Le Sacre du Printemps
Quand Marcel Proust rencontre Honoré de Balzac et les personnages du Côté de Guermantes se frottent à la critique de Splendeurs et misères des courtisanes, cela donne un sorbonnard aigri qualifiant les aventures de Vautrin, Esther et Lucien de Rubempré « d’un galimatias d’élucubrations effrayantes », ce à quoi le baron de Charlus, un aristocrate fin de siècle, rétorque abruptement : « Vous dites cela parce que vous ne connaissez pas la vie. »
Vautrin, sors de ce corps
On ne saurait qui de Proust ou de Balzac se serait saisi avec le plus d’entrain de la consécration du nouveau golden boy de la politique française : Emmanuel Jean-Michel Frédéric de Rothschild, ce « Macron virtuel » devenu prince de l’Elysée en 2017, puis reconduit cinq ans plus tard dans son travail de dézingage méthodique de la France, mais cette fois en tant que « Macron réel » selon l’amusante formule trouvée par sa malheureuse rivale Marion Anne Perrine Le Pen – alias Marine pour les intimes. Avec ses crapules en costume cintré et ses banquiers libidineux, ses romans de laboratoire où l’opulence côtoie l’extrême misère (cf. Le Cousin Pons) et où les insectes imprudents finissent impitoyablement dévorés par les grenouilles croassantes du marécage germanopratin, on miserait volontiers un billet sur Balzac… et sur Vautrin en particulier.
Car que n’aurait-il dit, que n’aurait-il joui, en assistant à la gloire d’Emmanuel de Rothschild en ce beau dimanche de printemps ? Lui qui n’a jamais pu mettre la main sur Félix de Vandenesse, qui n’a pas connu Raphaël de Valentin, qui n’aura pas su faire son jouet d’Eugène de Rastignac ni sauver du suicide Lucien de Rubempré, qu’aurait-il pensé de la nouvelle coqueluche de ces dames – ou plutôt de ces vieux bonzes – au soir de sa réélection ? Un soupir d’envie et de jalousie, sans doute, devant ce sacre de l’arrivisme qui ne doit rien au hasard – et tout à un système à tel point vérolé qu’on compte plus de prostituées (hommes et femmes) dans l’audiovisuel français que dans toute l’histoire du bois de Boulogne et de la porte Saint-Denis réunis.
Le soir du débat, en particulier, Vautrin eût immanquablement reconnu la Providence de Sodome, le prodige de malignité qu’on ne croyait rencontrer que chez Dostoïevski ou Balzac. Tel un rottweiler dopé aux anabolisants, au regard bleu d’acier et aux mimiques apprivoisées de petit singe épileptique, Emmanuel de Rothschild a distribué coups de pattes et coups de dents à son adversaire avec un mélange de morgue et de cruauté inédites depuis la mort de Blanquette à la fin de La chèvre de Monsieur Seguin, le triste conte initiatique d’Alphonse Daudet. Car ce qu’elle faisait peine à voir, la chatounette Marine représentante honnie d’une extrême-droâte à la ramasse, réduite au rôle pathétique de souffre-douleur du système parfaitement incarné par cet androïde froid et clinique, alliage inoxydable de folie pure et de rationnel scientiste si effrayant à voir que même Léa Salamé et Gilles Bouleau, valets pourtant habitués à vider les pots de chambre de la Macronie, en ont transpiré du regard. Mais si créature du système elle était à l’origine, la créature s’est émancipée et vole désormais de ses propres ailes, ce qui ne la rend d’ailleurs que plus effrayante.
Mensonges à gogo
Ses trois parrains Jacques Attali, Alain Minc et Jean-Pierre Jouyet n’ont plus rien à lui apprendre : la France sera néolibérale ou ne sera pas, et son siège (anti)social restera à Bruxelles jusqu’au dépôt de bilan et son rachat par Blackrock, Vanguard et compagnie. Saint-François, père des cocus, l’a définitivement absous de ses péchés de jeunesse en appelant sur France Inter les voix de gauche à se porter sur « un président utile » – comprendre : tout sauf Mélenchon. Saint-Nicolas le nain magyar, prototype embryonnaire de la fusée d’Amiens, a rappelé « qu’on ne se tromp[ait] jamais en choisissant la clarté et la constance » – comprendre : tout sauf Pécresse. Saint Jean-Luc, frère aîné des Insoumis, a clairement demandé qu’au second tour il n’y ait « aucune voix pour Le Pen » – comprendre : tout sauf Le Pen. Par l’autre bénédiction de ces trois sorcières de Macbeth (cor)rompus à l’art de la tambouille politicienne, est sorti indemne de la marmite pour la seconde fois en cinq ans ce phénix aux plumes d’or à peine noircies par les cendres fumantes du populisme, tandis que le « Tout sauf Macron » aura été condamné à errer anonymement dans les ruelles faisandées de la France d’en bas, loin de l’œil (borgne) des caméras et des Unes caviardées des grands journaux gavés de subventions.
Ceux qui plaignent Chatounette n’ont ni plus, ni moins de mérite que ceux qui lui en veulent de n’avoir pas dit au président sortant ses quatre vérités – ou plutôt ses quatorze mensonges patiemment inventoriés par le frexiteur Charles-Henri Gallois. Mise dans les cordes dès le premier round à cause de son prêt à une banque tsariste, Chatounette acculée à confesse n’a pas même osé avouer qu’elle était allée en fin d’année dernière voir le Sacre du Printemps de Stravinski à l’Opéra de Paris avec son chat Minouchka. C’est dire si elle en avait gros sur la patate, trop sans doute pour rappeler à son rival une note de la Direction du renseignement militaire intitulée Yémen, indiquant que la France avait vendu à l’Arabie saoudite des chars Leclerc, des Mirage 2000-9 et des camions Caesar « dont les canons peuvent tirer six obus par minute sur une cible située jusqu’à 42 kilomètres ». Population concernée par de possibles frappes d’artillerie : 436 370 personnes selon ce même rapport, dont quelques milliers d’enfants yéménites morts trucidés mais heureusement hors de portée des canons saoudiens puisque selon Emmanuel de Rothschild (février 2018, Salle de réception de l’Elysée) : « si on trouvait des armes françaises, elles seraient vraiment très vieilles et de toute façon, s’ils ont des armes, il ne peut s’agir que d’armes défensives. »
Elle aurait pu également lui parler de son patrimoine caché, de ses liens d’intérêt avec McKinsey, de ses bidouillages american-friendly du temps du dépeçage d’Alstom, de ses « vaccins » pourris qui empêchent d’attraper toutes les maladies sauf celle contre laquelle ils sont censés immuniser, de l’inflation des subsides à la presse à fromage, du matraquage des Gilets jaunes… mais comme il n’est pas d’extrême-droâte et elle oui, ni Emmanuelle Béart, ni Charlotte Gainsbourg n’auraient bondi de leur nénuphar pour croasser contre si peu d’atrocités non-essentielles.
Les Schtroumpfs contre le Cracoucass
Toutes les professions de France et de Navarre y sont d’ailleurs allées de leur petite tribune antifasciste :
- dans Le Parisien du milliardaire Bernard Arnault (un quart à lui tout seul des aides directes à la presse), l’appel citoyen-du-monde des sportifs millionnaires et des artistes censitaires expatriés à Genève ou New-York ;
- dans le Libération du milliardaire Patrick Drahi, la tribune des soignants anti-Raoult et anti-soins précoces, parmi lesquels aucun infectiologue ni microbiologiste digne de ce nom, mais une pelletée de généralistes, de kinés, d’orthopédistes, de gynécos, de neuropédiatres, de réanimateurs et d’infirmières – héroïnes décorées de la nation en larmes ;
- dans le Elle du milliardaire Daniel Křetínský (le même qui a demandé aux rédacteurs de Marianne de changer leur Une en dernière minute pour les beaux yeux de Manu), la tribune des femmes en colère préférant un goujat progressiste sans enfant à une mère de famille réactionnaire « qui soutient les régimes illibéraux européens » ;
- dans Le Monde du milliardaire Xavier Niel, l’alerte des enseignants et des chercheurs devant le risque d’une victoire cataclysmique de l’extrême-droâte néo-pétainiste et post-colonialiste.
Ne manquent à l’appel, à l’autre bout du spectre, que la tribune des marins pécheurs et des membres honoraires de l’Amicale du saucisson, mais que Picsou Magazine a refusé de publier suite au coup de téléphone de la BCE menaçant de couper ses crédits à tout opuscule néo-nazi paraissant ailleurs que dans les kiosques de Marioupol.
Il aurait été mauvais genre également d’élever un soupçon éventuel sur la consommation en vitamine C du locataire de l’Elysée, lui dont certains peinent à comprendre ce qu’il a fait des millions gagnés durant ses années chez Rothschild, sans avoir fait correctement leur boulot d’investigation auprès des proches du défunt Jean-Luc de l’Avenue du Rail ou de Gérard Fauré, fournisseur du Tout-Paris – et de Jacques Chirac en particulier.
L'homme d'un destin
La vie de yuppie coûte cher et n’est pas de tout repos, même s’il est un vice qu’Emmanuel de Rothschild ne partage pas avec Rastignac et Rubempré : le goût des femmes et des conquêtes féminines, sacrifiées sur l’autel de sa seule et unique idole, une Duchesse de Langeais de 69 ans, mère de trois enfants nés d’un premier mariage et reconvertie depuis en retapeuse à prix d’or du palais de l’Elysée et revendeuse au rabais du patrimoine national. Ce n’est peut-être pas en seule raison de son âge avancé que le baron de Nucingen peine à dégainer l’épée au moment de son duel nuptial avec la belle Esther, mais aussi parce que selon la théorie balzacienne de « l’épuisement dissipationnel », l’argent c’est le sperme du banquier, et qu’entre la Bourse et les bourses, il faut savoir choisir. Les bandits bandent, disait Genêt. Comme le rappelle Philippe Berthier dans sa préface de Splendeurs et misères des courtisanes : « Les capitalistes, eux, ont besoin de pilules. A chacun son charisme et son champ d’honneur. » Emmanuel de Rothschild a choisi le sien et il n’est même pas prouvé, pour autant, que le goût de l’argent et la soif de pouvoir aient seuls motivé sa fulgurante ascension. Le mystère demeure intact et là se trouve peut-être la clé de son destin hors-normes.
Quand Alain Minc rencontre en 2004 le tout frais inspecteur des finances (des autres), il se rappelle lui avoir demandé : « Qu’est-ce que vous serez dans trente ans ». Et l’autre de lui répondre : « Je serai président de la République. » Une réplique qui n’est pas sans rappeler celle de Chabert dans Le Péril Jeune :
- Plus tard je voudrais être champion du monde.
- Ouais mais champion de quoi ?
- Bah, je sais pas. Champion… mais du monde !
Emmanuel de Rothschild est évidemment l’exact opposé de Chabert comme il est l’exact opposé de 99,8% des Français, mais il faut lui reconnaître d’avoir su aller plus loin que l’Evangile de Nucingen (« Le Ciel et la Terre passeront, mais la Banque ne passera pas ») pour aller chercher, de fait, une forme de transcendance dans la Recherche de l’absolu du cynisme et de l’hypocrisie que seule une époque aussi dégénérée que la nôtre pouvait rendre possible. Une époque qui, rappelons-le, a mis au pouvoir des anciens agents du KBG, des présentateurs de programmes de téléréalité, des clowns qui jouent du piano avec leur zgeg, des liquidateurs de chez Goldman Sachs ou encore des grabataires incapables de reconnaître l’évier de la cuisine du lavabo de la salle de bain au moment de soulager leur vessie.
Klaus Schnaps, patron du forum sino-capitaliste de Davos, a lui aussi vécu une expérience de transcendance en écrivant son Great Reset sous la dictée d’un Esprit Malsain que certains nomment transhumanisme, mais qui n’est probablement rien d’autre qu’un monticule de boue recyclé façon New Age californien tenant lieu d’autel à gogos pour tous les startupers en quête d’un supplément d’âme. Emmnanuel de Rothschild, Young Dealer promo 2012, l’a sans doute rendu très fier d’avoir fait découvrir à la France les richesses de son enseignement humano-sceptique, mais Klaus Schnaps n’est pas Vautrin et ses amours sont non-exclusives : Justin Trudeau, Boris Johnson, Jacinda Ardem, Mark Zuckerberg, Larry Page reportent régulièrement au Boss sans renégocier leurs pourcentages, et les tankistes du mondialisme sont assez nombreux pour que les pertes éventuelles soient compensées dans la minute.
Ursula von der Leyen, à peine moins sensible que le vieux Kraut de Davos, aurait plus mal vécu l’élection de Chatounette, elle qui aime ses enfants soldats « peignés et parfumés comme des bichons de marquise » pour reprendre le bon mot du sculpteur sans le sou Wenceslas Steinbock dans La Cousine Bette. Emmanuel de Rothschild sait ce qui lui reste à faire pour rassurer définitivement sa marraine : faire l’inverse du « régime illibéral polonais » stipendié par nos Marianne de la bienpensance pour avoir stoppé tout nouveau paiement pour la came périmée d’El Bourla, et écouler à coup de pass vaccinal les quelques deux milliards de doses supplémentaires précommandées pour faire face à la 37ème vague de Covid.
Plus dure sera la chute ?
Un doute demeure néanmoins au milieu de ces quasi-certitudes : quand prendra fin l’épopée balzacienne d’Emmanuel de Rothschild ? Trouvera-t-il à se ranger habilement comme Eugène de Rastignac, Tony Blair ou Bill Clinton, ou finira-t-il comme Icare et Lucien de Rubempré, les ailes brûlées ou emprisonné de s’être frotté de trop près à tout ce que la Terre abrite de mafieux sans scrupules ? Jean Genet, encore, dans Le Condamné à mort :
On peut se demander pourquoi les cours condamnent
Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.
On laissera le soin aux magistrats du PNF de trancher, d’ici 15 ou 20 ans ou peut-être dans un autre monde. En attendant, tournons-nous vers celles et ceux qui ont côtoyé de près l’animal. Et si Marlène Schiappa, moins nigaude qu’elle n’y paraitrait, « connaissait aussi bien la vie » que le baron de Charlus ? Elle prophétisait en tout cas aux deux auteurs de l’enquête Le Traître et le Néant : « Il n'y a personne derrière, c’est-à-dire que le jour où le président décide qu'il fait sa petite valise et qu'il va prendre une petite pause et faire le tour du monde avec sa femme… Le jour où le président s'en va, il n'y a personne pour être président à sa place. »
Il paraitrait aussi que c’est le jour où on les tond que certains moutons se rendent compte pourquoi les bergers les ont protégés du loup. Une vie dédiée toute entière à faire barrage à l’extrême-droâte ? Vautrin y aurait vu pour son Emmanuel un destin tout tracé mais la Constitution, pour l’instant, l’en empêche. Rien ne dit que rien ne change à l’avenir, mais le présent est à la fête, au soulagement, au couronnement du roi poudré qui saura sans nul doute reconnaître les siens et punir sans tarder les quelques millions de Gaulois réfractaires retranchés dans la hutte d’Assurancetourix. Ave Cesar, glorieux vainqueur, vaccinori te salutant.
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