Le scribe qui se prend pour le pharaon
Bon, ça y est, on y est : on sait enfin qui dirige la France. Et ce n’est pas notre président, toujours en campagne ou tout occupé à courir la gueuze chansonnesque, ni Claude Guéant, dont la tâche essentielle consiste à minimiser la cacophonie ministérielle, où à mettre des fleurs sur le bureau de Cécilia Sarkozy. L’homme qui dirige la France est avant tout un grand oublié du pouvoir médiatique, et ce ne peut donc être notre fantasque président, qui enchaîne les unes de journaux tout à sa gloire. L’homme qui dirige véritablement la France est Henri Guaino, l’homme par qui les surprenants et déroutants discours présidentiels arrivent.

Dans cette étonnante interview, notre stylo insensible (nous ne pouvons parler de plume à ce stade) explique d’emblée pourquoi avoir ainsi pillé Edgar Morin. Sa raison est simple et atterrante : tout simplement pour servir d’écran de fumée aux problèmes actuels rencontrés par le gouvernement qu’il soutient et dont il fait partie. A la question "Quelle était la nécessité pour Nicolas Sarkozy d’appeler en ce début d’année à une « politique de civilisation » ?" il répond "Celle de tracer une perspective, de fixer un dessein après sept mois d’intenses réformes. Durant les sept derniers mois, il a fallu prendre tout de suite des décisions, ouvrir des chantiers, mais il était nécessaire au seuil de cette nouvelle année de définir la deuxième phase" De réformes de "fond", beaucoup s’accordent à dire qu’on n’en a pas encore vu vraiment la couleur et encore moins les effets, il est donc pénible d’entendre dire qu’on passe déjà à autre chose. "Circulez, il n’y a déjà plus rien à voir", aurait dit un comique. Sarkozy devenant l’homme des grands projets abandonnés par la grâce de son plumitif, qui vient de lui trouver un dérivatif capable de tenir des mois, tant est vague la notion phare utilisée, celle de "civilisation", empruntée on le sait (et déjà déformée) à un philosophe contemporain.
Guaino est un homme inquiétant, car sa pensée profonde révèle la mainmise souhaitée sur les esprits et non pas sur les individus seuls. "Méfiez-vous de Guaino, il est dangereux", avait dit un jour de lui Édouard Balladur... à Nicolas Sarkozy lui-même. Quand il parle de l’école, en particulier, ce n’est pas pour rien : "L’école, par exemple, ne se résume pas à une simple question de gestion - décentraliser ou non, améliorer le statut des professeurs ou en diminuer le nombre, etc. La vraie question est de savoir ce que nous voulons transmettre à nos enfants, quel projet éducatif est le nôtre, quel idéal humain nous leur proposons. Si gouvernants et gouvernés n’écrivent pas ensemble cette histoire, comment mobiliser les énergies ?" Le coup de l’école sans professeurs pour formater les cerveaux aux désidératas du pouvoir, et rien d’autre, sonne étrangement comme une idée issue de la période qu’il hait profondément : celle des gardes rouges de Mao et de leur petit livre rouge de recettes à devenir le plus obséquieux possible avec l’homme à la tête du pays. La "tentative Moquet" d’imposer dans les esprits des élèves directement les directives présidentielles ressemble comme deux gouttes d’eau à la distribution obligatoire du petit livre rouge. Et cela, bien entendu, n’a pas été jusqu’ici présenté de la sorte. Sauf par les enseignants qui ont osé se rebiffer contre une directive qu’ils jugeaient malsaine.
Guaino est un homme tendancieux, car il se targue d’économie, en n’ayant aucune connaissance sur le sujet : "La
dynamique du pouvoir d’achat se joue aussi dans les mécanismes du
partage de la richesse produite. Nicolas Sarkozy a proposé une
véritable révolution de la participation et de l’intéressement au nom
de l’équité entre l’actionnaire et le salarié. C’est de la politique de
civilisation et, en même temps, c’est du pouvoir d’achat. Il en va de
même pour les 35 heures : réhabiliter le travail en combattant les
politiques malthusiennes, c’est de la politique de civilisation, parce
que le travail, c’est une valeur". Parler de "partage"
alors que le pouvoir en place a choisi dès son accession de favoriser
les plus riches en dit long sur l’hypocrisie qui y règne. Les "politiques malthusiennes" dont
parlent Guaino n’existent que chez lui : encore un peu, et il nous
décrirait la France des années d’avant comme la Chine de Mao, encore
une fois, qui semble hanter le personnage. C’est bien en cela que sa
pensée sent si fort le Vichy : en reliant la notion de valeurs à
des considérations matérielles, en rappelant à chaque instant le
leitmotiv de la France de Pétain qu’était le "Travail Famille Patrie".
Ce n’est donc pas un hasard s’il parle de Malthus : pour notre "crayon",
les valeurs fondamentales sont celles tournant autour de la famille
classique, ce qui est assez amusant à voir de la part de celui qui
conseille un président de famille recomposée qui vit une vie privée
plus proche du soixante-huitard attardé qu’autre chose, et qui lui-même vit une aventure amoureuse récente, plutôt soixante-huitarde, avec une dame de dix-sept ans sa cadette, déjà mère de deux enfants, décrite avec moult détails dans un numéro de Paris-Match (n° 3 050 du 31 octobre dernier). Guaino, 50 ans, vient tout juste d’être papa.
Guaino est un homme à l’enthousiasme fébrile, car ses envolées lyriques dénotent une propension évidente à se prendre et à prendre son leader pour un nouveau "leader maximo". C’est étonnant, à ce stade, combien la période des années 70 a été vécue par Guaino comme une frustration, pour que suinte de ces propos, à chaque fois, un air de revanche sur les années marquées par des leaders qui ont tous dérivé vers des pouvoirs forts, après avoir séduit un bon nombre d’individus avec des propos lénifiants... ce qu’on constate déjà aujourd’hui en France, et un rédacteur en chef vient clairement de se le faire vertement remarquer. Chez Guaino l’enflammé, ça devient : "C’est d’ailleurs la quintessence même de la mentalité des hommes de la Renaissance. Les traces qui nous restent des grandes périodes du capitalisme, de la prospérité, de l’invention sont à Venise, Florence, Bruges, Amsterdam. Regardez aussi ce qu’a été la France de la révolution industrielle ou celle des Trente Glorieuses". Nous dirions une histoire mal digérée plutôt, par notre craie présidentielle, un grand fan de la période napoléonienne restant figé en histoire sur le début du XIXe, époque qui a vu un capitalisme sauvage et triomphant s’installer. Guaino voudrait refaire travailler des enfants de 5 ans dans les galeries de mine qu’il ne faudrait pas s’en étonner. Il nous trouverait bien un moyen pour expliquer que c’est ça ou les 35 heures. Guaino, qui dans la vie courante est tout sauf un drôle, ne peut en effet avoir de loisir. La seule photo qu’on ait de lui à l’extérieur d’un bureau, c’est assis sur un banc, l’air absent (en dehors des publi-reportages récents sur sa toute récente progéniture). Son enfance a été morne et triste (l’homme n’a jamais connu son père), autant donc que celle de ses concitoyens ressemble à un carreau de mine. L’homme de la "Sottise des modernes" préfère les temps de Zola et de Germinal, sans nul doute.
Guaino est un homme omniprésent dans le propos présidentiel, car il a des idées sur tout, ce qui lui permet de séduire un président qui n’en a aucune sur rien. Ou qui ne peut que répéter à l’infini ce qu’il a déjà fait, comme de racheter la même bague ou aller sur les mêmes lieux où il s’était fait crucifier, pour ne pas dire cocufier. "D’une manière générale, la France a raté sa modernisation, dans les institutions, l’économique, l’éducation, la recherche." A partir de ce constat totalement négatif, on ne peut qu’être bon : on comprend combien dans ce cas il faille charger la mule de Mai-68 : si rien ne va aujourd’hui, ce n’est pas la faute de celui qui dirige, c’est la faute du précédent, voire des précédents. Encore une fois, Guaino emprunte à la période honnie : c’est la technique Kroutchev des trois enveloppes de directives, la dernière consistant à tout mettre sur le dos du prédécesseur. Guaino, c’est Kroutchev dénonçant les crimes de Staline pour mieux reprendre la main et embarquer le pays... vers les mêmes erreurs, ou presque.
Guaino, "Le crayon qui se prend pour une plume" enfin est une personne non dénuée de duplicité. A la question "Certains vous accusent d’être le gourou du président..." il répond "Il y a des imbéciles partout." Or
chacun sait que les discours présidentiels, à quelques exemples prêts
(en particulier le mémorable discours devant le Congrès américain rédigé par
Levitte, qui avait fait mettre en fureur Guaino) sont tous de sa main
et que le président ne s’octroie que peu de divergences avec
l’original (à part une propension évidente
à remplacer les "on" par des "je"). Guaino va plus loin encore, qui s’imagine supérieur à Nicolas Sarkozy. Car pour finir
en beauté, à une seconde question nettement plus perfide posée sur son pouvoir réel ("Diriez-vous, comme Dominique de Villepin parlant de Chirac, que vous « gérez le cerveau du président » ?), l’homme s’emballe et finit par dire "J’ai besoin de respecter, d’estimer les gens avec lesquels je collabore."... Un très étonnant aveu d’une personne que l’on peut estimer passablement éprise de
pouvoir et imbue d’estime de soi, qui décrète sans sourciller que le
président n’est donc que son simple... collaborateur !!! On avait bien
repéré depuis longtemps ici même chez notre Pantabille trois couleurs
(bleu-blanc-rouge ?) des relents de propos d’un autre âge... Ce qu’on
ignorait, jusqu’à cette interview, c’est que les Français avaient élu
Henri Guaino président de France. Jusqu’à Nicolas Sarkozy, dont
l’équipe d’ingénieux communicants devrait songer à lui apprendre qu’en
définitive, il n’est qu’un des collaborateurs d’un homme "à l’écriture poussive et à la culture moyenne" (selon P. M. Couteaux, un de ses anciens collègues) qui se prend depuis toujours pour un grand écrivain. Pour un homme qui a déclaré un jour "Encore que je ne comprenne pas bien ce que le mot ’collaborateur’ peut avoir d’infamant"... c’est un aveu de taille, cette interview du nègre présidentiel colonialiste qui se prend pour le négrier. Comment donc un simple scribe peut-il s’arroger ainsi la place du pharaon ?
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