Les « anti-genre », l’égalité des sexes et la pornographie
Avec cette affaire de la théorie (ou pas) du genre, le débat politico-sociétal a atteint un niveau d’apesanteur sans doute jamais égalé en France. D’un côté, les défenseurs de l’ordre moral croient avoir débusqué un nouveau totalitarisme, décérébrateur et castrateur, voué à abattre non seulement les valeurs morales de la famille traditionnelle mais aussi l’identité biologique même des hommes et des femmes. En face, des membres du gouvernement s’emmêlent les pinceaux dans de piteuses justifications dont on retiendra que la théorie du genre, ils sont contre mais que de toute façon, ça n’existe pas, et puis d’ailleurs, promis, ils ne le feront plus. Les partisans de la liberté et de l’égalité sexuelle se retrouvent pour l’occasion dans une curieuse posture de défense des institutions et de l’ordre légal. On croit rêver.
Pinçons-nous, et essayons de prendre un peu de recul :
1- Les « anti-genre » conjuguent plusieurs mouvements dont la rencontre montre qu’il y a bien un hic.
Passons sur la fraternisation entre traditionalistes catholiques et musulmans. Le fait que ces mouvements se reconnaissent et s’apprécient est finalement logique : sur les questions de rapports hommes-femmes, d’éducation et de sexe, ils sont d’accord à peu près sur tout. Dont-acte.
Plus curieuse est le rapprochement de cette vieille garde conservatrice (ou réactionnaire) avec la nébuleuse soralo-dieudonniste : conformistes tenants de l’ordre moral d’un côté, provocateurs démolisseurs de la « bien- pensance » de l’autre. Le plus étonnant dans cette conjonction est qu’elle mette dans le même camp ceux que tourmentent l’image d’une école maternelle contaminée par l’homosexualité et la pornographie, et ceux dont le signe de ralliement n’est autre que le mime d’un « fist fucking » (sodomie avec le bras). Vous avez dit « confusion » ?
2- Les fantasmes sur la menace que représente l’égalité entre hommes et femmes pour la virilité des premiers et la féminité des secondes sont en complète contradiction avec les évolutions profondes de la société.
De plus en plus de familles s’organisent sur la base d’une négociation de couple basée non plus sur des principes ou stéréotypes traditionnels, mais sur un dialogue libre et équilibré. De nombreux pères passent ainsi désormais plus de temps avec leurs enfants que les mères, parce qu’ils ont pris le temps de réfléchir ensemble aux questions domestiques de façon rationnelle : Quel est celui qui gagne le plus ? Quel est celui qui a les horaires les plus souples ? Jusqu’à présent, aucune étude scientifique n’a établit que cette évolution allait de pair avec une baisse de virilité…
3- Les personnes qui s’expriment publiquement sur les questions d’égalité des sexes sont généralement les moins aptes à le faire.
Ne parlons même pas des curés tenus par leurs vœux de célibat. Mais que peuvent bien en dire un homme ou une femme politique, un(e) journaliste télévisé, un(e) philosophe télévisuel ? Ils bénéficient tous d’un statut social et de revenus qui leur permettent de déléguer à des tiers salariés les tâches domestiques sur lesquelles l’égalité entre hommes se construit au quotidien : la prise en charge des enfants, le ménage, la cuisine, etc. Le débat peut bien rester théorique et s’enfoncer dans l’illusion et l’hystérie, la réalité des relations hommes-femmes reste fondamentalement affaire d’expérience personnelle. Sur ce plan, Najat Vallaud-Belkacem, Marine Le Pen, Manuel Valls ou Eric Zemmour : même combat.
4- Nos enfants sont confrontés quotidiennement à une sexualisation à outrance, sur laquelle le faux débat sur le « genre » fait complètement l’impasse.
D’une part, ils sont exposés, à travers la publicité, les clips, les affiches, les programmes télé, à un érotisme qui ne leur est pas destiné mais contre laquelle il n’existe pratiquement aucun moyen de les protéger. D’autre part, les programmes qui leurs sont réservés sont eux mêmes empreints d’une sexualisation notamment destinée aux filles, un marketing qui vise à rompre la barrière des âges pour faire adopter aux plus jeunes des comportements de clients précoces.
Ce n’est pas l’Education nationale qui impose aux enfants des images qui relèvent de la pornographie (« représentation de choses obsènes »), mais la société de consommation ! On aimerait entendre les pourfendeurs de la supposée conspiration de l’indifférenciation sexuelle s’exprimer sur cette question avec autant de virulence. Mais non : finalement, les enfants des autres peuvent bien rester exposés à tous les dangers, ce qui importe à ces gens là est de pouvoir soustraire leur propre progéniture au service public de l’éducation nationale.
Dans le fond, ce qui leur importe, c’est de conserver une société hiérarchisée, avec des classes bien séparées. Forcément, le projet de liberté et d’égalité porté par l’éducation nationale, même avec ses ratés, ses faiblesses et ses trahisons, leur est plus dangereux qu’une société de consommation foncièrement immorale et inégalitaire.
Nos enfants qui naissent aujourd’hui ne vivront pas, dans 20 ans, les mêmes rapports hommes-femmes que nous. Si nous voulons qu’ils bénéficient d’un minimum de progrès social, nous ferions mieux de ne pas nous laisser détourner de l’essentiel par les soi-disant défenseurs de la moralité.
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