Le XXIe siècle, âge d’or des services publics ?
Dans son ouvrage « Projet pour la paix perpétuelle », écrit en 1795, Emmanuel Kant évoque « Le droit qui revient à tout être humain de se proposer comme membre d’une société en vertu du droit à la commune possession de la surface de la terre ».
Il établit par là l’étroite liaison existant entre le droit à la possession indivise de la terre par l’ensemble du genre humain et l’affirmation individuelle de la citoyenneté, aujourd’hui essentiellement définie sur une base nationale, mais dont les dimensions universelles s’affirment à notre époque dans le processus de mondialisation qui n’est pas seulement celle du capital (1).
Pour la première fois avec cette ampleur l’actualité a conduit à parler de crise de système, à réunir en urgence les plus puissants de la terre pour mettre en place des politiques anti-crise plus ou moins coordonnées, à engager des crédits publics à des niveaux inconnus jusque-là, voire à envisager ou même à réaliser des nationalisations, à reconsidérer les réglementations internationales du commerce, des transferts financiers, etc.
L’hypothèse de la promotion du bien commun.
C’est aussi, en même temps, l’appel à l’émergence d’un autre modèle de développement et de progrès. Ne peut-on avancer l’hypothèse qu’après trois décennies de croissance et d’économie administrée après la deuxième guerre mondiale, suivies de trois décennies de déchaînement de l’ultralibéralisme la crise n’annoncerait pas un nouveau cycle - de type Kondratieff -, appelant le « retour de l’État » qui permettrait de poser avec plus de force l’exigence de la défense et de la promotion du « bien commun » ?
Si la mondialisation est apparue essentiellement jusqu’ici comme celle du capital, elle s’est également traduite par la montée au niveau mondial d’une exigence de valeurs dont, entre autres manifestations, la célébration du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 a été l’occasion.
Certes, comme l’analyse le philosophe Marcel Gauchet, l’idéologie des droits de l’Homme a prospéré dans l’espace laissé libre par l’effondrement des grandes idéologies messianiques. Il n’en reste pas moins qu’ils portent aussi l’exigence de normes juridiques, voire de juridictions, reconnues au niveau mondial pour faire respecter des valeurs à vocation universelle. Depuis la Charte des Nations Unies, un très grand nombre de conventions et de pactes ont été adoptés.
Il faut aussi évoquer l’élargissement de la base matérielle de la mondialisation :
Internet, le réseau des ONG, les systèmes de communication et de transports, etc. Tout cela peut se résumer en parlant de montée de l’« en-commun. » Ce mouvement réel a sa traduction dans le vocabulaire : on évoque ainsi le « patrimoine commun de l’Humanité », la « destination universelle » de certains biens avec Vatican II, ou les biens de « haute nécessité » du manifeste des poètes Antillais Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant.
Service public et secteur public.
Ces mots traduisent une prise de conscience montante de l’unité de destin du genre humain. Les conséquences de ce nouveau contexte conduisent à donner une traduction juridique. Je m’en tiendrai aux conséquences que nous pouvons envisager dans deux domaines qui nous sont familiers en France et en rapport direct avec notre sujet : le service public et le secteur public.
Cette montée de l’« en-commun » s’accompagne d’un intérêt accru pour la notion de biens publics, partant de services publics à définir au niveau international, voire mondial. De plus en plus de services publics seront nécessaires dans l’avenir et c’est dans le cadre de cette hypothèse que nous devons placer nos réflexions et nos propositions ; des services publics industriels et commerciaux correspondant à la gestion des biens reconnus comme biens communs :
L’eau, mais aussi certaines productions agricoles et alimentaires, des ressources énergétiques ; des services administratifs relatifs à la production de services techniques : les télécommunications, certains transports, l’activité météorologique et spatiale, de nombreux domaines de la recherche scientifique, des services d’assistance médicale ; des services essentiellement administratifs organisant la coopération des pouvoirs publics nationaux et internationaux dans de multiples domaines : la sûreté sous de multiples aspects (la lutte contre les trafics de drogues, les agissements mafieux, les actions terroristes, la répression des crimes de droit commun), la recherche d’économies d’échelle, la suppression des doubles emplois, la réglementation des différentes formes de coopération dans toutes les catégories administratives.
Une conscience émergente ?
La conscience émergente d’un intérêt général du genre humain pose nécessairement la question de la base matérielle, de la propriété publique, peut être plus exactement de l’« appropriation sociale » nécessaire pour traduire la destination universelle de certains biens, des biens publics.
Je pense évidemment d’abord au traitement de l’eau dont il est évident aujourd’hui qu’il doit être mis au service de toutes les populations de la terre, où qu’elles se situent. Mais pourquoi ce qui est vrai et assez généralement admis pour l’eau ne le serait pas pour bien d’autres ressources du sol et du sous-sol ?
Est-il admissible, à notre époque, que les gisements pétroliers ou d’uranium, par exemple, soient appropriés par les seuls possesseurs de la surface du sol sur lequel s’exerce une souveraineté que seuls les mouvements contingents de l’histoire ont déterminée ? Le raisonnement vaut a fortiori pour nombre de services tels que ceux qui ont été évoqués précédemment.
Il nous faut donc réfléchir et proposer des appropriations mondiales ou internationales correspondant à ces nécessités de notre temps. Je veux rapprocher cette acception de la notion d’« appropriation sociale » de celle de Robert Castel qui, sous ce même vocable évoque la nécessité pour le salariat de reconquérir un compromis social profondément dégradé depuis le tournant libéral de la fin des années 1970 et du début des années 1980.
Ce sont toutes ces réflexions qui permettent de parler du XXIe siècle comme « l’âge d’or » potentiel du service public au niveau mondial, ce qui ne constitue en rien une négation des niveaux national et continental, en l’espèce pour ce qui nous concerne, européen. En raison de sa grande expérience historique en la matière, la France pourrait apporter une importante contribution à ce mouvement émancipateur.
Cela doit aussi nous conduire à prendre la mesure de l’offensive menée depuis plusieurs décennies, de droite comme de gauche, contre les services publics et à définir les orientations et les moyens d’une contre-offensive orientée vers l’universel dans laquelle ces États généraux peuvent jouer un rôle essentiel.
(1) Anicet Le Pors, La Citoyenneté, PUF, collection Que sais-je ?, 4 édition, 2011.
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