Le vrai, le bien, valeurs absolues ou valeurs relatives
Depuis Montaigne écrivant dans ses Essais « Quelle vérité est-ce que ces montagnes bornent, mensonge au monde qui se tient au delà ? », repris par Pascal avec son « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » (critiquant en fait le relativisme supposé de Montaigne), il est plutôt chic de prétendre que les notions de vrai et faux comme celles de bien et mal ou beau et laid sont relatives.
Cette relativité est souvent citée pour justifier un certain scepticisme concernant l’existence de valeurs absolues et en conséquence d’un Dieu transcendant, garant et source de ces valeurs absolues.
Poussant la logique de ce relativisme, Fédor Dostoïevski écrivait dans les Frères Karamazov par l’intermédiaire d’Ivan, le frère aîné de la fratrie Karamazov « Si Dieu n’existe pas, tout est permis », formule reprise par JP Sartre pour développer sa philosophie de l’existentialisme athée.
Cependant, pour faire des jugements moraux, ce dont Sartre ne se privait pas, traitant entre autres les bourgeois anticommunistes de « salauds » ou pour définir le camp du bien et celui du mal dans les conflits de son temps marqués par la guerre froide et la guerre d’Algérie, ce qui est resté une spécialité chez les intellectuels de gauche aux indignations en général sélectives, il est nécessaire d’avoir un standard, une vérité objective définissant le bien et le mal. Une telle norme existe-t-elle ?
Tout d’abord, on peut remarquer que dire qu’il n’existe pas de vérité absolue, que tout est relatif est une déclaration auto-contradictoire qui se détruit elle-même. En effet, l’affirmation « il n’existe pas de vérité absolue » se veut être une vérité indépendante des circonstances, du temps et du lieu, en d’autres termes une vérité absolue et donc ne peut être vraie selon ses propres termes. On retrouve le problème antique posé par l’affirmation du Crétois disant que tous les Crétois sont des menteurs.
On peut dire comme Montaigne que les notions de vrai et de faux ou de bien et de mal dépendent des cultures ou périodes où elles s’expriment, qu’il s’agit toujours d’efforts, de tentatives humaines limitées de définir le bien et le mal mais cela n’implique aucunement la négation d’un vérité ou d’un bien absolu au-delà de conditions culturelles particulières.
L’histoire des sciences représente une bonne analogie. Au cours des siècles, la connaissance de l’univers n’a cessé d’évoluer en s’améliorant avec d’apparentes contradictions. Cela correspond à un progrès vers la vérité sur la nature de l’univers et non à l’inexistence de cette vérité. Newton disait qu’il avait pu faire avancer la science de façon si spectaculaire « parce qu’il s’était hissé sur les épaules de géants », se référant humblement à ses prédécesseurs, Galilée, Copernic et autres, montrant combien il leur était redevable et non qu’il avait forgé sa physique tout seul en étant isolé du mouvement scientifique.
Dans les cafés parisiens du siècle dernier (et peut-être encore aujourd’hui), il était de bon temps de prendre un air distingué pour déclarer en sirotant une boisson que tout est relatif, ce qui donnait l’impression que l’on avait lu les théories d’Einstein sur la relativité. Or, tout n’était pas relatif pour Einstein : entre autres ce grand scientifique n’a pu développer ses théories qu’en s’appuyant sur les travaux de Michelson et Morley qui avaient mesuré la vitesse de la lumière et remarqué qu’elle était la même dans toutes les directions de l’univers. C’est parce qu’il affirmait que cette vitesse était une constante absolue, quelque soit le repère spatial utilisé, qu’Einstein a pu relativiser les autres vitesses, le temps et l’espace. Logiquement, on ne peut relativiser qu’à partir d’un absolu et non le contraire.
Ainsi un philosophe comme Hegel, en bon fils de pasteur et formé lui-même à la théologie, a pu développer un système relativement cohérent en partant d’un absolu, l’Esprit absolu, qui, par une série de contradictions et d’aliénations dans la réalité spatio-temporelle, arrive par étape au but de l’histoire, représenté paraît-il pour Hegel par l’Etat prussien de son temps, ce qui paraît aujourd’hui plutôt ridicule. Mais l’idée de partir de l’Esprit absolu pour arriver à la pleine manifestation de cet Esprit dans le temps et l’espace était assez intelligente.
Marx a voulu reprendre le système Hégélien en le renversant, partant de la matière pour aller vers l’esprit, du relatif pour aller vers l’idéal absolu de la société sans classe et sans exploitation, mais cela pose un problème, comment le conflit va finir par engendrer la paix, le relatif l’absolu, ce qui donne à ses théories un sentiment que l’on n’est pas véritablement sorti de l’auberge des conflits et de l’aliénation et que l’on n’en sortira peut-être pas.
Pour revenir au plan moral, les hommes et les femmes de toutes cultures font sans cesse appel à des notions de bien et de mal. Dans des cas précis, les personnes qui subissent un mal donné ont une idée plus claire sur la réalité de ce mal que celles qui sont épargnées ou qui le font subir. Ainsi des femmes qui ont subi un viol ne l’excuseront pas facilement en disant qu’il s’agissait seulement de jeunes qui avaient besoin de défouler leur instinct sexuel après avoir pris quelques verres de trop. De même au cours des dernières décennies, nous avons eu en France des écrivains pédophiles essayant de justifier leur dépravation au nom de l’amour qu’ils sont supposés porter aux enfants ou des prêtres excusant trop facilement ce genre de déviations mais les personnes qui ont subi ce genre d’abus et qui en subissent les conséquences pendant des décennies, peuvent témoigner que cela est mauvais. Personne ne trouve normal de torturer des enfants. On trouve dans l’histoire des Gilles de Rais qui ont torturé des enfants mais Gilles de Rais lui-même a reconnu l’ignominie de ses actes avant de subir la peine de mort.
L’esclavage a joué un grand rôle dans l’histoire. Ainsi de très nombreux noirs d’Afrique centrale ont été au fil des siècles capturés puis conduits à travers des déserts jusqu’en Arabie et les pays du Golfe, les jeunes hommes étant très souvent émasculés pour servir leurs maîtres en tant qu’eunuques.
Cela paraissait normal aux yeux de leurs maîtres et de la société d’alors mais ces jeunes gens devaient se dire que ces organes sexuels que Dieu ne leur avait pas donné ces organes sexuels simplement pour les faire arracher au péril de leur vie par un trafiquant d’esclaves.
On pourrait multiplier ce genre d’exemples dans toutes les sociétés et on doit conclure que les notions de bien et de mal même si elles ne sont pas clairement définies dans une société, correspondent à quelque chose de profondément inscrit dans la nature humaine. Tout ce qui viole cette nature, empêche son épanouissement au niveau individuel, familial ou social peut être qualifié de mal.
L’universalité de ces notions de vrai et de bien renvoie à une nature universelle et un auteur universel de cette nature originelle, c’est la vérité ou le bien suprême pour Platon et la nature de Dieu dans la tradition judéo-chrétienne.
Finalement, le fait de proclamer son relativisme à la terrasse d’un café est-il peut-être seulement le signe d’un manque de réflexion approfondie.
34 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON