Le soi-disant corporatisme des enseignants
Au sujet de la grève massive des professeurs des écoles à Paris du 22 janvier dernier, contre la réforme sur les rythmes scolaires, un édito du Monde n’hésite pas à reprocher au corps enseignant de former un « corporatisme étriqué » et « lamentable ». Atlantico aboutit aux mêmes conclusions. Mais savent-ils au moins de quoi ils parlent ?
L’édito du Monde du 22 janvier dernier, « L’école, ou le triomphe du corporatisme », réaffirme la nécessité indéniable d’une réforme sur les rythmes scolaires en France. Il est d’ailleurs rappelé que cette mesure fait l’unanimité : « Enseignants, chercheurs, Académie de médecine, chronobiologistes, parents, parlementaires et ministres successifs l’ont répété : nous avons l’organisation du temps scolaire, particulièrement à l’école, la plus absurde et contre-productive qui soit. »
Mais pourquoi ce mouvement de grève des professeurs des écoles ? Selon le Monde, cette opposition s’explique simplement par le « triomphe du corporatisme », à la fois « étriqué » et « lamentable » des enseignants. Telle est la conclusion de cet article, qui n’hésite pas à faire la « leçon » aux professeurs : « Les performances médiocre de l’école française, attestées par toutes les enquêtes internationales, devraient plutôt inciter tous ses acteurs à se mobiliser, avant tout, dans l’intérêt des enfants. »
Dans la même vaine, Erwan Lenoan signe un article sur Atlantico, avec une vision tout aussi réductrice. Les syndicats ne souhaitent pas de réformes, car « le système leur profite ». Quant aux professeurs des écoles, « beaucoup n’ont aucune conscience de ce qui se joue vraiment. Mais ils sont tacitement complices. »
Pour Erwan Le Noan, cette opposition à la réforme repose sur le fait qu’ « ils vivent de et sur la bête ; il n’y a donc qu’une voie possible : l’engraisser toujours plus ». Il propose une solution miracle : « la manière la plus simple d’y parvenir, c’est de privatiser ! »
Cette vision corporatiste du monde de l’éducation révèle une complète incompréhension du sujet et une vision erronée du corps enseignant.
Remarquons déjà que les enseignants et syndicats ne s’opposent pas à un changement des rythmes scolaires, bien au contraire, mais sont contre la réforme qui est sur le point de les mettre en place. Les professeurs sont d’accord sur le fond, mais pas sur la forme !
Le mouvement de grève du 22 janvier a regroupé 95 % des professeurs des écoles de Paris (84 % selon la mairie). Il apparaît bien réducteur d’expliquer cette opposition massive au simple fait d’un soi-disant corporatisme.
Cette vision du corporatisme véhicule l’image d’un corps enseignant à la fois égoïste et incompétent, ne voulant simplement pas travailler plus. Ces tristes considérations réductrices montrent combien la question sur les conditions de travail des professeurs des écoles est ignorée. La réalité de la situation, omise par Atlantico et le Monde, est pourtant toute simple à comprendre.
Sans entrer dans trop de détails, il faut savoir que les professeurs des écoles donne 782 heures de cours par an, soit largement plus que la moyenne établie par l’OCDE de 782 heures. Seuls 4 pays font travailler leurs instits plus qu’en France…
Rappelons également que les enseignants français touchent des salaires nettement inférieurs à la moyenne établie par l’OCDE. Leurs revenus les situent à peine dans la fraction supérieure des classes moyennes, juste au dessus des infirmières et des techniciens, mais loin derrière les cadres supérieurs.
Pour finir, la réforme actuellement proposée par le gouvernement souhaite passer de 4 à 4,5 jours par semaine, sans qu’il n’y ait de réel allègement du temps passé à l’école pour les professeurs. En d’autres termes, ce n’est pas un simple changement de répartition, mais bien un ajout pure et simple de temps sur leur lieu de travail, et il en est de même pour les élèves.
En résumé, les professeurs des écoles en France travaillent plus que les autres et gagnent moins que les autres. Dans ces conditions, cette réforme est simplement une nouvelle dégradation des conditions de travail des enseignants. Dans ces conditions, qui voudrait travailler une demie journée supplémentaire, sans qu’il n’y ait aucune compensation horaire ou salariale ?
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