en compagnie de Luc Van Keerbergen, le conseiller du Vlaams Belang de la ville de Machelen. Les deux individus ont été filmés lors de ce qui s’avère être une réunion familiale en train de chanter une bluette connue. Vous vous dites que vous ne voyez pas le rapport, et j’entends déjà des voix me dire "tout le monde a le droit de chanter dans son jardin". Certes, mais l’homme a de hautes responsabilités politiques, et voilà ce qu’il fredonne, avec un sourire évident et une gaieté non feinte. Accrochez-vous, c’est assez abject. Sur le thème d’une chanson bien connue (de Guy Béart), notre homme chantonne en effet ceci : "Ma petite Juive est à Dachau, Elle est dans la chaux vive. Elle a quitté son ghetto, Pour être brûlée vive." Je vous avais prévenu, voilà ce qu’un individu en 2008 est encore capable de dire, au beau milieu d’amis et de la famille, avec des enfants tout autour : c’est l’un d’entre eux qui tient la caméra, visiblement !!! L’horreur familiale ? Le négationnisme banalisé dans les réunions de famille ? A partir de là, me direz-vous, de faire de Faurisson le héros d’un spectacle de fin d’année au Zénith s’explique !! A quand Faurisson aux Folies-Bergère, à ce rythme ? Ou une comédie musicale sur Léon Degrelle ?
Delacroix, il est vrai a de qui tenir "Michel Delacroix ne cache pas son intérêt pour le nazisme ainsi que son ancienne sympathie pour Léon Degrelle, fondateur du rexisme qu’il a pu rencontrer plusieurs fois avant son décès" dit-on ailleurs. Tiens, encore un, à croire qu’on s’est littéralement bousculé en Espagne juste avant la mort du nazi belge. L’homme est un vieux de la vieille des mouvements néo-nazis, au point que chez lui on peut facilement retirer le vocable néo : "En 1994, lors d’une perquisition, on a retrouvé chez lui un véritable arsenal guerrier ainsi que de nombreux documents montrant l’intérêt du personnage pour l’extrême-droite, tels que des livres révisionnistes. Suite à ces perquisitions, Michel Delacroix a été condamné en 1999 à un an de prison avec sursis". Et politiquement, il n’est bien entendu pas inactif, et possède un électorat qui le soutien : "Le 10 juin 2007, il a été réélu directement. En tant que sénateur, il a déposé, avec Francis Detraux, une proposition de loi sur la nationalité, basée sur le droit du sang (jus sanguinis)". Ah tiens, le révisionnisme et le racisme ne feraient qu’un ?
Il y a de quoi frémir, il y a de quoi trembler, dans cette Belgique rongée par le spectre de Degrelle qui n’en finit pas de ressurgir et à cette France où 5 000 personnes applaudissent un Faurisson. Le sénateur belge, qui est non-voyant, a depuis tenté de se disculper à la manière de Berlusconi, par la pirouette, la fuite ou le déni : "Je ne me souviens pas de l’avoir chantée, même si j’en connais les paroles depuis des années", a déclaré à l’AFP M. Delacroix. "Je ne suis pas sûr de la véracité de la vidéo", a ajouté le sénateur non-voyant. La honte : confronté à une preuve flagrante, il nie. Comme Faurisson. Toute la lâcheté des négationnistes, celle que l’on retrouve aussi sur le net, malheureusement. Delacroix tente de se disculper par tous les moyens, accusant son rival Féret ou même son ancienne épouse : "selon M. Delacroix, cette vidéo « a dû être tournée en 2000 en Espagne. Ces documents proviennent d’un dossier relatif à mon divorce qui s’est mal terminé pour mon ex-épouse il y a quelques mois". Divorce ou pas, la chanson existe bel et bien. Une enquête judiciaire est néanmoins en cours, et l"homme a démissionné de son poste depuis.
L’organisme dont est responsable Delacroix comporte Ghislain Dubois, avocat au barreau de Liège, l’ex-président-fondateur de Belgique & Chrétienté (une association politico-religieuse plutôt intégriste), et qui était également le président du Comité belge de soutien à... Jean-Marie Le Pen, lors des dernières élections françaises ! On retrouve la même filière, donc. Ou le même public de Dieudonné. L’homme aimait à poser en compagnie du général Aoun (ou avec Samir Geagea ou même Walid Joumblatt), qui n’en demandaient peut être pas tant, ou se montrer en photo à 16 ans "sur le front du Sud Liban avec Tsahal". Il faudra qu’on m’explique un jour comment on peut chanter en aparté ce genre de choses et un autre parader avec les soldats israëliens... Quand on vous dit, ou tente de vous dire qu’il existe bien des relents de nazisme jusque là, le cas de Dubois semble bien être significatif : car visiblement ; il ne doit rien ignorer non plus de la chansonnette de son meilleur ami belge ! Un Dubois capable de sortir des phases ahurissantes sur la chrétienté et le rôle des prêtres dans ce bas monde : "Partout, le christianisme fut et reste le rempart absolu contre la décadence et la barbarie. Ses ennemis ne s’y trompent d’ailleurs pas. Mais encore faut-il un christianisme qui ne confonde pas charité et lutte des classes, comme c’est encore trop souvent le cas dans le discours de nos clercs." On croirait entendre les pires neo-cons américains et leurs soutiens pastoraux comme ceux de David Jeremiah.
Le dernier cas à évoquer aujourd’hui est l’histoire d’un papy. On sait sur Agoravox que certains anciens sont dotés du même sens politique que les deux que l’on vient de voir. Ces vieux militants passéistes de l’extréme droite tentent désespérément de repasser le flambeau aux jeunes générations, et viennent en forum répandre leurs idées nauséabondes. Quand ils n’ont pas un Dieudonné sous la main, il faut bien faire marcher la phocopieuse. Ou quand ils n’utilisent pas Internet, continuent à faire ce qu’ils ont toujours fait : répandre des tracts, partout où ils passent, méthodiquement, en se disant qu’il y a aura bien un jeune pour y mordre, à cet hameçon. Nous en avons retrouvé un, ou plus exactement la police française en a retrouvé un il y a à peine deux mois. Un adepte de Rassinier, l’un des premiers a avoir écrit les thèses négationnistes, le sinistre professeur de... Faurisson. Un papy qui n’a pas quitté ses idés depuis l’époque de la Vieille Taupe, librairie gauchiste devenue imprimeur de textes néo-nazi par la grâce de son repreneur Pierre Guillaume, notre fameux papy distributeur de tracts, justement. L’homme est devenu le prosélyte des thèses négationnistes dès les années 70, et continue depuis sans discontinuer. En février 2008, dans le 5 ème arrondissement, à Paris, des passants éberlués découvrent des tracts révisionnistes, distribués par notre fameux imprimeur. Des tracts qui reprenaient les dires d’un vieux monsieur qui ne semblait plus avoir toute sa tête sur la fin de sa vie : Raymond Barre, qui dénonçait un bien classique "lobby juif" étranglant la France, thèse remontant à l’entre deux guerres au moins, si ce n’est avant même. Guillaume y ajoutant la dénonciation d’un "lobby juif de gauche", peut être bien, finalement pour nous rappeler qu’il en venait, de cette gauche, mais qu’il était devenu très vite antisémite, à savoir l’anthithèse même d’une pensée de gauche. En bon falsificateur, Guillaume avait présenté les choses à sa façon, l’ensemble de la déclaration était signée Raymond Barre, dont les propos avaient soulevé il est vrai un beau tollé.
Notre ex-gauchiste ne s’est jamais arrêté de vouloir faire circuler ses idées folles. Il a été arrêté par la police le week-end du 12 octobre en train de distribuer les mêmes tracts à Orléans... Le Parquet avait déjà déposé plainte en février dernier, et il n’imaginait même pas être recherché. Chez lui, une rapide perquisition a permis d’en retrouver des centaines de papiers, tous du même tonneau : Pierre Guillaume est un révisionniste récidiviste et acharné, qui ne conçoit pas qu’on puisse penser autrement que ce qu’il répand depuis plus de 29 ans maintenant.. On a donc arrêté un faiseur de haine dans l’indifférence générale d’un week-end sans grande nouvelle ce jour-là, à part il est vrai la mort d’un néo-nazi en Autriche, où un sondage récent montrait que la moitié des moins de 30 ans avaient voté pour lui. La semaine d’avant encore, c’était la découverte de plusieurs groupes néo-nazis en Israël même, ce qui est un comble et une double horreur. L’idée continue à faire son chemin, la bête, décidément, n’est pas morte.
Chez nous, un lendemain de Noël, s’il y avait eu ce soir là dans la salle un représentant de la loi digne de ce nom (ce à quoi tout spectacle oblige, logiquement), Dieudonné aurait dû être arrêté en flagrant délit de négation de crimes contre l’humanité. On l’a laissé faire, et c’est bien la honte de l’année qui s’achève avec ce spectacle déplorable du négationnisme donné désormais en spectacle en France. On attend avec impatience les suites judiciaires, Dieudonné ce soir-là tombant visiblement sous le coup de l’article 9 de la loi Gayssot. Dans un gouvernement "consterné" qui ne sait plus trop bien où il en est des droits de l’homme, le sujet fait tache, semble-t-il. Et Dieudonné demeure un poison.
PS : à noter que dans la salle figuraient aussi Kémi Séba, le bien trop connu, récemment condamné lui aussi, et Ginette Skandrani, présidente de l’association La Pierre et l’Olivier, figure bien connue elle aussi du négationnisme. Encore deux de plus qui ignorent le même poison, sans doute.
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