Le sillon du MoDem : une vraie révolution citoyenne, si...
Indépendamment de sa faiblesse parlementaire, le Mouvement démocrate
incarnera une force authentiquement « révolutionnaire » si François Bayrou
tient son cap, creuse son sillon et muscle ses « cadres » qui doivent
orchestrer ce qui est d’abord un choc culturel. « Plus rien ne sera comme avant
», avait-il lancé le soir de son éviction de la présidentielle : l’épreuve de vérité
commence dès maintenant...
Une épreuve riche de conséquences pour la France, mais aussi
pour l’Europe. Le MoDem est le seul parti politique français "eurodéterminé"
qui intègre la "dimension européenne" dans tous les volets de ses réflexions
et de son projet. La mobilisation autour de la Révolution orange est d’ailleurs
suivie de près chez nos partenaires.
Le MoDem, cet emmerdeur...
Preuve est faite depuis le début de cette année électorale :
le MoDem est un emmerdeur. Pour la droite, pour la gauche, pour les Verts, pour
les archéo-centristes et pour une grande partie des commentateurs politiques
qui, en fait, sont plus des agents de conservation du système en place que des
détecteurs d’évolutions, des esprits renifleurs d’un avenir par définition « écrit
nulle part »...
Le MoDem, c’est quoi ? Une vraie rupture, au sens plein du
terme. Ou plutôt une série de ruptures qui s’additionnent, se multiplient, s’entremêlent.
C’est en cela que Bayrou a raison de parler de « révolution ». Une révolution
sereine et calme mais qui peut marquer durablement l’Histoire. Une révolution
citoyenne et culturelle.
Rupture politique : Les « partis du centre » étaient condamnés,
par notre système présidentialiste binaire, soit à s’excentrer, en « tombant à droite
» soit à s’éventrer ou s’écarteler (la famille radicale le sait bien), en
servant d’alibi aux fausses « politiques d’ouverture » à la droite ou à la
gauche, en fonction des locataires de l’Elysée et de Matignon.
Depuis la fin du MRP (qui, lui, a su longtemps avoir deux
yeux, deux oreilles, deux mains, deux pieds pour servir des valeurs de liberté,
de résistance et de solidarité sociale), le centre a d’abord été une réserve de
« forces d’appoint », avec des « cocus de l’ouverture » sur des strapontins...
Un « milieu » où des « centristes » (« sangs tristes », écrivait
Pasqua) guidés par les lampions des pouvoirs en place oubliaient trop que « modération
» doit rimer avec « conviction » et non avec « dilution », « absorption », « renonciation
»... et non, surtout, avec carriérisme.
Edgar Faure, par ailleurs si riche de qualités, a eu tort de
donner trop facilement bonne conscience à trop de grenouilles du marais
centreux avec son constat d’observateur du ciel : "Ce ne sont pas les
girouettes qui tournent, c’est le vent"...
Fini le temps du "cul entre deux chaises" ou du
centrisme borgne ? Espérons. Voici le "centrisme " de la "troisième
chaise", comme dit Bayrou, et de la vue large et profonde ? Espérons. Sinon, le "nouveau tiers état" si bien analysé par Bayrou fera une autre révolution, moins calme et moins sereine, et plus illusoire et périlleuse.
Le centre central, « l’extrême centre révolutionnaire », a l’ambition
de jouer le rôle d’un vrai ... centre, donc de pivot. D’un carrefour, non d’un
rivage de secours... « Se dire de droite ou de gauche, c’est prendre le risque
de l’hémiplégie », souriait Raymond Aron, qui a eu si souvent raison contre
Sartre et qui a été si mal compris par la droite et si défiguré par la gauche.
Rupture démocratique : « Le pire des régimes à l’exception
de tous les autres », comme le constatait Churchill, est un jardin à cultiver
en permanence. La démocratie ne se réduit pas à un mode de sélection d’élites
plus ou moins représentatives, ni aux lois d’une majorité par définition
changeante, ni en quelques campagnes électorales, ni à la convocation plus ou
moins régulière des citoyens aux urnes, ni à la soumission à la dictature
populiste des sondages, aux mirages médiatiques de l’info-spectacle, aux lois
de cette "doxocratie" exploitée par une oligarchie masquée
logiquement plus conservatrice et corporatiste que progressiste (qu’elle soit
de droite ou de gauche)...
"La République est une idée, la République est un
principe, la République est un droit. La République est l’incarnation même du
progrès". Victor Hugo, Choses vues
- Elle est grille de valeurs non proclamées mais
respectées : le Conseil de l’Europe vient de le rappeler opportunément dans le
silence politico-médiatique qui caractérise tant cette France de l’autosatisfaction
qui ne supporte pas le regard critique de ses voisins : "Il n’y a pas de démocratie
authentique sans oppositions fortes et respectées."
- Elle est prise en compte réaliste des inévitables
« rapports de force », non pour que les plus forts, les plus puissants ou les
plus nombreux imposent leurs lois aux plus faibles, mais pour que les relations
humaines reposent sur des valeurs partagées. Des valeurs qui ne prennent du
sens que par le droit quand ce droit est mis au service de la justice (ce qui
loin d’être la règle commune). Des valeurs qui s’épanouissent quand on applique
la recette de Monnet et Schuman : "Marier la nécessité et l’idéal".
- Elle est exigence d’informations, de pédagogie, de
débats, de « limages de cervelles », comme disait Montaigne.
Des informations ? Oui, mais qui ne s’apparentent pas à cette
propagande, déclarée ou masquée, qui selon Noam Chomski, « est aux démocraties
ce que la violence est aux dictatures ».
Des débats ? Oui, organisés mais ouverts, qui ne se résument
pas à des offices d’officines... « Quand tout le monde pense la même chose, c’est
que personne ne pense », avait lancé Bayrou en rompant avec l’unanimisme cultivé
artificiellement dans la coalition UMP... C’est dans cet esprit que Chantal
Cutajar vient de lancer ses Conférences de citoyens de Strasbourg.
« Nos démocraties électives ne sont pas des démocraties représentatives
», regrettait Paul Ricœur. C’est encore plus vrai dans la France d’aujourd’hui.
Et cette « démocratie représentative » à reconstruire doit être intrinsèquement
participative, délibérative, consultative, constructive. Vivante. Donc (ce n’est
pas une évidence pour tout le monde) pleinement citoyenne.
Le constat de Jacques Derrida doit être, au MoDem, un vrai
mot d’ordre, et une préoccupation permanente : « Etre démocrate, ce serait agir
en reconnaissant que nous ne vivons jamais dans une société assez démocratique »...
Rupture éthique et morale : la démocratie élective telle que
nous la pratiquons n’est qu’un mode de sélection des « élites ». La démocratie
effective est d’abord une grille de valeurs. Des valeurs qui n’ont de sens que
dans des actions qui les illustrent, les concrétisent, les incarnent. Pour
reprendre le mot que Chantal Cutajar a érigé en devise personnelle, ce qui doit
être prioritaire, c’est « l’utile et le juste », deux mots indissociables en
politique. Des mots qui ne sont ni de droite ni de gauche. Et qui reflètent
bien la finalité du MoDem. L’une de ses raisons d’être, même. Avec ce que
Bayrou incarne bien actuellement par ses rébellions pacifiques, son esprit de résistance et sa ténacité : En politique, la morale ne doit pas se découper en tranches.
« Pour moi, morale et politique doivent être synonymes » confiait
Pierre Pflimlin. Et, en politique, la morale doit précéder et dépasser le droit.
Le « réenchantement » de la politique passe par là. Par cette exigence. Et par
cette pratique.
Rupture philosophique : La droite met en avant la liberté,
la gauche privilégie l’égalité. Le centre veut lier les deux. Par cette fraternité sans laquelle liberté et égalité restent antagonistes,
inconciliables. Par cette prise en compte de la personne, cet individu reconnu
comme porteur d’une transcendance, d’une « égale dignité », d’une « irréductible
liberté » trop souvent réduit à une carte d’identité, à un numéro, à une étiquette,
à un dossier, voire à une marchandise...
Ce n’est pas un hasard si Bayrou, porteur des valeurs du
christianisme social, de l’esprit laïc et républicain et des idéaux que
recouvre l’expression "principe d’humanité", se recommande volontiers
de Jacques Maritain et des philosophes dits « personnalistes ». Des philosophes
trop oubliés, y compris dans les facs de philo où la mode reste à d’autres
courants de pensée qui, à force de décortiquer le nihilisme, finissent par le
propager. Et qui ont tant contribué à ce que Finkielkraut appelait voilà près
de quinze ans « la défaite de la pensée ». Une défaite accentuée par le primat
de l’image sur le mot, du paraître sur l’être, du virtuel sur le réel.
Ce retour en politique du personnalisme implique une « déconstruction
», selon l’expression de Jacques Derrida, de ce que recouvre cet « humanisme » plus
proclamée qu’analysé et des « doxa » du XXe siècle. Le « Centre central » implique
une philosophie du doute, du questionnement, de l’interrogation. « Une
philosophie érigée en système cesse d’être philosophique », soulignait Paul Valéry.
Il implique aussi une philosophie d’action qui donne la
priorité à une finalité claire : améliorer le bien-être de la communautés des
femmes et des hommes, un bien-être qui doit être élargi au plus grand nombre et
être durable, au-delà du présent. "Un politicien pense aux prochanes élections,
un homme d’Etat pense aux prochaines générations". Nous manquons d’hommes
d’Etat.
Il implique encore et surtout peut-être une philosophie qui
repose sur la perfectibilité de l’homme et de la société. "La seule
perfection de l’homme, c’est sa perfectibilité", disait André Neher. On n’y
songe pas assez. Comme on oublie trop, croyant ou non, le mot de Bernanos : "Les
seules mains de dieu, ce sont les nôtres".
Rupture économique : La droite privilégie l’efficacité, la
compétitivité, la production de richesses. La gauche donne la priorité à la qualité
de vie partagée, à la solidarité, au partage des richesses (même inexistantes).
Le centre veut agrandir le gâteau pour mieux le partager. Comment ? En
repensant le libéralisme économique, trop diabolisé à gauche, où l’on oublie
que "libéral" vient de "liberté", et
trop caricaturé à droite où l’on oublie que « la main invisible » ne régule le
marché que si des règles du jeu précises et bien lisibles sont respectées. Et
que l’argent les valeurs marchandes ne sont que des moyens, non des fins. Le
capitalisme n’est pas un cannibalisme.
Rupture sociale : Pour la droite, le « social » reste de l’ordre
compensatoire du caritatif, de la charité. Pour la gauche, il demeure de l’ordre
protecteur de l’étatisme et de l’assistanat. Pour le centre, le social s’inscrit
dans l’ordre de la justice, allie protection et promotion et devient la finalité
même de l’efficacité économique. « Remettre l’homme, le principe d’humanité, au
cœur de toute action » : ce n’est pas un vœux pieux. C’est un programme d’action.
Rupture programmatique : A droite comme à gauche, on a pris
l’habitude (comme dans les programmes scolaires et universitaires, d’ailleurs) de
découper les problèmes en tranches, les champs d’activités en parcelles, les
politiques en secteurs. Le temps des cases, des étiquettes, des rayonnages, des
oeillères, des frontières intellectuelles, des « spécialistes », des « experts »...
Tout ne doit évidemment pas être dans tout n’importe comment
: c’est l’évidence. Le niveau des connaissances, la variété des activités, la
diversité des problèmes à régler et des défis à relever imposent des
classements, des rangements, des spécialisations. Mais le politique, par définition,
pour reprendre une métaphore d’Edgar Pisani, est un médecin généraliste : il
doit s’occuper de l’ensemble du corps social, de tout l’organisme, et non d’un
ou de quelques organes...
Un programme politique ne doit donc pas être un catalogue de
mesures, de promesses, d’engagements. Il doit d’abord être un projet cohérent,
avec la prise en compte de données verticales et horizontales, de dimensions
qui s’imposent dans tous les secteurs et à tous les niveaux.
C’est ce qui a fait la véritable originalité du « projet présidentiel
» de Bayrou, une originalité bien mal mise en relief par des commentateurs trop
figés dans des schémas dépassés. Une originalité qui ne l’a pas condamné aux
oubliettes avec sa non-réussite électorale. Lier l’économique, l’écologique et
le social. Tenir compte de la dimension européenne dans tous les domaines. Placer
l’éducation au cœur de toutes les actions. Globalité et cohérence. Avec des
modalités définies en fonction des finalités. C’est cela, entre autres, la
social-économie (plus chargée de sens et d’avenir que la social-démocratie), l’éco-économie,
la « démocratie sociale »...
Rupture étatique : Les débats entre le « trop d’Etat » déploré
par la droite et le « plus d’Etat » toujours réclamé par la gauche sont dépassés
: c’est l’art et la manière de construire un « mieux Etat », selon la formule d’Edgar
Pisani, qui importe.
Quel beau chantier ! Au-delà des frontières fatalement
mouvantes entre le « public » et le « privé » qui ne doivent en aucun cas se décider
par décrets, ce chantier engage toutes les forces vives du pays. Et il touche
les différentes formes de fonctions publiques, les découpages administratifs,
les structures nationales, régionales et locales, la mise en place d’une « société
civile organisée », le soutien au tissu associatif... Sans oublier les
auxiliaires indispensables à un Etat plus « éclaireur » et « stimulateur » que
gestionnaire : les structures de consultation, de coordination et d’anticipation
...
Quel crime d’avoir tué le Commissariat au Plan crée par De
Gaulle et Monnet ! Quelle faute d’avoir réduit le rôle et les moyens de l’aménagement
du territoire ! Quelle bêtise d’avoir transformé le Conseil économique et
social en « placard à sucettes » ! Quelle lacune de ne pas avoir un observatoire du futur chargé d’évaluer les conséquences directes et indirectes
des lois décidées ! Quelle honte de ne plus avoir (les fonctionnaires n’en sont
pas responsables) les thermomètres indispensables aux prises de température des
prix, de l’emploi, du chômage...
Ce « mieux Etat » implique également un assagissement de
notre délire législatif et de notre étouffoir bureaucratique et technocratique.
Il implique surtout un retour aux principes de base définis par ce cher
Montesquieu, plus cité que suivi : la séparation des pouvoirs est en France
aujourd’hui plus de type russe que de type américain...
"Penser libre", ce n’est pas simple... "De la
servitude volontaire" : La Boétie à rééditer...
Pris de vitesse par des évolutions sociales et sociétales qu’ils
n’ont pas vu venir, les éléphants en sont à courir après une social-démocratie
déjà modernisée par les vrais sociaux-démocrates européens, ceux qui n’ont pas
le complexe du "social-traitre". "Le train fantôme Vichy-Moscou",
pour reprendre une expression coproduite avec Philippe Sollers, n’a pas fini
de traverser nos villes... et nos partis de gauche et de droite.
Avec ces "si", le Mouvement démocrate va devenir
une force incontournable de contestations, de mobilisation et surtout de
propositions, indépendamment de la faiblesse (temporaire) de sa représentation
parlementaire.
La réussite du MoDem se jouera d’abord sur son aptitude à devenir
un parti d’un type effectivement "nouveau", un parti de citoyens ou
plutôt de militants d’une citoyenneté active, et non de petits notables aux
ambitions d’apparatchiks, de maîtres de chapelles ou de ce que de Gaulle
nommait "politichiens".
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