Révolutions, guerres, émeutes… Le climat a été accusé de bien des maux. Un examen plus poussé montre que,
s’il est loin d’être le seul responsable, il a souvent figuré parmi les agents déclencheurs des crises sociales.
« Le milieu du 17è siècle a connu plus de crises autour du globe que n’importe quelle période précédente » résume Geoffrey Parker, historien britannique, expert en histoire militaire et en histoire moderne. Il y dénombre plus de guerres simultanées que durant n’importe quelle autre période de l’histoire, jusqu’aux années 1940. La raison en reviendrait à la répétition d’années exceptionnellement froides, aux saisons devenues folles. Les Égyptiens, selon les chroniques ottomanes découvrent les manteaux en fourrure. En 1642, Tokyo croule sous la neige en novembre. Les étés en Europe sont singulièrement froids. Une sècheresse exceptionnelle frappe la Chine et l’Ouest américain, et va durer 30 ans dans l’archipel indonésien. En Égypte, le Nil est au plus bas entre 1640 et 1643. A Madrid, la famille royale prie pour que la pluie revienne.
En France, l’hiver 1789 est qualifié par Leroy Ladurie de « rudissime ». La France est touchée par une vague de froid qui s’étend de fin novembre 1788 à janvier 1789. Le 7 janvier, on relève -12°C au thermomètre à Paris. La Seine est gelée. On craint les inondations car les glaçons charriés par la Seine bouchent les ponts. L’approvisionnement des ports de Paris en bois de chauffage et en blé est compromis car les ports parisiens sont fermés. Pourtant, ce n’est pas ce grand froid qui déclenche la révolution de 1789, puisque tout semble joué depuis la très mauvaise récolte de blé de 1788. Mais la rudesse du climat va rendre le manque de blé et la cherté du pain encore plus dramatiques.
Cependant, l’émergence des révolutions est bien évidemment trop complexe pour espérer trouver une cause unique et incontestable. Le changement climatique n'est qu'un élément parmi d'autres, qu’une pierre de plus à l’édifice de la colère, et aucune relation parfaite de causalité ne peut être tirée. il paraît cependant raisonnable de le considérer comme une pièce essentielle du puzzle. Le changement climatique joue le rôle déclencheur, comme la gâchette du pistolet.
Le changement climatique et le Printemps Arabe
|
Stress Hydrique : le monde arabe en zone rouge |
Le Monde Arabe couvre une région aride, où les terres cultivables sont rares et la question de l’approvisionnement alimentaire est politiquement sensible. Déjà en janvier 1977, les émeutes du pain en Égypte avaient marqué les esprits et fait vaciller le régime (79 morts, plus de 500 blessés et de 1000 arrestations). En Tunisie, fin décembre 1983, suite à une injonction du FMI de stabiliser l’économie tunisienne, le gouvernement annonce l’augmentation des prix du pain et des produits céréaliers. Officiellement, les "émeutes du pain" font 70 morts.
Jeune Afrique du 18 janvier avance, d’après son décompte effectué dans les hôpitaux, les chiffres de 143 morts et un millier d’arrestations.
Or, en 2010 et 2011, un enchaînement catastrophe se produit : des phénomènes climatiques extrêmes (vagues de chaleur, vagues de froid, fortes intempéries) font chuter dramatiquement le niveau des récoltes de blé en Russie (-32.7%), en Ukraine (-19.3%), au Canada (-13.7%), en Australie (-8.7%). Au même moment, la Chine connaît une sécheresse hivernale exceptionnelle : le géant asiatique achète alors une énorme quantité du blé sur les marchés internationaux. Les cours du blé explosent : de 157$ la tonne en juin 2010 à 326$ la tonne en février 2011. En mars 2011, les prix des denrées alimentaires ont atteint en Égypte, leur plus haut historique.
Les pays arabes, non pétroliers (Tunisie, Égypte, Maroc, Jordanie, Syrie, Yémen, etc.) seront parmi les plus touchés par cette vertigineuse hausse des prix. En effet, parmi les 10 plus gros importateurs de blé ... 8 sont des pays arabes ; en outre, les populations consacrent à la nourriture une partie significative de leurs revenus (45% au Yémen, 40% en Jordanie, 39% en Égypte, 35% en Tunisie) - comme le montre le tableau ci-dessous, tiré du rapport du CAP [1].
De là à dire que la révolte sociale des révolutions arabes peut s’expliquer par ces prix exceptionnellement hauts, il n’y a qu’un pas. Rappelons-nous : à Tunis et dans beaucoup de villes, pendant « la révolution », on brandissait des pains.
Hannibal GENSERIC