Les américains et l’ISI ont toujours su où était Ben Laden (VII)
Comme nous l'avons vu hier, les talibans et Hamid Karzaï ont tenté de signer la paix à plusieurs reprises, la dernière remontant à janvier dernier seulement, cette fois-ci.... au Qatar. Assistaient à la conférence Sher Mohammad Stanekzai, l'ancien ministre des affaires étrangères des talibans, devenu conseiller spécial de Karzaï (c'est le Vice Président de la "Demobilization and Reintegration Commission of Illegal Armed Groups" en fait la réintégration des talibans), ou Shabudin Dilawari, un ancien ambassadeur en Arabie Saoudite et Tayeb Agha, un des proches (bien jeune !), dit-on du célèbre Mollah Omar. Et encore le Maulvi Arsala Rahmani, lui aussi ancien ministre sous le régime des talibans, mais ce dernier ne pourra continuer les discussions : il a été froidement abattu le 13 mai dernier (tout le monde ne semble pas d'accord sur ces négociations, visiblement, Burhanuddin Rabbani ayant été tué le 20 septembre 2011). Les Etats-Unis ayant donné leur accord à Mohammad Stanekzai, en s'engageant à libérer des prisonniers de Guantanamo, et pas des moindres (*), si les négociations de paix s'egageaient au Qatar, avait-on également appris. En fait, si Karzaï pousse autant ces discussions, c'est qu'il y va de sa survie après 2014, date à laquelle les américains seront partis ; le laissant seul face aux talibans, dont on sait ce qu'ils font à des présidents... En même temps, le premier afghan avait reçu les envoyés du gouvernement pakistanais... car rien ne se fait, là-bas, avec les talibans, sans l'assentiment de l'ISI. Or, si on remonte en arrière, des négociations de ce genre avaient bien eu lieu au Pakistan même, à Karachi, deux années auparavant. Elles avaient été sabotées par l'arrestation des leaders talibans... comme je vous l'indiquais hier.
Les négociateurs étaient-ils tombés dans un piège ? Peut-être bien, comme je l'avais écrit à l'époque ici-même : "or cette fameuse capture de deux "dangereux top leaders", on en apprend aujourd’hui les arcanes. En fait de capture, c’est bien d’un piège dont il a s’agît pour s’emparer des mollahs Salam et de Baradar. Les deux ont été tout simplement séduits par une offre financière, faite par le gouvernement de Karzaï et d’autres gouvernements (européens !), s’ils acceptaient de rendre les armes. Ce qu’ils ont fait, à part que la suite des événements ne s’est pas passée comme prévu. Alors qu’il attendait de recevoir son argent, Salam a vu sa maison investie par un raid conjoint de la CIA et de l’ISI à Faisalabad, où il vivait. Baradar idem, au même endroit. Voilà qui nous ramène à ce très bien interview de Sarah Daniel qui décrivait dans le détail la maison de l’intermédiaire, le fameux Farouk ou Farouki, qu"avaient rencontré les journalistes de Paris-Match, vivant tranquillement à Islamabad, à deux pas d’un MacDonald !". En somme, au moment où la paix pouvait être signée ; on l'avait fait sciemment échouée !
Fort étonnament, Baradar avait en effet comme responsable de ses forces armées Abdul Qayum Zakir, relâché comme par hasard de Guantanamo en 2008 et un peu trop présenté par... les américains comme un chef de guerre taliban redoutable. Une sorte de "Zorro taliban". Un Zorro qui remplaçait illico dans la presse américaine les talibans arrêtés... jugés sans doute trop gênants pour ceux qui souhaiteraient .... continuer la guerre, source pour eux de profits. Un nouveau Zorro qui a connu Guantanamo que fort peu de temps : arrêté en 2001 en Afghanistan et "remis à Dostum" (le chef de guerre très violent rallié à Karzaï) jusque 2006, il n'a été envoyé que tardivement à Guantanamo où il n'est resté que quelques mois avant d'être relâché... ce qui fait de lui l'informateur type, ce Zakir ! Ou l'agent double parfait, comme vous préférez : rester aussi peu longtemps à Guantanamo pour se voir décréter chef taliban sans tâche sur lui dès le retour est plus que suspect. Car son arrivée et son départ rapide, sans être inquiété, en on laissé plus d'un sceptique. "Pour expliquer pourquoi Zakir a été libéré de Guantanamo, un fonctionnaire de la défense a déclaré : « Nous étions sous la pression incroyable du monde pour libérer les détenus à Gitmo. Nous ne savions pas ce que ces gens allaient faire" avais-je dit. En fait, les américains le savaient très bien ce qu'il allait faire : aller jouer les nouveaux Zorro d'opérette au milieu du champ de dupes afghan ! On a libéré un chef taliban qui avait été longtemps retenu par l'ISI (via Dostum), comme ça, dans la nature, sans aucunement anticiper son retour à la tête du mouvement ? Avouez que c'est grotesque, comme situation !
De la magouille, comme on avait ou en voir sur les champs de bataille afghans dans les mois qui précédaient, et que je vous avais aussi décrit : "Dans le district de la province de Baghlan, à Baghlan-e-Markazi, les résidents ont été témoins d’une bataille le mois dernier dans laquelle ils affirment que deux hélicoptères étrangers avaient livré les combattants talibans qui ont ensuite attaqué leur centre de district. "J’ai vu les hélicoptères de mes propres yeux", a déclaré Sayed Rafiq de Baghlan-e-Markazi."Ils ont atterri à proximité des contreforts et des dizaines de talibans débarqués avec des turbans, et enveloppés dans des patus (les châles typiques afghans)" nous dit Asia Times : étrange vision à vrai dire. Une étrange livraison, vu par plusieurs personnes et confirmée par des responsables locaux. " Le commandant Amir Gul, gouverneur du district de Baghlan-e-Markazi, a insisté sur le fait que les combattants talibans avaient été livrés par hélicoptère. Je ne sais pas à quel pays appartenaient les hélicoptères", a-t-il déclaré à Institute for War & Peace Reporting. "Mais ce sont les mêmes hélicoptères qui emportent les talibans d’ Helmand, à Kandahar, et de là vers le nord, en particulier à Baghlan"... Etrange action, celle signée manifestement par les Forces Spéciales US, dont le look extérieur est aussi celui de talibans. On sait que certains d’entre eux, retournés, sont aussi utilisés, distingués par un ruban jaune..." D'un côté on souhaitait arrêter la guerre, et de l'autre la continuer... pour des tas de raisons, la principale étant financière... En cause, la fameuse "Task Force 373", celle chargée en même temps, officiellement, d'assassiner les chefs talibans, selon le "Joint prioritised effects list". Au quel cas les "talibans" observés auraient pu être des forces spéciales US déguisées. Encore une des révélations de Wikileaks. On comprend mieux pourquoi Washington souhaite tant faire taire Assange !
En somme, en février 2010, le conflit aurait déjà pu s'arrêter. Ce qui n'était visiblement pas du goût de ceux qui ont tout fait pour saboter les tractations. Les deux journalistes français et leur traducteur étaient tombés en plein milieu de ce traquenard perpétuel, ayant été enlevés le 30 décembre 2009, juste avant l'opération d'enlèvement et d'arrestation de Noshewar et les négociations de paix interrompues. L'argent était encore une fois le motif de leur enlèvement : après 547 jours de détention, la DGSE française amènera une rançon payée en liquide, convertie en monnaie locale, et transportée par valises au Pakistan. Selon certains, les prétentions financières des ravisseurs étaient subitement retombées, et même quasiment divisées par deux : quel événement subit avait pu provoquer un tel revirement chez les talibans ? Tout simplement la disparition du plus grand responsable taliban... le 2 mai. Comme l'avait laissé entendre Gérard Longuet en personne (voir notre épisode précédent). Mais pas celui convenu.
Le conflit pouvait s'arrêter, dans l'intérêt solitaire d'Hamid Karzaï, qui avait trouvé là la seule façon de survivre comme l'a très bien écrit récemment Mediapart. "Quand Barack Obama est arrivé au pouvoir, Karzaï a eu très peur. Il a littéralement paniqué », racontait un diplomate britannique il y a quelques années. « Le vice-président Joe Biden et l’émissaire spécial dans la région, Richard Holbrooke (décédé depuis) lui ont fait passer un message très dur disant : “Vous nous devez des comptes. Maintenant, c’est fini de rire.” » Mais, une fois les élections frauduleuses de 2009 entérinées, et une fois que la Maison-Blanche eut décidé d’augmenter le nombre de troupes dans le pays (la « surge »), Obama lui-même s’est retrouvé pris au piège. Comment faire sortir Karzaï et de quel droit ? Et surtout : quelle garantie que son départ ne provoquerait pas plus de problèmes que son maintien en place ? Cela, Karzaï, dont on ne sait pas s’il a lu la théorie du maître et de l’esclave de Hegel, l’a toujours très bien compris. Aujourd’hui, son dernier espoir de survivre au départ des Américains en 2014 est de trouver un accord politique avec les Talibans. Une négociation de plus, comme celles qu’il a menées ces dernières années avec les chefs de guerre. Toutefois, celle-ci est bien plus compliquée. Karzaï est devenu une figure détestée par la plupart des opposants islamistes, qui lui reprochent à la fois sa complicité avec les étrangers et son sens des alliances contradictoires. Mais ils estiment aussi qu’il est désormais trop fragile pour représenter un interlocuteur crédible. Le survivant joue ses dernières cartes. Avant un départ, ou la fin". Négocier ou mourir pendu et émasculé, ce qui avait été fait au président Nadjiboullah par les talibans... on comprend mieux les efforts désespérés de Karzaï pour conclure un accord avant 2014...
Car en fait, entre temps, on avait résolu le problème autrement, côté américain, comme on va le voir. Pour une raison assez surprenante, à vrai dire. Si les négociateurs français avaient entendu parler du maulavi Abdul Kabir comme donneur d'ordre lointain de leurs interlocuteurs, des mafieux locaux, tel l'armée française les avait décrits, lors de la libération des deux otages, ce même responsable, le 19 février 2011 avait trouvé d'autres moyens de trouver de l'argent, en s'en prenant... à une banque afghane de Jalalabad, attaquée sauvagement, en laissant pas moins de 42 cadavres et près de 70 blessés derrière lui. Une attaque de banque à la veste de kamikaze et à la kalachinkov !!! Une première dans ce conflit et dans le pays ! Des vidéos de surveillance montreront en effet les personnes restées à l'intérieur froidement abattues par des hommes en uniformes de policiers afghans, des talibans déguisés, et même rasés de près (plutôt étrange pour des talibans).
Selon la police locale, l'attaque ressemblait beaucoup à celle de Mumbaï, avec des hommes en armes en liaison constante au téléphone avec leur commanditaire. Etrange comportement et étrange impression de déjà vu ! Les trois attaquants suicides qui ne feront pas fonctionner leur veste, capturés, révéleront avoir 19 ans pour les deux premiers et... 14 ans seulement pour le troisième. Des hommes jeunes, très jeunes, manipulés et ayant subi un lavage de cerveau évident, et très certainement drogués, comme pour Mumbaï. Or l'attaque était alors intégralement imputée à Abdul Kabir, encore lui ! Négociateur de paix la nuit et braqueur de banque de jour ? Etait-il allé trop loin avec cette attaque de banque ?
Attaquer une banque, pour les américains, cela frisait le crime suprême, pour sûr ! Abdul Kabir, l'homme qui était près à négocier directement et financièrement avec Karzaï, c'est à dire dans le dos des USA, c'est simple, ce jour là, pour eux, avait doublement trahi, en se moquant de la confiance de ce même Karzaï.. et de celle des américains, lassés de ses désirs de négocier... contre de l'argent. Il fallait prendre une décision radicale à son égard, ce qui fut décidé. Abdul Kabir devait être... supprimé. Mais le sachant vivre à Abbottabad, dans sa villa, l'usage d'un drone était exclu, à moins de créer un sérieux incident diplomatique. Il fallait trouver une autre façon d'emballer la chose auprès des médias.
Dans un premier tels, les troupes américaines, dès le mois suivant, engagent alors toute une série de raids nocturnes "contre les talibans", près de "300 par mois" indiquera en juillet 2011 le New-York Times sans préciser pour autant les objectifs visés, qui semblent très flous. Des bavures manifestes entâchent ces représailles, que le gouvernement de Karzaï essaie au maximum de minimiser, alors qu'auparavant il en faisait tout un foin. On cherchait surtout à marquer le contre coup de l'effet dévastateur de l'attaque de Jalalabad sur l'autorité qu'exerce réellement Karzaï dans le pays (il ne dirige pas plus 1/3 des régions du pays, aujourd'hui encore et n'a que for peu d'autorité à l'extérieur de Kaboul !).
C'est alors que l'information filtrait de l'endroit où se cacherait Abdul Kabir : selon "les services secrets afghans", en effet, on apprenait qu'il habiterait une maison... au Pakistan. Vous avez deviné laquelle. Comme beaucoup de leaders talibans, ceux qu'on rencontré les journalistes européens, en fait, jusqu'ici rien d'anormal en quelque sorte. A part que la sienne était située à Abbottabad même, et que le bâtiment était bien le même où c'est Ben Laden qui y a été retrouvé mort, parait-il. Et comme les américains avaient décidé d'éliminer le braqueur de banque, voilà qui tombait à point nommé... le gouvernement Obama, lassé de jouer au chat et à la souris avec l'histoire pesante héritée de son prédécesseur, a sans aucun doute décidé d'éliminer celui qui habitait sur place : Abdul Kabir, le taliban preneur d'otages et attaqueur de banque, en le faisant passer pour Ben Laden. C'était à vrai dire bien joué : en même temps c'était retirer l'épine du pied du chef taliban braqueur et se débarrasser définitivement d'un vieux mensonge hérité de ses prédécesseurs, depuis l'ère Clinton, sinon celle de Bush père, Carter et Reagan. Une opération tenue en accord total avec l'ISI, désireuse elle aussi de se passer des services du chef taliban devenu incontrôlable. Mais tuer un cadavre refroidi depuis 9 ans, à la place d'un autre est tout un art : il fallait pour ça déballer toute une histoire... impossible à réaliser sans l'accord de l'ISI.
L'intervention serait une opération aéroportée rondement menée avec ciblage parfait, ou plutôt une "mise en lumière" de la cible pour la repérer plus facilement... Ce soir-là, en effet, selon le Telegraph, une seule villa éclairée du quartier aurait été celle visée, justement : "La théorie, si elle est vraie, permettrait d'expliquer comment les hélicoptères américains Black Hawk furent alors capables de voler profondément dans le territoire du Pakistan sans rencontrer de résistance. Le plan a été révélé lorsque l'un des hélicoptères a atterri en catastrophe, modifiant l'histoire prévue. "La coopération explique pourquoi il n'y avait pas de troupes en Abbottabad," écrit le Dr Hillhouse. "Il m'avait toujours paru très exagéré à mon sens qu'un hélicoptère tombe en panne et puisse plus tard, être détruit dans une zone avec une telle concentration militaire sans que les Pakistanais s'en rendent compte. Dans la foulée du raid, certains résidents d'Abbottabad,
où Ben Laden avait vécu pendant cinq ans, ont dit qu'ils avaient reçu des visites mystérieuses la nuit précédente les alertant de rester à l'intérieur de chez eux avec leurs lumières éteintes"... Le 27 janvier 2012, une pluie de roquettes talibanes s'abattaient sur un caserne pakistanaise. Selon la presse, elles étaient "tombées à 500 mètres à peine" de "là où habitait Ben Laden" : la confirmation de la proximité évidente et flagrante de ces mêmes militaires avec celui qui habitait la villa d'Abbottabad (et qui n'était donc pas non plus Ben Laden !).
En somme, sans le crash idiot du super-hélicoptère déployé pour l'occasion, l'opération aurait peut-être connu une tout autre publicité ! Une intervention qui avait donc bien nécessité la collaboration des pakistanais, contrairement aux dénégations effectuées des deux côtés. Des gens de l'ISI, et non de personnes à la solde de la CIA comme on tentera aussi de le faire croire avec le "coup de la vaccination" dont je reparlerai bientôt. Ne restait plus alors qu'à construire une storytelling comme les américains savent si bien en faire, avec une femme présente à l'intérieur qui se met en travers des tirs pour sauver son "mari", comme par hasard une jeune femme yéménite, Amal Ahmed Abdullfattah, inconnue jusqu'aors et "épousée en 2000 alors qu'elle n'avait que 17 ans" (j'y reviendrai un peu plus loin sur ce cas particulier), un corps (deux corps ?) rapidement embarqué(s) par le commando... et une explication ridicule au fait que l'on ne pouvait pas voir le corps de Ben Laden, bien trop abîmé pour être montré... Obama se débarrassait habilement ce jour-là du problème hérité par ses prédécesseurs, sans avoir à traîner ce dernier dans la boue, comme d'avoir à le faire avec Clinton, Bush Père, Reagan et même Carter, tous à l'origine de la saga Ben Laden. Demain, nous verrons comment ce "paquet" a été vendu tout emballé à la presse. Ben Laden, évacué adroitement avec l'eau du bain de l'élimination physique du braqueur de banque afghane !
A noter que ce n'est pas parce que l'opération avait été basée sur une intervention de commando que d'autres solutions n'avaient pas été envisagées, sur notre homme, comme sur d'autres chefs talibans. La plus classique étant l'usage de drone. Le réseau Haqqani était lui aussi sous surveillance, la preuve en est le 26 février 2011, soit moins d'une semaine avant l'opération, les américains perdaient un énième Reaper, drone tueur muni de missiles Hellfire dévastateurs au-dessus de Miranshah, dans le Nord Waziristan, l'engin s'écrasant sur un des murs du village de Machikhel , dans le district de Mir Ali. Aucun doute possible sur sa forme, d'après les photos transmises... par les Talibans. Or c'est aussi dans le Nord-Waziristan, à Machikhel encore une fois, que le 31 décembre 2009, deux ans auparvant, au même endroit, qu'un drone survolant le village avait tué une partie de la famille de Karim qui depuis n'en démord pas de cette bavure manifeste. Un drone, abattu selon eux et très vraisemblablement plutôt victime d'un incident de parcours, comme la plupart des drones perdus par les américains dans le secteur. A compter que si notre homme s'était aventuré ailleurs quà Abbottabad, il y aurait eu droit également. C'était la ville qui le protégeait, en ce cas.

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