Le Terminator en question
Un principe inhérent à la vie est en voie d’être sacrifié sur l’autel de la propriété intellectuelle et du profit. Ce principe en voie d’extinction est le principe de continuité de la vie. C’est le principe même de la succession des générations.
L’humanité, donc, est à l’aube d’une révolution majeure.
Cette révolution fait écho à celle que fut la sédentarisation de l’humanité voilà 5 à 10 000 ans. À ce moment, une des conditions qui permirent cet enracinement à une terre, à un lieu, fut la maîtrise de l’agriculture.
Cette maîtrise fut d’imaginer qu’une plante et donc une moisson même acquise au gré des mouvements nomades, puisse être renouvelée chaque année. Les tribus et les clans avaient bien dû goûter aux plaisirs de la cueillette ; fruits, noix, graminées... Mais, une fois la récolte effectuée, ils expérimentaient la pénurie.
Quel événement a été à l’origine de l’idée de conserver une parcelle de la moisson de l’année en cours afin de la faire fructifier l’année suivante en la semant ? La question restera à jamais sans réponse. Toujours est-il que, de génération en génération, on a vu apparaître diverses sélections. Et se sont dégagées de grandes tendances, liées aux conditions climatiques, géographiques et génétiques de l’environnement dans lesquels s’étaient établies chaque groupe d’humains sédentarisés : blé, riz, orge, maïs, tubercules et légumes, arbres fruitiers et, bien sûr, l’élevage de bovins, ovins et autres équidés.
Quel effort que fut cette sédentarisation. Petits groupes malingres et fragiles contre clans errants et guerriers qui s’abattaient, sans pitié, sur ces embryons de civilisation, guerres entre clans sédentarisés pour une moisson, un lopin de terre, une poignée de graines inconnues... Un effort si grand que toute trace d’art pictural s’évanouira le temps de la maîtrise de cette sédentarisation. Lascaux, Chauvet... tous ces lieux furent visités par des groupes nomades. Les premiers sédentaires ne vivaient entourés que de matériels légers qui ne nous sont pas parvenus : vannerie, travail du cuir et de la corne, tout cela dans des cases ou des cabanes faites de paille, de bois et de torchis... Pour voir apparaître la poterie, qui permettra à nouveau l’émergence d’une forme de décoration et d’art, il faut un four. Pour avoir un four, il faut être installé durablement dans un lieu. Pour que cette installation soit durable, il faut se protéger efficacement des agressions, animales ou humaines... Il faut avoir des remparts, des armes, être en forme et en force et voir les générations se succéder et croître en nombre.
Et voilà que sur l’ensemble de la surface de notre planète et à peu près au même moment, l’humanité apprend à subvenir à ses besoins, par le biais de l’agriculture. Cette agriculture va présider au développement de l’humanité durant des millénaires. Ce développement sera vite soutenu par la maîtrise du façonnage des métaux. Et la technologie ne va plus cesser de se diversifier, donnant naissance à une multitude de civilisations. Certaines avec plus ou moins de réussite, certaines s’engouffrant dans des voix sans issues, d’autres, stagnantes, ne réussissant pas certains défis technologiques, d’autres encore s’enchaînant les unes à la suite des autres ; Sumer, Egypte, Grèce, Rome, Moyen Age, Renaissance, Période Classique et Lumières, Industrialisation par les énergies fossiles, puis nucléaires... et demain, qui sait !
Avec l’Ere industrielle et scientifique de notre civilisation, les horizons de la Connaissance humaine se sont étendus dans deux directions : l’infiniment grand et l’infiniment petit. Ces deux directions ont permis de répondre à quelques questions plus ou moins essentielles qui tarrodaient l’esprit de l’humanité. Des questions sur les origines, peut-être sur la destinée, en tout cas beaucoup sur le "comment" de la réalité que nous percevons. Et principalement sur le fonctionnement de la vie.
Or, un principe a été, jusqu’à ce jour, valable dans toute l’histoire de l’humanité. Ce fut le principe de continuité ou de transmission. Pour arriver jusqu’à aujourd’hui, l’homme a transmis à l’homme. Il lui a transmis son savoir, son expérience, ses erreurs, bien que dans ce dernier domaine le couperet de l’oubli tombe le plus souvent... Il lui a aussi transmis son patrimoine génétique. Cette dernière transmission étant applicable à toute forme de vie sur la planète. Ce principe étant d’autant plus important dans le domaine de l’agriculture et de l’élevage ; l’humanité n’a pu soutenir son accroissement qu’en améliorant, de génération en génération, les espèces qu’elle avaient sélectionné pour la qualité de leurs "services rendus"... en obtenant ainsi, et grâce aux apports de la technologie, des rendements toujours meilleurs. Et ces mêmes rendements ont permis cet accroissement incessant de l’humanité... et ainsi de suite !
Par ailleurs, toute personne un peu portée sur les "choses de la vie", et plus particulièrement concernant l’agriculture, sait qu’un caractère donné, se perd généralement à la génération suivante. En effet, nos champs et vergers sont principalement peuplés d’hybrides. Ces hybrides sont incapables de transmettre l’ensemble de leurs caractères qualitatifs, qu’ils soient gustatifs, nutritionnels ou autres à la génération suivante.
Essayez de planter un pépin de pomme Golden ou autre... vous n’obtiendrez qu’un vulgaire pommier, donnant un petit fruit souvent amer, en tout cas loin des qualités de son parent. Il en est de même avec une graine de blé ou de maïs. À la génération suivante, nombre des qualités de la graine mère seront absentes, dont le rendement. Ainsi, achète-t-on toujours des graines hybrides « neuves », année après année, aux semenciers.
Tout le monde ? Non, peut-être pas. Peut-être y a-t-il des petits malins qui gardent un peu de leurs récoltes de l’année courante en vue de les replanter l’année suivante. Peut-être sont-ils nostalgiques de leurs ancêtres qui n’avaient pas encore bénéficié des bienfaits de la technologie. Peut-être sont-ils trop pauvres pour se fournir en semences « neuves » ? Cette dernière logique concerne 1,4 milliards de personnes sur la planète.
Toujours est-il que, technologie ou pas, l’humanité peut d’année en année, récolter et planter... et ce, depuis la nuit des temps. Mais pas pour longtemps.
Ces dernières cent années ont vu les prémices d’un bouleversement majeur : la génétique. Depuis que l’homme cultive, il faisait de la génétique, sans le savoir. De manière empirique, soit, mais bien de la génétique par la sélection des meilleures souches de chaque espèce à sa disposition et par voie de croisement afin d’insuffler un caractère donné à une souche pourvue d’autres avantages. Avec les formes modernes des sciences de la vie, on a encore mieux compris ces phénomènes de sélection.
Durant la première moitié du XXe siècle, la découverte des gènes et des chromosomes a été l’apothéose de la compréhension de l’amélioration des espèces. L’étape suivante fut, avec la fin de ce même siècle, le décodage des génomes.
La maîtrise des techniques touchant à l’infiniment petit et des techniques sur le vivant ont ouvert des voix jusqu’alors closes ou inconnues : fécondations in vitro, opérations du foetus in utero, thérapies géniques... et bientôt amélioration des espèces par voie génétique. les OGM, organismes génétiquement modifiés, c’est-à-dire la modification artificielle du patrimoine génétique d’une espèce donnée par l’adjonction ou la correction d’un gène (exemples emblématiques : le porc qui produit de l’insuline humaine ou la vache qui produit de la soie d’araignée dans son lait à des fins industrielles...).
Dans l’ensemble du monde occidental, le débat fait rage depuis une dizaine d’année. Faut-il être pour ou contre les OGM. Faut-il utiliser dans l’agriculture des plantes OGM, avec, pour les détracteurs de ces mêmes OGM, le risque de voir passer dans la nature sauvage des gènes implantés artificiellement dans telle ou telle espèce, colza, blé, maïs... et à terme, avec l’éventualité de la perte de contrôle, un risque pour la biodiversité et l’équilibre de la vie sur la Terre. Les pourvoyeurs des OGM ne voient dans ses détracteurs que des épouvantails anachroniques que l’Histoire balayera en temps voulu. Des expériences de plantations OGM ont lieu un peu partout dans le monde. Le principe de précaution prévaut pour le moment, aucun politicien ne voulant être celui par qui les OGM se seront généralisés !
Au-delà du questionnement autour du gène de la résistance à telle ou telle maladie, tel ou tel insecte, tel ou tel insecticide permettant à la plante de toujours mieux pousser, se cache un autre enjeu, un autre gène. Les pourvoyeurs des OGM ont parmi leurs rangs et parmi leurs bienfaiteurs les grands laboratoires de recherches génétiques et les semenciers. Comme toutes entreprises à la pointe de la recherche, elles doivent faire face à des coûts de recherches toujours plus important. Donc, dans la mesure où ces entreprises ne sont pas que philanthropiques... elles attendent un retour sur leurs investissements. Alors dans leurs laboratoires, elles ont préparé un gène extraordinaire, ou terrible, c’est selon qui leur permettra d’assurer leurs revenus... le gène dit Terminator.
Ce gène fait de la plante sur laquelle il est « greffé » une plante stérile à la génération suivante. Il devient inutile de replanter les graines issues de la plante mère, ces graines sont programmées pour ne pas germer !
Le gène Terminator attend, sur les paillasses des laboratoires, d’être "implantés" dans le patrimoine génétique des futures semences de nos agriculteurs. Pourquoi ? Parce qu’avec la génétique et les OGM, la donne a changée. Les hybrides étaient difficilement brevetables et le fait de la non-transmission de l’ensemble des caractères à la génération suivante obligeait les agriculteurs à racheter des graines. Mais avec les OGM, les caractères sont fondus dans le bronze du génotype. La transmission devient automatique. Or ces gènes modifiés, ajoutés... créés à grands frais dans l’ombres des laboratoires privés sont protégés pour la plupart par des brevets. Qui dit brevet dit protection intellectuelle et industrielle et, bien sûr, redevances. Alors, pour être sûr que tout agriculteur qui se respecte, achète année après année des semences toujours neuves, toujours améliorées et toujours plus chères, les laboratoires et les semenciers ont imaginé le gène Terminator. Pour que les semenciers rentrent dans leurs investissements.
À cette affirmation catégorique, on pourrait y opposer l’absurdité d’une telle généralisation. "En Occident, peut-être, mais en aucun cas dans les pays en voie de développement...", nous dise les pourvoyeurs des Terminators pour rassurer les bien-penseurs de l’Occident.
Il reste néanmoins un doute. Fin mars 2006, le maintien du moratoire contre les semences "Terminator" a été voté. L’ONU se réunira à nouveau sur ce sujet en 2008. Reste à savoir si les voix favorables aux semenciers resteront minoritaires. Si leurs lobbies n’auront pas réussi à infléchir l’avis des pays votant.
Alors, ce qui motive ce réquisitoire, c’est la violence de l’idée même du gène Terminator. D’une part le risque qu’il fait courir aux peuples et aux nations, souvent parmi les plus pauvres, de perdre leur capacité d’auto-subsistance, au nom des règles commerciales. Certains parlent « d‘esclavage » de la part des semenciers sur les agriculteurs et les consommateurs, peu importe le continent.
D’autre part le fait de placer la loi du profit au dessus da la loi de la vie.
Sans même prendre en compte les études épidémiologiques de laboratoires plus ou poins indépendants, el les doutes que ces mêmes études n’arrivent pas à lever, l’idée que l’on puisse programmer artificiellement l’autodestruction d’une forme de vie est inadmissible. On commence par les plantes, pour justifier des investissements. Mais où s’arrêtera-t-on, une fois que les OGM concerneront des formes de vie animales ? Car c’est pour demain, les OGM animaux ! Rendra-t-on stérile une poule, un mouton ou une vache à qui l’on aura implanté un gène particulier et sûrement breveté ? Sans tomber dans une anticipation hystérique qu‘en à l’application d’un tel gène au règne animal, il est juste de raisonner en soutenant qu’une foi accepté par les opinions publiques, une évolution scientifique, technologique ou sociale devient un marchepied pour les suivantes.
Les réponses à ces interrogations et à ces doutes légitimes sont dans les laboratoires et dans les Parlements. Et sûrement encore plus dans nos bulletins de vote !
La question posée, il reste à la traiter. L’avantage du gène « Terminator » c’est que le sujet est tranché ! Alors que le sujet des OGM en général se prête à la polémique du fait de leurs possibles « services rendus » à l’homme.
Le propos n’est pas de faire le procès des OGM mais de se poser les questions des motivations des gens qui promeuvent les OGM et les déviances acceptées ou sous-jacentes inhérentes à ces comportements.
Scientifiques, nutritionnistes et spécialistes de l’agriculture et de l’agronomie, tous ont leur mot à dire sur un tel sujet.
Gouvernants des pays occidentaux et surtout des pays en voie d’émergence ont tout aussi intérêt à s’exprimer sur un sujet qui les touche au plus prêt.
Philosophes et sociologues eux aussi ont à nous interpeller sur un sujet qui aborde les fondements même de la vie.
Sommes-nous prêts à accepter ces évolutions. Acceptons-nous, qu’à plus ou moins long terme, la vie devienne corvéable à merci et de fait brevetable ?
En tout cas, Marie-Dominique Robin a apporté des éléments de réponses au sujet des brevets industriels applicables ou non au vivant, dans son documentaire Les Pirates du vivant (couronné par le Grand Prix du Figra 2006).
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