Le réduire, c’est la tenir
Le Droit d'Asile fait partie des lumières de notre Civilisation. Le réduire, c'est la ternir.
Depuis 2003, le droit d'asile subit de multiples attaques qui le dégradent et le réduisent à peau de chagrin.
Rétrospectives et perspectives.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH266/prejuges12-3-f06a1.jpg)
Des années 1990 à 2003 : La chute de l'Est entame le droit d'asile
En 2003, Sarkozy ministre de l'Intérieur engage une loi réformant le droit d'asile. Le droit d'Asile moderne est issu de l'application de la convention de Genève du 28 juillet 1951. Si hier dans la logique de guerre froide, il était aussi un instrument politique, avec la chute du bloc de l'Est, il est devenu un encombrant devoir humaniste pour les pays industriels obsédés par la gestion des flux migratoires. Il s'en suit un contraction de ce droit depuis les années 901.
1991 : suppression de l'autorisation de travail sur le récépissé de demandeur d'asile.
1992 : création des zones d'attente pour contenir les demandeurs d'asile à la frontière, une façon d'entamer le principe de non refoulement des demandeurs d'asile ;
1994 : modification de la constitution pour l'application de la convention de Dublin (réadmission des demandeurs d'asile vers le 1er pays par lequel ils sont entrés dans l'espace Schengen)
2002 : communication annonçant un "assainissement" des procédures (destockage") et une réforme des procédures d'asile.
C'est dans ce contexte que le rétrécissement du droit d'asile va s'accélérer à partir de 2003.
2003 : l'année charnière
La Loi de 2003 vient réformer la loi de 1952 relative au droit d'asile. Cette législation s'accompagne d'une pratique attentatoire puisque dans ces années là le nombre d'admission sur le territoire au titre de l'asile chute fortement : 10 176 en 2001, 7 786 en 2002, 5 783 en 2003, 2 390 en 2004, chiffre qui restera stables les années suivantes (2 278 en 2005, 2 556 en 2006). Malgré la présence d'ONG dans les zones d'attente (ANAFE)2, les demandeurs d'asile font l'objet d'une procédure expéditive qui conclue trop rapidement à une appréciation comme "demande manifestement infondée".
La Loi de 2003 unifie les procédures de protection constitutionnelle et protection subsidiaire et supprime l'asile territorial. L'accès à ce guichet unique est rendu plus difficile3 :
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réduction des délais à 21 jours pour déposer une demande pour la procédure "normale" et 15 jours pour la procédure "prioritaire", 5 jours si la demande est faite en Centre de Rétention Administrative (CRA) et 8 jours en cas de réexamen
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refus d'enregistrement de la demande si le dossier est incomplet ou n'est pas rédigé en français
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obligation de justifier de sa "résidence" lors du renouvellement du récépissé de 3 mois.
La mise en place des pièges
Cette loi met ainsi en place un système de "bloqueurs" ou filtres multi-critères pour complexifier l'accès au droit4.
Autre outil de blocage, la période 2003-2005 voit le début du déploiement des bornes Eurodac qui permet le fichage des migrants et de faciliter les réadmissions "Dublin" vers les pays-frontières de l'Europe.
La formulaire de demande d'asile à envoyer à l'OFPRA a été modifié avec la réforme 2003, en plus de devoir être rédigé en français, il est plus difficile à remplir.
La précarité des agents
Pour accélérer le traitement des dossiers, l'instruction est réalisée à 71 % par des emplois précaires. Cette situation influe sur la qualité et la sincérité du traitement de la demande d'asile. En effet, par nature, les emplois précaires sont plus sensibles aux pressions et aux objectifs chiffrés contrairement aux officiers que le statut protège d'un certain chantage de l'employeur.
Une explosion des recours = une procédure inadaptée aux demandeurs
La loi a posé le principe de la convocation à l'OFPRA pour un entretien. Si, malgré cette logique de restriction du droit d'asile, on observe, au début des années 2000 une stagnation des décisions d'accord OFPRA autour de 9 %, les annulations de refus par la Commission des Recours des Réfugiés (CRR) sont en augmentation : 10% en 2000, 11% en 2003, 13 % en 2004, 15 % en 2005, cette progression continuera ensuite : 18% en 2007, 20 % en 2008, 22 % en 2010.
Le détournement de la procédure normale au profit de la procédure expéditive dite "prioritaire"
La loi de 2003 étend l'application de la procédure prioritaire aux requérants des pays d'origine considérés comme "sûrs". Cette liste de pays "sûrs" est adoptée par la Conseil d'Administration de l'OFPRA. Dans certains de ces pays il existe encore pourtant des conflits (Sénégal, Inde, ... ). Cette notion pose un problème d'ordre philosophique : est-il légitime d'apprécier le bien-fondé d'une demande d'asile d'une personne au regard de son origine ? Le taux d'accord OFPRA sur ces pays remet en cause l'existence même d'un traitement dérogatoire à la procédure "normale" : les évolutions5 des taux par pays sont différentes d'un pays à l'autre et certains pays ont des taux supérieurs au taux moyen, ce qui montre qu'ils ne sont pas plus sûrs que d'autres, du point de vue de l'individu.
Cette disposition concernant les Pays d'Origine Sûrs (POS) a par contre eu un effet notoire sur le recours à la procédure "prioritaire" expéditive : 9 % en 2003, 16 % en 2004, 23 % en 2005, 30 % en 20066. Dans cette procédure, le demandeur n'est pas autorisé au séjour (pas de délivrance d'APS) mais admis, il est exclu des droits sociaux (ATA, CADA, ... ) et de recours suspensif. Dans le cas d'une demande d'asile par un retenu, c'est cette procédure qui est appliquée et l'OFPRA a 96 heures pour statuer.
Seul brin de lumière : plus de places en CADA
Aspect tout de même positif dans cette politique : la volonté "d'assainir" les procédures s'accompagne d'une augmentation des places en CADA : 5000 places en 2000, 17000 en 2005, 19000 en 20067 pour atteindre 21500 en 2011. Néanmoins le besoin est couvert à environ 60 %. Ce qui constitue une inégalité de traitement préjudiciable puisque les taux d'accord OFPRA sont beaucoup plus élevés pour ceux qui sont hébergés en CADA (17 % contre 9 %).
A cette époque, si les demandeurs d'asile ne veulent ou ne peuvent être hébergés en CADA, ils perçoivent une allocation d'insertion de 300 € mensuel environ par adulte pendant un an uniquement. Ce montant ne permet pas de faire face aux frais quotidiens (nourriture, hébergement, , ... ) et aux frais de procédure (déplacement à l'OFPRA, traduction, interprétariat, avocat, ...). Cette allocation deviendra l'Allocation Temporaire d'Attente en novembre 2006 et obligation sera faite au demandeur d'asile de faire une demande de CADA.
La pression sur l'OFPRA
Toujours dans la volonté de "déstocker" les demandes en cours, un décret de 2004 inflige à l'OFPRA des délais pour l'instruction : 2 mois en procédure normale (au lieu de 4), 15 jours pour une procédure prioritaire, 96 heures dans le cas d'un retenu. Ces délais se traduisent en terme d'objectif en nombre de décision par jour pour les officiers de l'OFPRA.
La loi de 2003 est donc le point de départ d'une politique de dissuasion, rendant la tâche plus difficile à des populations déjà fragilisées (fatigue psychique et/ou physique, déracinement, isolement, ... ). Le droit d'asile va connaître ensuite d'autres contractions.
L'aprés 2003 : la machine à broyer est lancée , Hortefeux, Besson, ...
En 2006, les CADA ne sont plus considérés comme des CHRS, cette disposition vise à en faire sortir les statutaires et des déboutés plus vite. Cette même année, le préfet devient compétent pour constituer l'offre d'hébergement.
En 2007, la création du Ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité Nationale et du Codéveloppement est l'occasion de sortir l'OFPRA de la tutelle du Ministère des Affaires Etrangères. Sas avant une reprise en main par le Ministère de l'Intérieur en 2011. Autre changement : c'est un préfet qui devient le directeur de l'OFPRA et non plus un ambassadeur. Cette année là, le Ministère de l'Immigration entame une chasse aux personnes "indûes" hébergées en CADA, des objectifs sont donnés : maximum 8 % de statutaires et 4% de déboutés.
En 2008, le fichier DN@ est progressivement mis en place, il permet entre autre d'exercer un contrôle sur les demandeurs d'asile.
Juillet 2008, l'OFPRA n'octroie plus le statut pour les parents d'enfants menacés d'excision. L'OFPRA est donc pris dans une logique de gestion des flux migratoires plus que dans une logique de protection.
Besson succède à Hortefeux en 2009 au Ministère de l'Immigration, il préparera une loi qui sera promulguée en 2011. Cette loi touchera le droit d'asile.
Le 9 janvier 2009, la CRR devient Cour Nationale du Droit d'Asile (CNDA), une juridiction indépendante de l'OFPRA, sous la tutelle du Conseil d'Etat.
2009 verra aussi la mise en place de la régionalisation qui se prolongera en 2010. Cette régionalisation a encore accru les difficultés des demandeurs d'asile puisqu'une seule préfecture par Région a compétence pour enregistrer les demandes d'asile et organiser l'accueil. Cette régionalisation s'accompagne de missions plus importantes pour les préfectures qui effectuent en quelque sorte le premier tri. Une circulaire du 1er avril 2011 a d'ailleurs demandé aux préfets de mettre en œuvre le plus largement possible les procédures "prioritaires" expéditives. La régionalisation s'inscrit donc elle aussi dans une logique de gestion des flux et non de protection et d'accès au droit.
En novembre 2010, l'IGAS conclus un mission sur les CADA en considérant que des gisements d'économies potentielles résident dans le dépassement du taux d'encadrement (1 pour 10) et sur la part de personnel socio-éducatif (60%). Un décret de Juillet 2011 applique ces conclusions pour porter le taux d'encadrement à 1 pour 15 et la part de personnel socio-éducatif à 50%. Le projet de loi de finance prévoit lui une nouvelle diminution des crédits CADA de 5 millions (-2,5%) portant à 24,44 €/jour le prix de la journée qui était de 26,20 €/jour en 20098.
La loi Besson / Guéant a durci encore les conditions de séjour des étrangers. En matière d'asile, le loi prévoit la création de zone d'attente spéciale qui s'étendent du point de débarquement aux points de contrôles frontaliers. L'ensemble du territoire peut donc devenir potentiellement une zone d'attente. La procédure prioritaire est une nouvelle fois facilitée par l'ajout d'un nouveau cas si le demandeur fournit de fausses indications, dissimule des informations afin "d'induire en erreur les autorités". Cette disposition intègre à la loi une pratique administrative existante. Elle vise les récits achetés, les mutilations d'empreintes, ... Une autre mesure porte atteinte au droit d'asile : l'interdiction du retour en France (bannissement) avec une extension possible à tout l espace Schengen, peut assortir une OQTF. En interdisant le retour, le renouvellement de la demande d'asile est rendu impossible.
Il en reste encore ? Guéant va s'en occuper !
Le 25 novembre 2011, le ministre de l'Intérieur a annoncé une série de mesures "pour réformer le système d'asile pour le préserver"9 .
Le ministre n'annonce que des mesures visant à restreindre le droit d'asile :
Elargir encore les procédures d'exception :
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l'ajout sur la liste des pays d'origine sûrs de l'Arménie (qui en a été retirée par décision du Conseil d'Etat en juillet 2010) , le Bangladesh (première nationalité de demande d'asile en 2011, dont l'inscription sur la liste a été écartée par le conseil d'administration de l'OFPRA au vu d'un rapport de mission peu amène), la Modalvie et le Monténégro. Le ministre fait ainsi tomber les masques sur l'autonomie de décision de ce conseil d'administration et sur l'objectif poursuivi pour dissuader les demandes.
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encore plus inquiétant, est le lancement d'une réflexion approfondie sur la possibilité pour les préfets de refuser le séjour pour des motifs intrinsèques à la demande d'asile. En effet, les éléments d'une demande d'asile sont confidentiels et le Conseil Constitutionnel a considéré que seuls les agents chargés de mettre en œuvre le droit d'asile peuvent les connaître.
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pour les demandeurs d'asile en procédure Dublin II, le ministre en annonçant qu'ils seraient l'objet d'une procédure prioritaire, passé le délai de transfert, omet volontairement la jurisprudence du Conseil d'Etat qui lui rappelle que c'est de la responsabilité de l'Etat d'effectuer les réadmissions, sauf si le demandeur y consent, et que l'on ne peut reprocher aux demandeurs d'avoir séjourné en France pendant le délai prévu de six mois pour le transfert.
Sur l'accueil
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les mesures annoncées concernant le pilotage régional et national des capacités d'accueil en CADA ou en hébergement d'urgence sont la reprise de prescriptions des circulaires du 24 mai 2011 et du 19 août 2011, circulaires contestées devant le Conseil d'Etat par La Cimade et par la FNARS et ne résolvent en rien la pénurie des places d'hébergement constatées dans toute la France ( outre-mer compris) et qui vaut à l'Etat d'être régulièrement condamné par le juge des référés du Conseil d'Etat.
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l'exclusion des conditions d'accueil des personnes présentant tardivement une demande d'asile qui refusent un offre d'hébergement ou dont les empreintes s'avèrent inexploitables suppose une réforme législative et ne tient pas compte de la décision du Conseil d'Etat du 7 avril 2011 prévoyant que ces personnes placées pour la plupart en procédure prioritaire ont droit aux conditions prévues par la directive accueil.
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le référentiel des plateformes d'accueil dont est annoncé la mise en place en 2012 ne prévoit pas l'accompagnement administratif et social des demandeurs d'asile qui ne sont pas hébergés en CADA mais les seules missions d'information, de domiciliation et d'orientation envisagée comme un outil de gestion des "flux" pour les préfets.
Encore une fois aucune mesure n'est annoncée pour prévoir la création de places CADA et encore moins de garantir le droit de travailler aux demandeurs d'asile qui leur permettrait de vivre dignement sans être en quarantaine sociale.
Sur l'éloignement des déboutés
Le ministre annonce l'offre systématique d'une aide au retour volontaire aux déboutés du droit d'asile : cette mesure existe depuis 2005 et les statistiques de l'OFII montrent qu'elle ne remporte guère de succès. En revanche, aucune mesure n'est annoncée pour faciliter l'insertion des réfugiés notamment en matière de logement.
Face à ce nouveau tour de vis voulu par le ministre de l'Intérieur, il est à craindre une nouvelle contraction de la peau de chagrin.
Emmanuel BOUHIER
4http://cfda.rezo.net/loi%20asile/CFDA%20R%E9forme%20du%20Droit%20d%27asile%20-%20un%20bilan%20critique%2003.%2007.pdf
5http://www.forumrefugies.org/fr/Prises-de-position/Dossiers-thematiques/Pays-d-origine-surs/La-liste-francaise-des-pratiques-a-revoir-d-urgence/Des-taux-de-protection-plus-eleves/Un-taux-de-reconnaissance-plus-eleve-que-la-moyenne
7Rapport Forum Réfugiés 2009
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