Les avanies d’un footballeur s’aventurant sur le terrain... des choses de l’esprit
Dans l’encens que les thuriféraires ne cessent de faire monter aux narines d’une des « personnalités les plus appréciées des Français avec l’abbé Pierre », peut-on oser envoyer sur l’icône quelques effluves de bombe désodorisante ?
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH225/136_3663-8a3d3.jpg)
Je me souviens, en effet, d’une publicité de Ford, de janvier 2001, montrant le footballeur Zidane en train de conférer sur la primauté du faire par rapport au dire. « L’important n’est pas ce que l’on dit mais ce que l’on fait ! », martelait-il, en plantant ses yeux dans les vôtres. Cette publicité n’était pas passée inaperçue : on avait même parlé d’un contrat rapportant à la star au moins 5 millions de francs de l’époque, pour cette unique leçon philosophique. Mais avait été alors méconnu le caractère nouveau de cette campagne.
À la façon d’un gourou, la star que le public avait contribué à fabriquer lui était retournée en directeur de conscience. Jusqu’alors, la star vantait les vertus d’un produit. Désormais, elle quittait le terrain de foot pour s’aventurer sur celui de la morale. Certes, sa leçon était banale : elle se limitait apparemment à traduire une variante d’un vieux proverbe romain : Res, non verba : des actes et non pas des paroles ! La star ne prenait pas de risque, elle était assurée de gagner l’adhésion de tous, ce qui était le but recherché. Mais la banalité affligeante du propos était maquillée par une mise en scène qui, par intericonicité, rapprochait le footballeur de l’intellectuel : mal rasé pour faire peur sans doute à l’adversaire et le pousser à tout donner de sa force brute sur le terrain, son visage n’était pas plus soigné que celui de l’intellectuel que les choses de l’esprit distraient du souci de son apparence. Mieux, l’éclairage assombrissant l’arcade sourcilière, le regard en ressortait plus intense, plus dru et plus fixe, à la façon de celui d’un gourou.
Un anti-intellectualisme bien connu.
Le réflexe d’identification que déclenchait la star chez ses fans se limitait jusqu’alors , faute de pouvoir pénétrer « plus avant » dans son intimité, à leur faire opérer un transfert sur les produits vantés par leur idole. La publicité de Ford usait désormais de la paralysie de la raison du fan, abandonné à la séduction de sa star, pour lui faire admettre l’inadmissible.
- Passe encore un premier amalgame entre la firme et la star : Ford et Zidane étaient censés avoir une même règle de conduite, "faire" et non "dire". Cela restait à voir ! Car il s’était trouvé certains cas où Zidane eût été mieux inspiré de "penser" avant de "faire", par exemple, essuyer ses crampons sur l’adversaire ou lui donner un coup de tête, laquelle tête, on le voit, était réquisitionnée par le footballeur-moraliste, elle aussi, non pour "dire", mais pour "faire". Concédons-le : Ford valait mieux que ça !
- Un second amalgame était un détournement insinué du vieux proverbe romain qui, à la différence du footballeur-moraliste, ne postulait pas une dissociation entre "dire" et "faire", mais plutôt une imbrication où les actes sont les preuves des paroles et montrent qu’on ne triche pas. Du coup, insensiblement, par mise hors-contexte, cette dissociation de la pensée et de l’action ne glissait-elle pas vers un culte de l’action et un anti-intellectualisme bien connus, puisqu’ils sont un des traits caractéristiques majeurs de l’idéologie fasciste ? Cette célébration frénétique de l’action était, on le sait, pour les membres du parti, la... contrepartie de la confiscation de la pensée par le guide suprême, duce ou führer.
Voilà qui ne conduisait pas à traiter cette publicité à la légère ! On avait vu déjà à quelle extrémité conduisait la fièvre nationaliste entretenue par le football, certains soirs de victoire. Voici qu’un acteur de ce divertissement, qu’on prétendait innocent, usait de son charisme et de son audience auprès des « simples » pour se convertir en moraliste au service d’une des composantes de la pire des idéologies qui soient.
Son inexpérience de moraliste, heureusement, tendait à atténuer la gravité du propos. Ne disait-il pas lui-même que "l’important, ce n’(était) pas ce que l’on (disait), mais ce que l’on (faisait)." ? Et ce faisant, que faisait-il ? Il disait ! Donc, ce qu’il disait n’était pas important. Ford aurait tout de même pu lui donner quelques leçons de logique formelle sur le paradoxe, pour lui éviter cette bévue de néophyte et faire en sorte que cette publicité ne se détruisît pas elle-même !
Une inoculation indolore.
Ces galipettes de logique formelle, cependant, n’enlevaient rien à la gravité du sujet : cette publicité représentait un nouveau pas dans l’utilisation du football pour familiariser de façon indolore la masse de ses supporters à une idéologie que l’on ne croyait pas revoir de sitôt.
- On savait déjà que ce divertissement innocent stimulait le chauvinisme et le nationalisme avec ferveur à Paris, jusqu’à jeter sur les Champs-Élysées une foule jamais vue... depuis la Libération de Paris ( !), et parfois avec morts d’hommes, comme au stade du Heysel à Bruxelles, en mai 1985.
- On avait vu aussi que le racisme (ou mieux, l’ethnisme) se donnait libre-cours, dès que l’occasion s’y prêtait , à l’encontre d’un entraîneur de culture juive, dont on réclamait la tête, comme à Strasbourg, ou encore envers un gardien de but d’origine antillaise ou africaine, pour l’intimider.
- Avec stupeur, on avait ensuite assisté au développement d’une mode de crâne rasé (ou skin head), bénie publiquement par un baiser du président de la République lui-même sur le caillou prosterné d’un gardien de but, pendant la Coupe du monde de 1998.
- Avec consternation, on avait vu des bras tendus se lever dans certains virages de stade, comme au Parc des Princes de Paris.
- Voici qu’une star, cousue d’or, était maintenant utilisée pour discréditer la pensée au profit de l’action.
Quelle serait la prochaine étape ? L’ovation d’un stade tétanisé devant son chef suprême ?
On voit ce qui, en cette occasion, a manqué à notre sublime jongleur : mettre ses pieds au service de sa tête, et non l’inverse. Aussi vaudrait-il mieux que ces stars aient encore un peu de modestie et moins de cupidité pour ne jamais s’aventurer en dehors du champ clos de leurs compétences qui mesure la taille exacte d’un terrain de football, et pas plus ! Paul VILLACH
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