Le Tumulte des Sexes : féminisme et performances
Natacha, l’une des militantes, tient à peu près ce discours :
« C’est une action pour dénoncer la différence de traitement entre hommes et femmes, le corps des femmes étant systématiquement considéré comme plus sexuel que celui des hommes, et soumis à des normes de beauté. » "Mon corps si je veux, quand je veux, tel qu’il est". "Torse nu à la piscine parce que nous ne voulons plus nous faire contrôler !" "Il faut être belle (féminine et hétérosexuelle) et malheur à celles qui ont l’audace de montrer un corps gros, ridé ou poilu". Natacha conclut : "personne ne s’offusque des seins exposés sur les kiosques, qui sont pourtant souvent des images dégradantes, alors qu’au naturel, cela pose problème, et ça entraîne même le déploiement de policiers".
Pour autant que l’on puisse en juger, à l’écoute de ces quelques bribes, l’argumentation des Tumultueuses est pour le moins étrange... Il est vrai que le mâle, en général, n’est guère intelligent, et qu’il peine à percevoir les nuances argumentatives de la sensibilité féminine, ses faisceaux multiples, dansants et bigarrés... Sa nature le porte, quand il pense, aux idées séparatrices, et aux enchaînements tout clairs, nets et précis. En général, il martèle et il enchaîne, l’animal testiculé.
Essayons tout de même, faute de mieux, la tronçonneuse théorique :
1.Natacha dénonce une différence de traitement. Le corps des femmes est a) plus sexualisé que celui des hommes b) soumis à des normes.
2.En conséquence, Natacha revendique le droit à exposer son corps indépendamment de tout critère esthétique ou érotique. On doit pouvoir exposer un corps gros, ridé, poilu, et de lesbienne tout comme un corps plaisant.
3.Il y aurait des figures dégradantes de la femme, style playmate, dont le spectacle est omniprésent dans une société comme la nôtre, tandis que cette même société interdit à des femmes de nager seins nus, sainement...
La force de frappe des Tumultueuses est vraiment relative. Elles pourraient, au lieu de faire commando, aller cet été à la plage, où l’exhibition des poitrines est un fait des plus banals...
Évidemment, il y a un savoureux paradoxe à dénoncer la sexualisation normée du corps féminin en enlevant le haut dans les piscines parisiennes. N’est-ce pas d’emblée constituer un commando sexualisé que de s’exhiber ainsi ? Mais Natacha et ses copines ne sont pas si naïves... L’action du groupuscule touche juste, en même temps, car elle met tout un chacun face à l’ambiguïté de la représentation corporelle. Elle peut signifier, au-delà du paradoxe apparent, des énoncés de ce genre :
« Même à moitié à poil, je ne suis pas un objet sexuel. Je suis torse nu, comme vous, messieurs. Pourquoi devrais-je outre mesure dissimuler mon corps ? Mon haut est encore une inégalité, voyez-vous. C’est votre regard, messieurs, qui est en cause, et qui me sexualise, non pas mon corps en lui-même, pour lequel je réclame un droit semblable au vôtre. C’est votre regard qui doit être réformé, messieurs. »
Reformer le regard des gars, faut dire à Natacha que c’est pas gagné... L’être de testostérone, on le sait, est totalement déterminé par sa nature animale ; il serait plutôt une victime, de ce point de vue ; et sa racine instinctive le condamne à ne pouvoir jamais faire usage d’un esprit... pénétrant. C’est pourquoi il relèvera l’apparente contradiction qu’il y avait à dénoncer la sexualisation du corps féminin en enlevant le haut. Sa pensée, en conséquence, ne pouvait guère s’élever au-delà d’une appréciation pré-historique : « Eh bien, ma Salope tu montres tes miches...Tu me cherches. »
Il n’avait rien compris, de fait... Car le mâle vaut zéro dès qu’il s’agit des ambiguïtés, des entrelacs, des diagonales, des implicites, des subtilités interprétatives, etc., etc. Il a besoin de repères manichéens, style « C’est oui ou c’est non. Tu veux ou tu veux pas ? »Il n’est pas, que voulez-vous ?, l’être des peut-être, ni celui des vérités paradoxales.
Seulement, cela, sa propre bêtise, le mâle, malin comme un singe, le sait quand même depuis longtemps... Que le corps des femmes soit plus sexualisé que celui des hommes, il s’en doute. Qu’il en soit autrement constituerait pour lui un désastre libidinal... Un monde atone et désertique à traverser, où le charme qu’il éprouve à rencontrer l’autre sexe au détour d’un regard lui serait violemment interdit. Un cauchemar : un monde sans femmes. De manière symétrique, on peut exiger pour les femmes une existence sans charmes : qu’il n’y ait plus d’agréments, aucun : ni bijoux, ni robes, ni décolletés, ni mascara. On pourra ensuite interdire les mouvements naturels et inconscients par lesquels une femme séduira, fût-ce un instant, un homme, au détour d’un geste, d’un regard ou d’une remarque. Et faire honte, pendant que l’on y est, à l’attraction soudain ressentie par un tel mâle : « c’est mal, mon gars, là, ton désir. Crève toi donc les yeux de toute urgence. » « Quant à toi, femme, n’use jamais de tes charmes, même inconsciemment. »
La Burka mentale, ça en impose...
La différence sexuelle n’est pas l’inégalité. Et tout féminisme a raison de soutenir cet axiome ; mais le féminisme se fourvoie dès lors qu’il perd de vue la différence même entre la différence et l’inégalité. Paradoxalement, il nie hommes et femmes en niant cette différence. Nier la différence est absurde, aussi absurde dans le domaine mental que dans le domaine biologique. C’est cette différence qui constitue depuis toujours le Jeu du Désir, et le Désir s’évanouirait à l’instant même où cette différence cesserait d’exister.
Une telle différence n’a rien à voir avec les soi-disant capacités intellectuelles ou sensibles des sexes respectifs. Il est aussi absurde de penser que les hommes sont insensibles que de penser que les femmes sont inintelligentes. La deuxième proposition est celle des machistes ; la première peut parfois être celle de son envers, d’un certain féminisme outré, qui ne vaut pas mieux.
La différence n’est pas non plus une sorte de déterminisme des sexes. Que vous preniez référence, par exemple, chez Jung ou chez Deleuze, mieux encore à partir de votre propre expérience, il vous apparaîtra que ça ne cesse, d’un côté comme de l’autre, masculin/féminin, d’être traversé par des ’’contraires’’, des devenirs-femme ou des pulsions-mâles. L’Humanité, en effet, c’est ce qui se joue à la rencontre, dans l’ambivalence. Nulle part ailleurs. Chacun occupe biologiquement et mentalement un pôle initial, qui est son destin d’être ’’de’’ l’homme ou ’’de la’’ femme ; mais les ressources de sa vie spirituelle se tiennent dans la manière dont cette identité préalable sera à la fois assumée et transformée par la rencontre de l’autre sexe, et la manière dont il l’intériorise. Et il y aura donc autant d’individus qu’il y aura de manière de vivre à la fois l’identité et l’ambivalence. En ce sens, si LA Femme n’existe pas, L’ Homme non plus. Mais l’Humanité, oui.
Rien n’interdit, cependant, de considérer les pôles initiaux. Ils ont une réalité. Chacun explore une structure qu’il constate, la sienne, de mâle ou de femelle. On ne voit pas pourquoi, sinon, l’homme-mâle serait systématiquement pourvu de seins atrophiés et inutiles, et la femme d’un autre organe sexuel que le célèbre phallus, fort heureusement pour ce dernier. D’un autre orgasme, en définitive. Différence qu’il est possible d’observer au niveau cérébral, tout aussi bien.
Le Jeu du Désir, chacun en a un savoir plus ou moins conscient. Plus ou moins, car un tel Jeu ne requiert pas la lucidité, qui peut même être obstacle à son bon déroulement. C’est en toute innocence qu’on y jouera le mieux.
En tout cas, Natacha et ses copines n’aiment guère le Jeu...
Dommage pour elles ; car il y a fort à parier qu’elles auraient été bien plus sexy dans leur deux-pièces, offertes à l’imagination dévoilante et à la pulsion visuelle des hommes.
Cette même pulsion qui les poussera, les cochons, à y aller voir de plus près, constituant en Objet de Désir le Gang des Tumultueuses (un exploit à vrai dire). Natacha et ses copines furent bien gentilles. Mais les voilà prêtes à entamer une carrière de porno-star sur le Net.
Le mâle dégénéré et dégoûtant, je n’en doute pas un instant, cliquera donc ici avec allégresse
Documents joints à cet article
108 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON