Le référendum interdit : Quelle civilisation pour quel destin ?
La date du diner de gala est enfin fixée : 2009, sans autres précisions. Désolé pour cette approximation. Participation obligatoire ! Les innombrables convives ont la garantie d’être bien accueillis. Menu copieux et open bar. Welcome, Benvenutti, Willkomen, Bienvenidos, Bienvenus...la dégustation vient juste de commencer.
Une hépatite sévère suivra fatalement. Le corps "médical" est déjà sous alerte rouge. Le cocktail "pénitence perpétuelle", le traitement traditionnel à base de potion amère, glisse déjà lentement dans la seringue. Il sera sans effet. Nous ne sommes plus en effet dans le conjoncturel mais dans le structurel lourd. Ca n’est pas une petite crise bien localisée mais une pandémie foudroyante contenant les germes de l’agonie de notre civilisation occidentale de l’hyper consommation et de l’hyper cupidité.
L’histoire "moderne" a commencé dans les années 80 sous l’impulsion de Reagan et Thatcher inspirés par Milton Friedman (lui-même inspiré par Hayek) gourou de l’Ecole de Chicago. La complicité d’Alan Greenspan président de la FED sera déterminante. Ce désastre c’est avant tout leur chef-d’oeuvre que j’ai découpé en quatre contributions majeures :
1° contribution : Un mot d’ordre : "Enrichissez vous !" Les entreprises multi nationales, pour une fois d’une rare docilité, commencent à compresser les salaires afin d’améliorer leurs performances financières et par là même le confort de leurs actionnaires qui se considèrent particulièrement maltraités. Opération réussie avec un transfert sur 20 ans de 10 à 15 points de valeur ajoutée au bénéfice de l’actionnaire. La lente et sûre paupérisation des salariés est amorcée. L’Etat, qualifié d’incompétent, est instamment prié de laisser au "Marché" le soin de gérer les affaires économiques et sociales. La protection sociale est désintégrée et privatisée. Les syndicats sont laminés. Les impôts, en particulier les tranches les plus hautes, sont fortement réduits. Les patrons perdent leur inhibition et leurs rémunérations explosent. Les mots oligarque, trader, spéculateur, prédateur, opacité, décomplexé, bonus, parachute, corruption, déréglementation, dérivé, deviennent tendance.
2° contribution : La mise en oeuvre d’une nouvelle idéologie, la mondialisation ou libre échange sans entrave, censée apporter paix et prospérité au monde entier ! Il ne s’agit en fait que d’un exercice sémantique destiné à camoufler, primo l’exploitation outrancière d’un main-d’oeuvre bon marché, deuxio l’affranchissement de capitaux prédateurs et tertio l’exploitation sans vergogne des ressources naturelles. Ce que l’on nomme libre échange n’est en fait qu’un redoutable et gigantesque transfert de savoir faire, de richesses et de bras. Opération réussie. Les emplois industriels qualifiés disparaissent dans les pays occidentaux relayés par des "petits boulots" souvent à temps partiel toujours mal payés ou par un chômage de masse largement sous évalué. La Chine devient la manufacture universelle et produit à des prix défiant toute concurrence grâce à une main-d’oeuvre inépuisable, des salaires de misère, des règles sanitaires et sociales inexistantes ce qu’auparavant nous produisions nous-mêmes. Pour le capital les avantages concurrentiels d’une bonne dictature sont sans équivalence. Les sous-traitants pressés comme des citrons n’ont d’autre choix que de suivre le mouvement. Les profits des multi nationales s’envolent. Les paradis fiscaux prospèrent. Il ne s’agit plus de libre échange mais d’une prodigieuse mystification.
3° contribution : Le développement exponentiel d’une "industrie financière" bénéficiant de la plus grande complaisance du système (politiques, banques centrales, agences de notation) qui laisse enfin s’exprimer une créativité trop longtemps bridée. Les produits "dérivés complexes" fabriqués par les alchimistes de Wall Street, CDS, CDO et tutti quanti rencontrent le plus vif succès. Personne n’y comprend rien mais personne ne veut louper cette nouvelle ruée vers l’or. Les taux d’intérêts sont ras les pâquerettes et les banquiers font pisser les dollars. Effet de levier démultiplié, titrisation de créances à haut risque, packs exotiques, maquillage d’actifs pourris, spéculation effrénée, tout est bon pour créer de la monnaie avec de la monnaie. Les formules mathématiques confirment qu’il est enfin possible de créer quelque chose à partir de rien ! Le summum de l’artificiel célébré quotidiennnement au Dom Pérignon. Jusqu’à la transmission d’un pathétique SOS à l’Etat jusque là honni : "Sombrons dans les bulles. Demandons remorqueur de toute urgence. W.S." La réhabilitation de l’Etat par ses anciens détracteurs n’est évidemment que de circonstances. Les responsables du naufrage sont relaxés et les contribuables paieront les frais d’intervention estimés à 3600 milliards de dollars (dernière estimation de Nouriel Roubini). Il reste des milliards d’actifs pourris quelque part dans les cales. Combien ? Qui le sait ?
4° contribution : Le consommateur avant tout salarié est mis sous perfusion. Les pertes de salaires sont compensés par des injections massives d’overdoses de crédit car il doit impérativement continuer à consommer. Le système "malheureusement" ne fonctionne pas sans lui. Le maillon essentiel est donc maintenu en vie artificiellement jusqu’à son dernier souffle. Acharnement thérapeutique, peu importe sa solvabilité, il faut qu’il consomme jusqu’à ce que mort s’ensuive. Et ce qui devait arriver advint car les morts ne consomment pas ! La demande s’effondre, les entreprises licencient en masse, le chômage explose. Les gens perdent leur maison, les "restos du coeur" ne désemplissent plus. Le désastre se révèle dans toute sa dimension et toute son inhumanité.
Quand tout le monde déguste. Toutes les économies étant désormais interdépendantes, le grand désastre se propage au monde entier. Selon les pays et selon le niveau de soumission à l’idéologie, les banques et les ménages (USA, UK) ou les Etats (France) se retrouvent plombés par des Everest de dettes. A noter que le modèle français si longtemps ridiculisé devient quasiment la référence universelle ! La bulle de la dette désormais exponentielle devient incontrôlable. Plus personne n’a plus confiance en personne. D’immenses brêches s’ouvrent les unes après les autres. Les renflouements succèdent aux renflouements. Des océans de monnaie s’évaporent instantanément. Le paradis artificiel s’effondre.
Cet immense chaos est révélateur de la nullité ou de la complicité (de toute façon c’est l’un ou l’autre, vraisemblablement les deux) de nos "Monarques" ; de leur inaptitude à identifier et contrôler les vrais défis et périls ; de leur incapacité à anticiper ; de leur aveugle obstination. A les entendre nous comprenons en effet qu’après l’avoir bricolé la machine infernale repartira au quart de tour nous propulsant, "plus forts qu’avant", vers un nouveau cycle de croissance bienheureuse. Nous guettons déjà les premiers toussotements du moteur ! Mais croissance alimentée par quoi ? La surconsommation et le surendettement ? Est-ce bien pertinent ? L’actuel débat obsolète et affligeant sur la relance par l’offre ou la consommation ne contient aucune lumineuse esquisse. En émission de réflexion nous touchons le fond. Or ce discours optimiste sur la promesse "du renouveau" est à mon sens totalement inconséquent pour quatre raisons fondamentales :
1° raison : La croissance de ces vingt dernières années présentée comme exceptionnelle par les thuriféraires du système était totalement artificielle ; totalement bidon ! Produite par l’hyper endettement elle génère in fine l’insolvabilité, le chômage de masse et l’effondrement de la valeur des actifs. Ce modèle est en état de décomposition avancée. Vingt ans pour rien ! Pour alimenter la croissance les deux leviers naturels, le plein emploi et les salaires revalorisés, sont donc incontournables. Or c’est parfaitement antinomique avec deux principes fondateurs de la mondialisation : la mise en concurrence mondiale des travailleurs et son corollaire la délocalisation de la production. Retrouver une croissance "saine" nécessiterait donc un virage à 180°. Soit en substance limiter les échanges aux pays ayant un niveau de vie comparable (Europe de l’Ouest, Amérique du Nord) ; ou de mettre en place un protectionnisme pur et dur en taxant tous les produits hors matières premières en provenance des pays émergents afin de rééquilibrer les coûts. L’occident contre le reste du monde.
2° raison : Plus personne ne doute (?) que la surproduction et la surconsommation génèrent les conditions de notre lente destruction. Pollution de l’air par émission de CO² au-delà des normes acceptables, déforestation, pollution des réserves d’eau par la chimie, acidification des océans, constituent de très graves atteintes à l’intégrité des fondamentaux sans lesquels la vie sur terre est tout simplement impossible. Devons-nous continuer à produire et à consommer comme si nous ne savions pas ? Nicholas Stern, ancien vice-président de la Banque Mondiale, auteur en 2006 d’un rapport de référence sur le changement climatique : "Si nous ne changeons pas nos habitudes la concentration de gaz dans l’atmosphère sera si élevée que la probabilité d’une augmentation de température de 5° est désormais supérieure à 50% d’ici la fin du siècle. L’humanité n’a jamais vécu sur une planète aussi chaude. Il faut remonter à 30 ou 50 millions d’années pour retrouver des températures aussi élevées...Il est très probable que les conséquences soient catastrophiques." Lire aussi les comptes rendus alarmistes du GIEC.
3° raison : Les réserves naturelles de la Terre ne sont ni renouvelables ni illimitées. Or ces matières premières constituent la base même de toute production. Les dates d’épuisement estimées des richesses exploitables de notre planète à un coût admissible sont connues : 2021 l’argent ; 2025 l’or et le zinc ; 2028 l’étain ; 2030 le plomb ; 2039 le cuivre ; 2040 l’uranium ; 2050 le pétrole ; 2064 le platine ; 2072 le gaz naturel ; 2087 le fer (source : Service Géologique des Etats - USGS). Nous pouvons bien sûr contester les échéances et rajouter selon l’inspiration du moment 50 ou 100 ans. Ca ne change rien au fait définitif que ces ressources ne sont pas renouvelables.
4° raison : En 1800 nous étions 1 milliard d’individus ; puis 2 milliards en 1930. En 2009 nous sommes presque 7 milliards (6,7) dont 1 milliard souffrent de malnutrition. En 2023 la prévision nous amène à 8 milliards, "maxi" a priori que la Terre pourrait supporter. La projection, amplifiée par les effets climatiques et les effets de la spéculation, nous amène à 1 milliard et demi, peut-être 2 milliards d’individus en situation de famine en 2023. Or nous savons que si l’ensemble des individus vivaient comme les occidentaux (80% de la consommation mondiale) les ressources de 3 planètes comme la Terre n’y suffiraient pas. Nous avons donc le choix : partager ou les laisser crever. Sachant que rien ne nous indique dans quel camp nous nous situerons.
Les faits et les conséquences sont là, incontestables, même si un soupçon de pondération temporelle peut y être apporté. Mais qui s’en soucie à part quelques "marginaux" ? La terrible crise actuelle constitue pourtant le tremplin idéal à une lucide remise en cause : Quelle civilisation pour quel destin ? Etre ou avoir, telles sont les deux options possibles :
1° option : Le courage et la raison. Les solutions de rechange n’existent pas. En conséquence, acte refondateur, la "Planète Terre" et ses ressources sont élevées au rang de patrimoine unique de l’humanité. L’environnement et les ressources restantes doivent être gérés avec respect et parcimonie. Une réflexion de fond sur l’établissement d’une nouvelle civilisation immatérielle ayant pour dessein de recentrer l’activité humaine sur une valeur essentielle, l’intérêt général, est entreprise dans l’urgence. La production et la consommation ne constituent plus l’alpha et l’oméga mais juste une nécessité. Cette option qui induit des renoncements matériels, un violent effort intellectuel préalable et la canalisation de l’ambition et de la compétition, n’exclut en rien la notion de progrès car l’Humanisme, primauté de l’Homme sur l’individu, se substitue au matériel ostentatoire et illusoire. "Je pense que la tâche du prochain siècle en face de la plus terrible menace qu’ait connu l’humanité, va être d’y réintégrer leurs Dieux" a écrit Malraux...en 1955. Plus prosaïquement il aurait pu écrire : "...y réintégrer du sens".
2° option : L’illusion réemballée. "Pour la plupart des hommes se corriger consiste à changer de défaut" écrivait Voltaire. De nouveaux artifices, quelques corrections marginales, réactivent l’illusion. La ploutocratie, après avoir pansé ses plaies, consolide ses valeurs sacrées : pour elle l’avidité confiscatoire, l’endettement et la précarité sans fin pour les autres. L’Homme, le vulgum pécus, est pérennisé tantôt "consommateur" tantôt "variable d’ajustement" selon l’intérêt du moment. La dictature pure et dure du marché, et plus si affinités, reste sans concession. La croissance du PIB demeure idéal absolu ; la prédation et l’exploitation les règles ; la corruption, le mensonge et la spoliation les modes opératoires ; le fric la divinité. La machine d’occasion rafistolée nous entraîne irrésistiblement et à toute vitesse vers un nouvel abîme. Une guerre d’appropriation et d’élimination plus funeste que les autres ? Un désastre écologique ? Une nouvelle et inéxorable débâcle économique ? La poisse des trois concomitants ? Comme disait Keynes qui avait le sens de l’aphorisme, "de toute façon à terme nous serons tous morts". Ce système se nourrit d’excès, alors advienne que pourra ! L’autruche est notre totem. Il ornera notre tombeau.
L’humanité s’est égarée. Il n’est plus temps de comparer les avantages et les inconvénients du capitalisme ou du socialisme. Ces doctrines du siècle dernier sont définitivement obsolètes car les données ont évolué. Friedman, Keynes, Smith, Ricardo, Marx, aucun d’entre eux n’avait intégré que les stocks vitaux étaient éphémères ou altérables. Ne comptons pas non plus sur Dieu pour nous montrer la voie car "Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes." (Bossuet). Mais il nous reste, ultime espoir, à créer l’Humanisme. Voilà de quoi nous occuper utilement. Mais il est déjà bien tard et nous sommes bien peu nombreux à nous y intéresser ! "Le pire c’est ce qu’il y a de mieux" disait Lénine.
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