Le ras-le-bol des Français face à l’Etat nounou
Selon une étude de Viavoice pour La Revue civique, 67% des Français jugent que la société est marquée par de plus en plus d'interdits, de surveillance et de contraintes au quotidien. La réglementation toujours plus restrictive des modes de consommation est particulièrement pointée du doigt. L'État serait-il en train de s'ériger en véritable « nounou » derrière chaque citoyen, au détriment des libertés individuelles ? C'est à craindre.
L'État atteint de « normitude aiguë »
Pour le journaliste Philippe Eliakim, l'Etat français serait atteint d'une « normitude aiguë » qu'il entend dénoncer dans son livre Absurdité à la française. Enquête sur ces normes qui nous tyrannisent. Petite démonstration de ce délire législatif, un amendement a été voté en urgence après un accident médiatisé dans l'ascenseur d'un immeuble. Bilan : 17 nouvelles mesures préventives. Or, selon l'auteur, on dénombrerait « 7 accidents de ce genre chaque année en France, dont un ou deux mortels ». À titre de comparaison, 15 personnes (soit sept fois plus) décèdent chaque année d'une piqûre de guêpe, 20 en tombant d'une falaise, 35 frappés par la foudre ou 1 350 en avalant leurs cacahuètes de travers. La solution ? « Réglementons les apéritifs, cloisonnons les falaises d'Etretat, imposons le port d'une combinaison anti-guêpes dans les campagnes », bien sûr !
Notre arsenal juridique abriterait 400 000 règles et contraintes de tous ordres disséminées dans 22 334 articles de loi, 137 219 articles de décret, et dans des dizaines de milliers d'autres textes réglementaires de toute nature, répartis dans 64 codes. Toutes ces contraintes sont-elles nécessaires ? Non seulement plusieurs d'entre elles sont liberticides et infantilisantes, mais d'autres se sont montrées, jusqu'à très récemment, carrément rétrogrades. A l'image de l'interdiction pour les Parisiennes de porter un pantalon à moins de monter à cheval ou à vélo, interdiction datant du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800) et qui n'a été abrogée qu'en... 2013.
Pour 73% des Français, les interdits sont trop nombreux
Eliakim ne s'y est pas trompé et une large majorité de Français partage son avis. Selon l'étude Viavoice, 93% des Français se disent « attachés aux libertés individuelles », 53% « très attachés ». Or les trois quarts s'accordent aussi à dire que ces libertés sont mises à mal par toujours plus de règles étatiques.
Selon François Miquet-Marty, Président de Viavoice, « aux yeux des Français aujourd'hui, les mesures et incitations prises, aussi légitimes soient‐elles, atteignent un stade tel qu'elles portent une atteinte excessive aux libertés individuelles. Ce sentiment paraît être l'aboutissement d'une histoire, la conséquence du cumul de mesures adoptées souvent depuis quarante ans. Cet enjeu est d'autant plus brûlant que les mesures, notamment en matière de consommation, risquent de se multiplier encore à l'avenir. Pour la plupart des personnes interrogées, ce dilemme connaît une solution qui a un nom : la prévention plutôt que la répression. »
La réglementation croissante des modes de consommation occupe en effet la deuxième place des interdits que les Français commencent à prendre en grippe, derrière les très nombreux messages et règles en matière de sécurité routière. Ainsi, près d'un tiers des sondés considèrent les modes de consommation de plus en plus scrutés et réglementés (« Ne pas fumer dans des lieux publics », « Taux d'alcoolémie à ne pas dépasser », « Ne pas manger trop gras, trop sucré, trop salé »...).
Le tabac, cible privilégiée de l'Etat
Politique de santé publique, interventionnisme chronique, poule aux oeufs d'or... Le tabac reste la cible privilégiée de l'Etat en matière de réglementation et de taxe. Le prix d'un paquet de cigarettes a ainsi plus que doublé en quinze ans. Alors qu'il coutait 3,20€ en 2000, il faut aujourd'hui débourser 7€ pour un paquet standard. Avec une inefficacité patente puisque, selon les chiffres de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), les ventes globales de tabac n'ont pas baissé depuis 2004. Il faut ajouter à cela les ventes du tabac à rouler, alternative aux cigarettes industrielles, qui elles progressent chaque année, passant de 7 257 tonnes en 2009 à 8 710 en 2013. Véritable manne financière pour l'Etat, les recettes fiscales du tabagisme ont atteint 14 milliards d'euros en 2015 (soit l'équivalent de la recapitalisation des banques grecques). Une fiscalité comportementale certes très rentable mais inefficace. Tandis que les recettes augmentent toujours plus pour l'Etat, le nombre de consommateurs, lui, ne baisse que très peu. La consommation de tabac aurait reculé de moins de 1% en quatre ans (en 2014, 28,2% de 15-75 ans fumaient régulièrement, contre 29,1% en 2010).
Un vaste plan anti-tabac vient donc d'être remis à l'ordre du jour dans le cadre du projet de loi Santé de la ministre Marisol Touraine. Il comprend notamment l'instauration possible d'un paquet de cigarettes neutre. À partir de mai 2016, si la disposition était votée, les paquets de cigarettes auraient tous la même taille, la même couleur, la même police, seraient privés de logos et de signes distinctifs permettant de les distinguer. Instauré en 2012 en Australie dans le but de rendre le tabac moins séduisant, notamment auprès des jeunes, le bilan reste pour l'instant très insatisfaisant. En 2013, les ventes ont enregistré une légère hausse de +0,3%. Mesure symbolique, cette politique n'en montre pas moins une fois de plus l'absence de volonté réelle de l'Etat de mettre fin au tabagisme. Qu'attendre d'autre d'un Etat schizophrène qui renfloue ses caisses sur le dos des fumeurs ? A noter, une autre mesure phare du plan anti-tabac, l'interdiction de l'utilisation de la cigarette électronique dans les lieux publics. Le vapotage échappe toutefois encore à la taxation. Mais combien de temps durera ce sursis ?
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