Le scandaleux massacre des bouquetins du Bargy (1/4)
Analyse, en quatre parties, d'un scandale environnemental touchant un animal emblématique et protégé. Pour certains responsables, détruire des espèces animales abaisse significativement le risque de transmission de nombreuses maladies. Peu importe qu’un risque soit minime : tant qu’il n’est pas nul, il faut l’abaisser !
I. Le Bouquetin, un animal emblématique et protégé
Représenté dans les grottes de Lascaux, le Bouquetin des Alpes, Capra Ibex, est un mammifère ancestral qui fascine les hommes depuis des millénaires. Durant l’époque préhistorique, le Bouquetin, animal de la roche, était présent partout en France, à l’exception du bassin parisien. (G2, p°5) Après l’invention de l’arbalète, puis de l’arme à feu, le Bouquetin des Alpes a complètement été éradiqué du territoire français, et a failli disparaître de la surface de la Terre au XIXème siècle.
Suite à la décision, en 1856, du Roi d’Italie Victor-Emmanuel II de protéger les derniers individus de la vallée d’Aoste, le Bouquetin des Alpes a échappé à l’extinction, et a pu être réintroduit dans quelques massifs. Aujourd’hui, le Groupe National Bouquetin (GNB) compte, en France, une quarantaine de populations pour environ 10 000 individus. L’arrêté ministériel du 17 avril 1981 interdit la chasse « en tout temps » de ce paisible et bel animal devenu emblématique des montagnes. (D1) À l’échelle européenne, les bouquetins sont protégés par la Convention de Berne. (D2)
Pour le GNB, « bien que le sauvetage du Bouquetin [des Alpes] puisse être considéré comme une réussite majeure de la Protection de la Nature, il a cependant reposé bien souvent sur des pratiques « d’apprentis sorcier » qui ont parfois grevé les bénéfices des efforts de réintroduction. » (G2, p°5) À l’inverse, le Bouquetin des Pyrénées, Capra Pyrenaica Pyrenaica, n’a pas résisté à la pression humaine. (G2, p°5)
L’Histoire démontre que face à l’Homme, les bouquetins sont très fragiles ; leur statut de protection est amplement justifié.
II. Une décision d’abattage drastique liée à la découverte d’un foyer de brucellose
Malgré cette protection, en Haute-Savoie, dans le massif du Bargy, l’Etat a récemment ordonné l’éradication de tous les bouquetins âgés de cinq ans et plus. (P1) Les 1 et 2 octobre 2013, 197 bouquetins ont été abattus ; ce qui pourrait représenter 68% de la population de bouquetins du Bargy. Pour cacher aux yeux du public le massacre de ces animaux protégés, un arrêté préfectoral a interdit l’accès et le survol du massif durant plusieurs jours. Cent dix gendarmes, disposés sur les routes et chemins, ont bouclé le périmètre. De nombreuses carcasses ont été évacuées par hélicoptère, et les bouquetins suspendus dans le vide ont défilé au-dessus des têtes des habitants du secteur. (P2)
Par la suite, des opérations plus discrètes ont été menées par de petits groupes de tireurs. Le 24 octobre, un randonneur a observé aux jumelles l’abattage de 27 bouquetins. (B1) Il était accompagné d’un groupe de plusieurs personnes, et il n’est pas difficile d’imaginer à quel point le massacre fut insupportable à voir. Cette décision d’abattage aura de lourdes conséquences économiques au niveau local, car le tourisme est le premier moteur économique du Bargy. (A1, p°15) Le Bouquetin est un animal emblématique facile à observer, son attractivité touristique est forte, et ce massacre marquera les mémoires.
Cette décision d’abattage est consécutive à la découverte, en avril 2012, d’une souche de Brucella, bactérie responsable de la brucellose, dans le lait d’une vache. Depuis cet événement, des investigations ont été conduites, et ont permis de détecter la présence de brucellose chez une minorité de bouquetins. L’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail (ANSES) émet l’hypothèse que les bouquetins aient pu jouer le rôle de réservoir et assurer un relais silencieux entre le dernier foyer domestique de brucellose (1999) et le foyer de 2012. (A1, p°1)
III. La brucellose : nature de la maladie et traitement
« Chez les animaux, la maladie est généralement bénigne et l’animal infecté ne présente que peu de signes. Elle donne lieu cependant à des avortements ou à un échec de la reproduction. Généralement, les animaux guérissent et réussiront à donner naissance à une descendance vivante après un premier avortement. » (S10)
La brucellose peut infecter l’humain lorsqu’il consomme des aliments au lait cru. En 2012, un enfant d’une famille d’éleveur a ainsi été atteint de brucellose. La consommation d’un produit laitier non-pasteurisé est à l’origine de la contamination. Cette maladie à déclaration obligatoire, très rare, peut être soignée chez l’homme. La brucellose peut s’exprimer de multiples manières : elle peut être asymptomatique, mais peut aussi se compliquer. Lorsque la brucellose n’est pas traitée, son taux de létalité est inférieur à 5%. La transmission interhumaine est quasi inexistante. (S1)(S2)(S7)
« Non traitée, la brucellose [chez l’Homme] peut devenir chronique et être responsable d’une atteinte invalidante des articulations en particulier. » (S8) Dans environ 68% des cas symptomatiques, il n’y aurait pas de complication, c’est-à-dire pas de focalisation de l’infection. Le cas échéant, c’est, en général, une articulation qui est touchée, et très rarement des organes vitaux. (S9, p°18) « Le traitement se fait par des antibiotiques et, dans la plupart des cas, les symptômes disparaissent après quelques semaines. » (S6)
En somme, si la brucellose est une maladie sérieuse, elle est rarement mortelle ; et dans la majorité des cas, les antibiotiques sont efficaces et préviennent les complications. En guise de comparaison, d’autres maladies peuvent être transmises à l’homme par des animaux (zoonoses), notamment la toxoplasmose congénitale (par le chat), des septicémies consécutives à des morsures (par le chien), l’échinococcose (par le renard), la maladie de Lyme transmise par des tiques portées par les chats et les chiens, etc. On notera, d’une part, que ces maladies ne sont pas à l’origine de campagnes d’abattages massifs d’animaux, d’autre part, que si la rage a aujourd’hui disparu du territoire français, c’est grâce à la vaccination, et non pas suite à l’éradication des chiens et des renards.
IV. Brucellose chez les bouquetins : un risque minime pour la santé humaine
Les experts de l’ANSES estiment que le risque de transmission du bouquetin aux troupeaux domestiques est extrêmement faible. (A1, p°2 et 15) L’absence d’infection parmi tous les troupeaux de ruminants domestiques éventuellement exposés a été démontrée en automne 2012. Sur 12 118 animaux testés, aucun ne s’est révélé positif. (A1, p°2)
Il n’est pas absolument certain que le bouquetin soit à l’origine du foyer bovin détecté en 2012. « Le seul passage identifié de la brucellose à un bovin est intervenu dans un site (…) pour lequel le contexte épidémiologique (troupeau bovin dans un parc clôturé, cantonné en périphérie de l’exploitation, loin des zones de passage des bouquetins ou même simplement de leur habitat potentiel) est éloignée d’une logique de transmission inter-spécifique. » (A1, p°13)
Pour les experts, les bouquetins se contamineraient essentiellement par voie vénérienne (A1, p°2) ; et le risque de transmission aux vaches et aux moutons est extrêmement faible. (A1, p°2) Il faut insister sur le fait que les bouquetins vivent au-dessus des forêts, à des altitudes où la faune est rare. Ils ne sont généralement pas en contact avec les bovins. (A1, p°14) Toutefois, même si par accident, une interaction se produisait, la contamination d'une espèce à l'autre se produit vraisemblablement par le rarissime biais de l’ingestion d’aliments souillés par des produits d'avortement. Or, pour avorter, les bouquetins auraient tendance à s’isoler dans des zones rocheuses peu accessibles aux autres animaux. (A2, p°7 et 8) Pour l’ANSES, la survie de la bactérie dans l’environnement « est sans doute assez courte dans un milieu montagnard ouvert et en général très ensoleillé » (A2, p°8), milieu radicalement différent d’une étable.
L’ANSES estime que le risque de transmission de la maladie aux espèces sauvages est également extrêmement faible. (A1, p°8 et 15) Ainsi, des prélèvements sanguins ont été effectués sur 44 chevreuils, 30 cerfs et 55 chamois. Sur les 129 animaux, un seul était positif : un chamois. (A1, p°8) Il est vrai que les chamois et les bouquetins fréquentent souvent les mêmes zones. Toutefois, la transmission bouquetin – chamois semble exceptionnelle ; et les experts estiment qu’un chamois contaminé est peu contaminant. « Pour le chamois, (…) les cas rapportés d’infection par Brucella melitensis sont rares (…) et cette espèce est décrite comme transmettant peu la maladie du fait de sa grande sensibilité : l’individu atteint présente rapidement une atteinte clinique grave (difficultés locomotrices, troubles neurologiques, perte de l’instinct grégaire, etc.), ce qui contribue sans doute à un faible niveau potentiel de transmission, tant au sein de l’espèce qu’aux autres espèces sensibles. » (A1, p°8) Cette donnée est confortée par le fait que la prévalence de la brucellose chez les chamois avoisinerait les 2% après plus de 14 ans de contamination chez les bouquetins. (A1, p°8) [Note : la prévalence est « le pourcentage d’animaux contaminés ».]
Les experts concluent que « le bouquetin est, à ce jour, la seule espèce sauvage présente sur le Massif du Bargy identifiée comme réservoir primaire de la maladie ». Le risque d’extension de la maladie aux autres espèces est minime. (A1, p°8)
Les humains se contaminent principalement par le biais de lait non-pasteurisé ; et pour qu’un humain soit contaminé, il faut d’abord que la barrière de transmission du bouquetin à un animal domestique soit franchie ; ce qui constitue une très faible probabilité. (A1, p°29) Sachant désormais que des bouquetins sont infectés, le risque de contact vache – bouquetin devient encore plus faible du fait de la mise en place de règles de vigilance relatives aux positionnements des troupeaux de vaches. (A2) Si jamais le réel défiait les statistiques et qu’une vache se contaminait, il y aurait 40 à 80% de chances qu’elle n’excrète pas la bactérie dans son lait, et qu’elle ne soit donc pas « contaminante ». (A3, p°3 et 9) Soulignons qu’à présent, des contrôles bactériologiques sont effectués sur le lait ; ce qui réduit considérablement le risque de transmission vache – humain. (A2) De plus, la bactérie serait inactivée par le processus d’affinage du fromage (du fait de l’acidification lactique) ou par la pasteurisation (c’est-à-dire par une chauffe du lait à 70°C durant quelques secondes). (C1)(A3, p°12)(W2, p°3)
Considérant l’ensemble de ces éléments, l’ANSES a estimé que le risque représenté par les bouquetins pour la santé humaine est minime ; et n’a absolument pas confirmé l’urgence à agir. (A1, p°29 et 33) Toutefois, en contradiction avec l’avis des experts, le Préfet de la Haute-Savoie a estimé qu’il était urgent d’agir, et d’abattre plus de 220 bouquetins avant le 1er novembre 2013. (C1)(A1)(P1)(P2)(B1) La mesure est totalement disproportionnée. Simple anecdote ou fait révélateur : avant d’occuper sa fonction, le Préfet de la Haute-Savoie a été chargé, en 2010, de gérer un autre dossier sanitaire controversé : celui de la grippe A (et des millions de vaccins inutiles). (P3)
A suivre... En attendant, n'oubliez pas la pétition :
http://avaaz.org/fr/petition/Petition_Stop_a_labattage_des_bouquetins_du_Bargy
Texte et photos : Matthieu Stelvio ; Sources sur : http://lebruitduvent.overblog.com/
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