Les barbares dans la cité : ils veulent détruire le dimanche !
« J’voulais qu’chaque jour soit dimanche ! » pleure « le galérien » de Maurice Druon sur une mélodie russe traditionnelle, chanté tour à tour par Yves Montand, les Compagnons de la Chanson, Félix Leclerc et Mouloudji. C’est vrai ! « Ce n’est pas tous les jours dimanche ! » N’est-ce pas ce qu’on dit quand on s’offre une petite folie, à soi et à ses proches, pour que la vie s’en éclaire ? Et si ce jour-là, laissant les vêtements de la semaine, on revêt ses « habits du dimanche », c’est bien pour marquer une rupture et vivre autrement, non ?
Toutes les avanies subies à travers les siècles n’ont pas réussi à faire du dimanche un jour ordinaire comme les autres : curieusement, il est toujours réapparu comme un jour d’exception, de dévotion pour certains, et, pour beaucoup, de repos, de vie familiale, de fête ou d’activité sportive, nécessaire à la respiration après une semaine continue de travail. Il paraît que Dieu lui-même, selon la Bible, aurait éprouvé le besoin de se reposer après six jours de création intense pas toujours très réussie. La preuve !
Un long mouvement d’arrachement progressif à la servitude du travail
Le dimanche s’inscrit, en effet, surtout depuis le 19ème siècle, dans ce long mouvement d’arrachement progressif à la servitude d’un travail ininterrompu, de l’enfance à la mort, sept jours sur sept, douze à quinze heures par jour, à en oublier que si l’homme s’est redressé sur ses membres inférieurs, c’est pour avoir mieux à faire qu’à rester la face contre terre, comme par exemple prendre le temps de la tourner vers ses semblables et de chercher à reconnaître en eux sa propre ressemblance.
Oublie-t-on qu’il a fallu la loi du 22 mars 1841 pour commencer à limiter le travail des enfants, et encore dans de bien modestes proportions qui devraient faire frémir les petites frappes qu’on laisse sévir impunément « entre les murs » d’un établissement scolaire pour sa ruine ? Le « Tableau physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie », publié en 1840 par le Dr Villermé, était si alarmant : on en venait à craindre de ne plus pouvoir réunir une armée, tant étaient nombreuses les exemptions des jeunes français souffrant d’infirmités de toutes sortes à cause d’un travail trop précoce et trop dur. Les ouvroirs des si charitables dames patronnesses ne sont donc pour rien dans cette humanisation de la sauvagerie humaine. On ne pourrait désormais en principe travailler à l’usine, à la mine et aux champs - mais qui le vérifierait ? - qu’à partir de … 8 ans ; entre 8 et 12 ans on ne travaillerait que… 8 heures par jour, et entre 12 et 16 ans, 12 heures !
Il faut attendre 1919, après une bonne guerre mondiale, pour que la journée légale de huit heures soit adoptée, il y a tout juste 90 ans. Et ce n’est qu’en 1936 que la semaine de travail est limitée à 40 heures, même si elle est très diversement respectée. Des congés payés commencent même à être imposés, d’abord quinze jours puis un peu plus jusqu’aux cinq semaines d’aujourd’hui. Les 35 heures tant décriées étaient une nouvelle étape. Entre temps, il y a cent deux ans, en 1906, le dimanche est devenu jour de repos hebdomadaire. Et curieusement, ceux qui alors se sont mobilisés pour l’arracher, ce sont d’abord les employés du commerce. Quelle ironie de l’Histoire de voir que le gouvernement entend effacer le dimanche du calendrier de leurs successeurs !
L’abolition du dimanche, un symbolisme barbare
Ainsi ce grand mouvement émancipateur a-t-il tendu depuis un siècle et demi à ménager dans la vie des hommes et des femmes des plages de loisir pour qu’ils soufflent et se ressourcent à d’autres activités que celles du travail obligatoire et asservissant, cet « otium » réservé aux classes riches de la société romaine, et qui s’opposait justementt au « negotium » qui est, en somme, la négation du loisir (nec-otium) pour finir par devenir en français « le négoce », le commerce.
Mesure-t-on, en regard, ce que cette contre-réforme de l’abolition du dimanche peut contenir de symbolisme barbare, avec son motif insensé du « travailler plus pour gagner plus » puisqu’il n’est pas question de la moindre augmentation de salaire, sauf pour les grands patrons ? Pourquoi, tant qu’on y est, ne pas ajouter une 25ème heure à la journée de 24 heures ?
La parole évangélique a-t-elle jamais résonné plus juste ? « Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ? » N’est-ce pas l’âme d’une culture que cherche à tuer cette destruction du jour de l’esprit qu’est le dimanche ? Il est paradoxal et amusant de noter que la présidence française qui s’est affichée avec le plus d’ostentation aux côtés du pape Benoît XVI et a délivré de si belles paroles spirituelles jusqu’à violer à plusieurs reprises le principe républicain de la laïcité, est celle même qui s’attaque cyniquement au jour symbolique du culte chrétien, « dies dominica », le jour du Maître, d’où vient le mot « dimanche ».
Il ne suffit donc pas à l’idéologie libéraliste d’avoir provoqué la présente débâcle financière et économique où les escrocs de la veille trouvent encore plus escrocs qu’eux le lendemain. Elle entend frapper au coeur une civilisation qui, malgré des phases de régressions sévères, avançait cahin-caha sur la voie d’un peu plus de liberté pour tous. Elle n’a manifestement d’autre objectif aujourd’hui que de courber l’échine des femmes et des hommes et de les ramener la face contre terre pour leur faire reprendre les postures de leurs ancêtres du temps des cavernes où, - Bénédiction ! - il n’était évidemment pas question de dimanche quand il fallait aller à la chasse ou à la cueillette.
Paul Villach
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