Pour lui, la véritable question est de savoir si "oui ou non nous sommes prêts à continuer à assumer cette tradition (d’accueil, ndlr) et en particulier vis-à-vis de la communauté musulmane. Et moi, naturellement je réponds oui à cette question".
"A partir du moment où on a en France des musulmans qui parfois sont nés sur le sol national, Français par naissance qui appartiennent à des familles parfaitement intégrées, au nom de quoi les stigmatiserait-on et leur refuserait-on le droit d’exercer leur religion ?", s’est-il interrogé.
Et il y a François Bayrou : "L’identité de la France ne serait pas ce qu’elle est si nous ne respections pas les valeurs républicaines qui ont fait de nous un peuple de citoyens. La République, c’est un projet en soi et pas seulement un slogan au fronton des édifices publics", a-t-il dit le 6 décembre à Arras. "Liberté, égalité, fraternité, à l’intérieur de nos frontières et dans le monde, tel est le projet de la République française. Et chaque fois que nous y manquons, et spécialement chaque fois que le président de la République y a manqué, il a porté atteinte à l’identité nationale française", a-t-il ajouté.
Dans ce contexte, une ministre, très bon chic, très bon genre, Madame Nadine Morano, a demandé au "jeune musulman" de ne pas mettre sa "casquette à l’envers" et de ne pas parler "le verlan".
Si la casquette à l’envers est une habitude des jeunes Américains et des jeunes Cubains, et de bien d’autres jeunes ou moins jeunes du monde entier, elle ne s’impose pas à la vue des habitants ou des passants des banlieues parisiennes ou lyonnaises, n’en déplaise à Madame Morano. Ce n’est pas très grave.
Ce qui me semble une bien mauvaise querelle, c’est celle concernant le "verlan", ce langage codé inversant de façon savante, presqu’académique les mots ou les syllabes, et qui s’est incrusté dans les banlieues, certes, mais pas seulement. C’est plutôt un langage moderne que se sont appropriés les banlieues.
Ecoutons Alain Decaux, historien et ancien ministre, en tout cas académicien de renom s’il en est, tel qu’il s’exprimait le 16 octobre 2001 lors de la "cérémonie de rentrée" des cinq académies. "Ce que nous imposera le XXIè siècle, c’est l’intégration de verbes, de substantifs et d’adjectifs nés du nouvel argot : le verlan. Ainsi trouve-t-on déjà, dans Le Petit Robert comme le Petit Larousse, le mot "ripou", verlan de pourri (...) En lui accordant le x au pluriel, les producteurs (du film "Les ripoux", note de l’auteur) l’ont introduit dans l’inoubliable série : bijou, chou, genou. " (...) L’argot d’aujourd’hui, véhiculé par la toute-puissance des medias, s’impose bien au-delà des banlieues et l’attraction qu’il exerce sur les milieux scolaires de toutes classes sociales, ne fera que confirmer, au XXIè siècle, la force grandissante du langage parlé. Il sera vain de vouloir le combattre car le langage parlé est celui qui, depuis les origines, a précédé le langage écrit".
Je laisse crédit à Mme Morano de n’avoir pas voulu s’inscrire dans une telle problématique, et d’avoir eu à l’esprit, certainement, d’aider ces musulmans (pour quoi "musulmans", en quoi la religion a-t-elle à voir avec tout cela) à combattre cette "caricature, cette stigmatisation" dont ils seraient l’objet en parlant verlan. Bref, là où M. Decaux voit un apport, une richesse, Mme Morano décèle un danger. Peut-être de bonne foi. Mais de mauvais conseil, de mauvaise culture. La vraie question est : Pourquoi le verlan, sous ses différentes formes, et qui n’empêche nullement, en cas de besoin nombre de ses locuteurs de s’exprimer en un français fort classique, est-il stigmatisé ?
Déjà, le roman de Tristan et Iseult, en 1190, s’amusait à inverser les noms. L’amant était parfois appelé Tantris. Comme le souligne la linguiste Nadia Bouhadid, de l’Université Mentouri de Constantine, "au XVIè siècle, l’écrivain le plus classique des français, Voltaire, a également eu recours à ce procédé : son pseudonyme Voltaire est la forme verlanisée d’Airvault, ville dont est originaire sa famille". En 1690, le Dictionnaire universel de Furetière souligne : "On dit, c’est verjus ou jus vert pour dire : c’est la même chose".
Le verlan serait apparu, comme langage dans une lettre de bagnard surnommé "La Hyène", en 1842. ll s’y trouve beaucoup de mots de langage carcéral notamment inversés, comme "jobard" ou "barjot". La même année sont publiés "Les mystères de Paris" d’Eugène Süe, qui met en scène des gens sans doute misérables, mais sachant à merveille composer avec les mots.
Mais c’est Auguste Le Breton qui donne ses lettres de noblesse, "vers 1940-1941", assure-t-il dans Le Monde du 8-9 décembre 1985 à ce langage nouveau. En 1975 le verlan, remplace "officiellement" ce qui fut longtemps appelé "versl’en", ou "verlen". Dans son dictionnaire : "L’argot chez les vrais de vrais", Le Breton assure : "L’argot, lui, vivra toujours, puisqu’il est le langage des rues. Des mots disparaissent et d’autres naissent sans qu’on sache bien d’où ils sortent. Parfois, il suffit d’une réplique d’un titi d’un camelot, d’un ouvrier pour enrichir la langue. Parfois, un mot de fille ou de soldat fait mouche et est aussitôt adopté".
Dans les quartiers et les banlieues chic, le verlan fut, dans les années 60, un jeu de construction, une distraction. C’est sans doute là, peut-être à Neuilly, que fut inventée "meuf". Dans les cités, ce parler l’emporte désormais sur le français "académique", sans doute parce que les jeunes Beurs (Arabes en verlan, qui a donné Rebeu, verlan de Beur....) s’accommodaient mieux d’un langage à eux, eux qui étaien discriminés et dans leur terre d’accueil ;et dans leur terre de naissance -ou celle de leurs ancêtres. Cela peu à peu devient un fait de société. "Depuis la fin des années 80, le verlan a été porté à l’attention du grand public lorsque les deux de l’actualité se sont tournés vers les banlieues chaudes et les observateurs de la jeunesse ont constaté qu’il y avait une langue et une culture propres aux cités déhséritées. Cette langue et cette culture se sont diffusées parmi les franges les moins intégrées de la jeunesse parisienne, et même plus loin jusqu’aux grands lycées et aux universités", affirme l’écrivain Rania Adel Hassan Ahmed.
Lorsque Renaud chante "Laisse béton", en 1976, il s’adresse à tous les jeunes, à tout le monde. Il est compris de chacun. Fait-il du verlan ? Je n’en suis pas sûr, au sens où l’entend Madame Morano.
Au fil des ans, le vocabulaire s’est enrichi, de façon inattendu, les "keufs" (flics), ou "kiffer" (aimer, qui viendrait de l’arabe). Ne disait-on pas "bled" ou "toubib", ou encore "gnole" dès les années 1920 ? Tous ces mots, comme ceux du verlan, ont cours dans les banlieues, Sarcelles, Garges-lès-Gonesse ou d’autres. Dans ces grandes et belles villes, on parle peu d’argent, mais de "thune". Sait-on que ce mot existe depuis 1620, qu’il signifiait au départ "aumône", et provient du mot "Tunis", sait-on, Madame Morano sait-elle que Victor Hugo l’utilisait dans Notre-Dame de Paris ?
Une langue n’est pas figée. La langue française, qui unit le gaulois (langue celtique), le latin, le grec, le germain, l’anglais, l’arabe, le perse et tant et tant d’autres langues s’épanouit chaque jour de nouveaux apports.
Et le verlan existe bien ailleurs qu’en France. En Argentine, en Suisse. Le pachtoune, parlé par une majorité d’Afghans est une sorte de verlan du dari, parlé par la minorité....
Une société n’est jamais menacée par son langage populaire, par son argot et par son verlan.