Le tympan de San Isidoro de León est une pure merveille
Je ne comprends plus mes concitoyens. Nous possédons en Europe un patrimoine d'une richesse architecturale et sculpturale d'une incroyable richesse et, non seulement on ne le voit pas comme il le mérite, culturellement parlant, mais on ne cesse de le dénigrer parce que leurs auteurs ne pensaient pas comme nous. C'est ainsi que dans un article précédent, j'ai essayé d'expliquer que ce n'était pas parce qu'on n'était pas, ou plus, dans une religion qu'il fallait refuser de voir, culturellement parlant, les oeuvres littéraires et matérielles que nos prédécesseurs nous ont léguées comme témoignages de leurs croyances et de leur foi. http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-christianisme-en-tant-qu-eveil-107044.
C'est ainsi que j'ai dénoncé, avec quelques commentateurs qui me soutiennent, cette idée absurde que les invasions barbares auraient entièrement détruit notre passé gaulois et que nos merveilleuses églises et cathédrales dites romanes n'auraient commencé à s'élever qu'à partir du X ème siècle. Alors que nous apportons preuves sur preuves en nous appuyant sur les textes antiques, nous butons chaque fois sur le témoignage d'un moine du X ème siècle, à savoir que ce ne serait qu'à partir de cette époque que notre Europe se serait recouverte d'un long manteau d'églises.
Dans mon dernier article http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-sacrifice-humain-au-temps-des-107526, j'ai tenté d'expliquer ce véritable chef-d'oeuvre qu'est le tympan antique de San Isidoro, en Espagne, et je bute, encore là, sur cette date fatidique et sur une interprétation moderne tout à fait en dehors du message que son auteur y a mis. http://www.sanisidoro.de/deutsch/cordero/popup/tympanon_unten.html.
La phrase du moine Glaber a été très mal traduite (texte latin en bas de page).
Le médiéviste Georges Duby l'a traduite ainsi : « C'était comme si le monde lui-même se fut secoué et, dépouillant sa vétusté, ait revêtu de toutes parts une blanche robe d'églises ». L'historien et homme politique François Guizot donne une autre traduction : « On eût dit que le monde entier, d'un même accord, avait secoué les haillons de son antiquité, pour revêtir la robe blanche des églises ». Et voici la mienne : « C'était comme si, un peu partout et en même temps, le monde lui-même, sortant de sa torpeur et enlevant sa vétusté, s'était revêtu de la blanche robe des églises ».
Il y a dans cette phrase quatre figures de style. La première est ce qu'on appelle une antithèse ; le fait d'enlever sa vétusté s'oppose au fait de revêtir une blanche robe. La deuxième est incluse dans la premiére sous forme d'analogie : "vétusté = vieux vêtements". La troisième est une transposition de personnification où le monde est considéré comme une personne. La quatrième est une figure allégorique où les vieux vêtements évoquent les péchés d'hier et la robe blanche, la purification chétienne.
Le sens réel de la phrase devient alors ceci : C'était comme si, un peu partout et en même temps, tous les habitants du monde, sortant de leur torpeur et enlevant leurs vêtements d'hier, avaient revêtu la robe blanche que les officiants portent dans les églises. Il s'agit là, d'une image, celle des processions de pénitents de l'an mille qui parcouraient alors l'Europe, un peu partout, dans la peur millénariste de la fin du monde et du retour du Christ.
Fantasmer sur cette phrase, il est vrai un peu alambiquée, jusqu'à imaginer une gigantesque ruée des populations sur des chantiers de construction d'églises et de cathédrales, cela relève, en vérité, plus de la fantasmagorie des bandes dessinées que de la logique et de la réalité de l'Histoire. J'ai parcouru un certain nombre de chartes médiévales anciennes. J'y ai trouvé assez souvent des mentions de réparations, d'agrandissements, de poursuite de travaux, de consécration et de reconsécration, mais jamais de preuves de véritables fondations comme certains s'imaginent. Je les ai trouvées, en revanche, dans les textes de l'époque gauloise.
Je répète que le tympan de San Isidoro est une pure merveille.
Aujourd'hui capitale de province espagnole, León aurait été occupé en 68 par une légion romaine qui lui aurait, dit-on, donné son nom. La ville a conservé ses vieilles murailles, la trace de temples antiques et le souvenir de traditions qui se perdent dans la nuit des temps. Sa position avantageuse entre deux cours d'eau qu'elle domine jusqu'à leur confluence la prédisposait tout naturellement à être une grande capitale de l'époque des Celtes et des Ibères. Il est donc tout à fait logique d'y retrouver des vestiges de cette époque dans les édifices actuels, un peu à l'image de ce que nous avons découvert en Gaule, y compris cette fantasmagorique projection de leur pensée dans le ciel.
Le poète Lucain est très clait : Les Gaulois ne veulent aller ni dans les tristes royaumes du dieu des profondeurs, ni dans les silencieux séjours de l'Erèbe. Ils disent que le corps-âme vit dans l'autre monde (orbe alio). La mort est une phase intermédiaire avant une longue vie. Et il ajoute : Les Gaulois sont heureux quand la crainte de la mort, la plus terrible de toutes, les talonne. Ils se ruent au combat, l'esprit plein de courage. Leurs âmes sont prêtes à recevoir la mort. Ils savent que leur récompense sera la revie qui sera refusée au poltron.
Dans mon article précédent cité en deuxième lien, j'ai donné une première explication de ce tympan tout en m'interrogeant sur la petite construction de l'extrémité droite. Contrairement à ce que j'ai précédemment écrit, le personnage assis ne fait pas un geste d'accueil. En réalité, il tient la poignée de la porte qu'il peut donc ouvrir ou fermer selon l'humeur de Dieu ou selon les circonstances. L'ouverture relativement étroite ne peut laisser passer qu'un seul homme à la fois. Elle fait penser à une entrée de grenier que l'on atteint après avoir gravi un escalier (voyez l'agrandissement en cliquant sur le deuxième lien). Dans le contexte de notre histoire, il ne peut s'agir que de l'escalier du ciel. Il s'ensuit que la scène sculptée est censée se passer dans un premier ciel. Le personnage sacrifié a donc déjà connu une première mort sur terre. Mais ici, après s'être séparé de ses péchés - à condition bien sûr qu'il n'ait pas été écrasé par eux avant qu'il n'arrive - il va connaître une deuxième mort, celle qui lui permettra d'accéder au deuxième ciel, en passant, cette fois, par la mandorle de l'agneau sans tâche.
Revenons sur terre et reprenons le grand voyage du défunt depuis le début. Première étape : de la surface de la terre à la surface du ciel visible ; c'est la plus longue, la plus dangereuse, la plus risquée http://bibracte.com/images/stories/epitre_hebreux/ciel_antique_5.htm. Attention, au carrefour en Y, de bien s'engager sur le chemin des élus et non sur le chemin de perdition ! N'oubliez pas de faire peser votre âme et vos péchés dans la balance à fléau ! Attention de bien passer sous le porche de l'agneau qu'éclairent ses six étoiles. Attention de bien vous diriger vers l'entrée de l'oppidum. La porte est-elle fermée pour vous ou vous est-elle ouverte ?
La réponse est la suivante. Pour que la porte s'ouvre pour vous, il faut avoir fait ce qu'il fallait quand vous étiez sur terre, autrement dit une offrande de bonne conduite, autrement dit une offrande d'agneau. Ou alors, se mettre dans les pas d'un quelqu'un qui a fait cette offrande jusqu'à donner sa vie en martyr, l'offrande maximum, comme à Perrecy-les-Forges.
Au risque du martyre.
Dans la frise sculptée de mon article cité en deuxième lien, c'est un très saint homme qui, à Perrecy-les-Forges, accepte la mort en se laissant percer d'un glaive. Dans l'apocalypse de Jean que j'attribue à Jean de Gischala, c'est un Jésus transpercé. Dans les évangiles, c'est un Jésus crucifié... allégoriquement ou réellement ?
Le problème, c'est que le peuple ne se satisfait pas de symbolisme et qu'il veut du concret. Depuis qu'il fait l'offrande de ses produits agricoles sur la grande table de pierre des monuments mégalithiques jusqu'aux innombrables animaux sacrifiés dans le temple de Jérusalem, et que rien ne descend du ciel, même pas un signe, cela interpelle. Alors que tous les martyrs juifs montés au ciel attendent toujours devant la porte de l'oppidum céleste - Apocalypse de Jean de Gischala, voir mes articles - alors que des centaines et des centaines d'autres martyrs les ont suivis en montant sur la croix dans les premiers évangiles, il ne restait qu'une offrande de la dernière chance : le conseil suprême essénien qui se considérait comme Fils de Dieu, fils unique... réalité ou simple hypothèse ?
En l'an 48 de notre ère, Flavius Josèphe écrit que Simon et Jacques furent crucifiés. C'étaient des personnages très importants.
L'Art au risque de la folie.
En l'an 48, Simon dit Pierre et Jacques sont crucifiés.
En l'an 58, Paul est de retour à Jérusalem après une mission en Galatie. Poussé par la communauté vers l'autel tel un agneau de sacrifice, il accepte de se mettre dans les liens de sa ceinture, comme Pierre l'avait accepté quelques années plus tôt dans l'évangile de Jean (Jn 21,18). Il proclame qu'il est prêt non seulement à se laisser lier (comme l'agneau) mais aussi à mourir à Jérusalem pour le nom du Seigneur Jésus (Act 21, 11-14). Il introduit un Grec dans le temple (2), et comme dans Marc, comme dans Mathieu lors de l'affaire des vendeurs de pigeons, le scandale éclate (Act 21, 31). Le processus est en route. Il est arrêté par la cohorte, traduit devant le Sanhédrin et le grand prêtre le frappe sur la bouche (Act 25, 12). On l'emmène à Césarée. Il comparaît devant le Pilate du moment, Felix, puis Festus ; et ses accusateurs demandent qu'on le crucifie (Act 25, 15). En laissant entendre à ses disciples que l'esprit de Jésus était en lui, Paul se condamnait lui-même à suivre l'exemple du Maître suivant un processus devenu rituel après le martyre de Simon Pierre... un processus rituel, chemin du ciel, chemin de croix avant la lettre, qui devait l'amener à être le cinquième agneau sacrifié pour le rachat des péchés d'Israël et dans l'espérance d'une porte qui s'ouvre.
Or, le gouverneur romain Festus, qui tenait à sa charge, n'avait pas l'intention de provoquer un nouveau soulèment des Juifs en faisant crucifier Paul. Il a préféré le laisser pourrir un temps dans les geôles de Césarée.
Quelques siècles plus tôt, à San Isidoro, un sculpteur adepte du druidisme expliquait sa croyance dans un chemin de sacrifice qui devait conduire les élus au ciel des espérances de sa religion.
Texte et dessin de l'auteur.
Renvoi 1. La phrase litigieuse de Raoul Glaber : « Erat enim instar ac si mundus ipse, excutiendo semet, rejecta vetustate, passim candidam ecclesiarum vestem indueret »
2. Sauf erreur de ma part, après l'acte public anti-corruption contre les vendeurs de pigeons dans le temple, il pourrait s'agir ici de la première action publique anti-raciste.
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