Le triomphe de la consommation : la victoire du système !
La principale leçon que le long épisode électoral du printemps dernier et son issue nous aient appris est sûrement celle-ci : le système sur lequel repose notre société se confond totalement et désormais ouvertement avec le modèle et les critères de la consommation. Il n’a donc jamais été aussi fort et fonctionnel que depuis le 6 mai, au niveau de tous les maillons institutionnels et sociaux d’un cercle du pouvoir irrésistible. L’exploit de Nicolas Sarkozy est d’avoir fait de la consommation un concept moral « anti-système » pour l’ériger fièrement en principe de réalité, au nom de la lutte du bien contre le mal. Il a donc réussi à faire du neuf avec du vieux en jouant en permanence sur la défense de la modernité et du progrès contre l’obscurantisme ainsi désigné de toutes politiques alternatives au consumérisme forcené.
Un système tout-puissant
La consommation comme système de valeurs n’est pas un concept nouveau. En 1970, Jean Baudrillard nous donnait déjà à comprendre la spécificité de notre société : « La consommation est un système qui assure l’ordonnance des signes et l’intégration du groupe : elle est donc à la fois une morale (un système de valeurs idéologiques) et un système de communication, une structure d’échange (...) elle s’impose selon une contrainte sociale inconsciente. »
Il suffit de voir avec quelle ardeur Nicolas Sarkozy défend tous ses points de vue politiques et sociaux au nom de la modernité, pour comprendre que la base du problème de notre temps se situe précisément dans cette alliance de la modernité et de la consommation. Notre nouveau président est parvenu, à grands coups de communication mettant en avant une assimilation systématique de la production/consommation à une éthique universelle de la volonté humaine, a entraîné 53 % des Français dans son projet en leur soutenant que la consommation était donc le seul remède possible aux maux sociaux du pays.
Cela lui a été permis en majeure partie par la contribution des médias qui dans nos sociétés, servent d’espace public. La schizophrénie de notre civilisation nous pousse donc à continuer de croire, au sein d’un système mythologique, que l’idéologie qui mène à la destruction de notre propre milieu est aussi celle qui nous sauvera. Le paradoxe est à son comble lorsque l’on constate que la secrétaire d’Etat à l’Ecologie reconnaît implicitement les dérives criminelles de l’agriculture intensive, de l’OMC, du risque des OGM, de l’exploitation illimitée des ressources, mais aussi de l’absurdité de la société de consommation, sans jamais aller au bout de son raisonnement et donc ne jamais avoir à expliquer ce qu’elle peut réellement faire au sein d’un gouvernement qui n’a que profit et compétition économique à la bouche. Voilà l’emblème du pouvoir et de sa légitimation médiatique : il feint de réfléchir, mais en réalité il n’opère que pour la préservation de ses intérêts. C’est bien là, la mission intrinsèque de tout système social. La spécificité du nôtre est seulement qu’il repose sur des valeurs tronquées et autodestructrices.
Légitimation mass-médiatique du système
Toutes les analyses pertinentes qui s’imposent sur notre société actuelle procèdent toutes de la découverte des mécanismes idéologiques de domination et de reproduction sociale de notre société capitaliste, de la connivence du savoir et du pouvoir et de l’absurdité existentielle d’une société de consommation totalitaire, qu’ont accompli respectivement Pierre Bourdieu, Michel Foucault et Jean Baudrillard dès la fin des années 60. Notre société est plus que jamais celle que ces penseurs ont vu de leurs vivants. Il faudrait donc, pour entamer un processus vital de sortie de ce système, une politique à l’ampleur des culs-de-sac idéologiques de notre société. Encore faut-il les rappeler et non les ignorer volontairement. En effet, personne ne semble interpellé par les déclarations de Laurence Parisot faisant état de son appétit de « richesse et de croissance infinies ». Pourquoi aucun des journalistes présents auprès des politiques, et toujours prêts à ricaner sur l’obsolescence d’une proposition anti-libérale, ne remet jamais en question l’obsession pathologique de la concurrence généralisée. Pourquoi, après Bourdieu, Foucault, Baudrillard, Deleuze et même pendant Hans Jonas, Ulrick Beck, Jurgen Habermas ou Peter Sloterdjk, aucun journaliste n’ose mettre en doute la possibilité qu’un projet de société uniquement mu par un désir d’accumulation infinie puisse être raisonnable. Croître toujours plus, mais pourquoi ? Au détriment de qui ? Au nom de quelles valeurs ? Juste pour être les meilleurs en consommant le plus possible ? Sans autre ambition que celle d’être devant les autres ? La sauvagerie de l’ultralibéralisme capitalistique et du productivisme vaut-elle mieux que les dérives reconnues des expériences collectivistes passées ?
Que dire alors de l’état de notre espace public (dont la télévision fait malheureusement office) où est censé se dérouler la négociation nécessaire à la définition de réelles valeurs ? Par quel moyen peut-on discuter authentiquement de la validité de notions telles que le progrès technologique, le scientisme, le productivisme, le consumérisme totalitaire, le profit comme modèle d’échange social, ou bien même de l’accroissement fulgurant de la population mondiale, sans être traité d’archaïque ? Ce sont pourtant ces questions qui devraient animer les débats de notre société dite réflexive. C’est le défi imposé de notre époque. Mais la consommation, entretenue en tant que principe de réalité ne nous permet pas d’opérer ces remises en questions. Le désir mimétique qui consiste à convoiter ce que les autres ont, est désormais le moteur de notre vie sociale.
Musellement du vrai talent
Quand Parisot et Sarkozy accusent les Français d’avoir un problème avec les patrons et la réussite personnelle, ils ne comprennent pas que beaucoup de jeunes veulent prendre leur distance avec l’idée qu’on ne réussit et que l’on a du talent uniquement lorsque que l’on fait du profit. Ils ignorent que la jeunesse actuelle est aussi en quête de valeurs humaines et qu’il est insupportable pour cette minorité critique, que les étudiants en HEC soient pris pour les élites de la nation. Au final, la France vit aujourd’hui dans l’illusion d’un libéralisme social sans cesse revendiqué par le nouveau pouvoir. En réalité, celui-ci, tourné uniquement vers la compétitivité économique, contrôle chaque sphère de la société par une réduction optimale de celle-ci et de ses objectifs à la consommation. Ainsi, les autres secteurs se retrouvent délaissés puisque non rentables.
Pour une société équilibrée et penchée vers un avenir éclairé, il faudrait que l’on fasse entrer dans les écoles de journalisme ceux qui le méritent le plus, à l’égard de leur capacité intellectuelle. Il faudrait sélectionner les futurs profs selon leurs capacités de réflexion et de pédagogie réelles et non pas faire accéder à l’enseignement les éléments les plus scolaires. Il faudrait que les jeunes entrent dans tous les domaines culturels pour ce qu’ils peuvent apporter personnellement par leur culture et leurs idées. Il faudrait que les artistes et les artisans de proximité puissent vivre de leurs savoir-faire et que les élites ne soient pas les patrons, mais les penseurs. Parce qu’une société consciente des défis de notre époque doit procéder au renouveau idéologique qui s’impose.
Le système global actuel est en train de désespérer une grande partie de la jeunesse de toutes les origines, parce que le talent est peut-être rare, mais il est partout, dans toutes les couches de la société et surtout, il n’est pas compatible avec le système actuel. Mais c’est bien d’un mode d’accès à l’emploi plus libéral et plus ouvert dont on a besoin et ce n’est pas une improbable « discrimination positive » qui peut résoudre le problème, ça, c’est l’arbre qui cache la forêt et le moyen de museler encore mieux le talent et donc de préserver le système. C’est bien le tour de force de Sarkozy que d’avoir fait croire à la majorité qu’il était le candidat anti-système alors qu’il en est le premier agent d’assurance.
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