Les classes dirigeantes ont gagné contre le peuple

On savait bien que la semaine des vacances marquerait l’essoufflement du mouvement des retraites. Celui qui manque d’indulgence fera une comparaison assez aisée avec l’étrange défaite de 1940. Des divisions de travailleurs déterminés à mener le combat sur le front des raffineries, bloquant les terminaux, enchaînant les grèves. Des Français présents dans la rue. Et puis l’implacable calendrier du Parlement, accélérant les procédures de vote, comme s’il fallait adopter la stratégie de la guerre éclair afin de faire voter le texte le plus rapidement possible pour signer la victoire en se prévalant de l’autorité démocratique. La loi a été votée par les élus du peuple. Oui mais sa légitimité est entachée par les sondages. 70% des Français soutenaient le mouvement. Etrange coïncidence, c’est le pourcentage de mécontents face à l’action du président. Quant aux chefs syndicaux, ils ont eu la meilleure place dans les médias. Présents plus que jamais mais sur le front médiatique sans pouvoir livrer les arguments pour poursuivre le mouvement. Qu’ont-ils obtenus. Des négociations sur le travail des jeunes et des seniors. Tout ça pour ça ! S’exclament les meneurs de grèves et les millions dans la rue.
La rue a perdu mais sans doute, le combat était perdu d’avance. La société française est sous l’effet d’un chaos idéologiques et d’une confusion généralisée liée à la complexité du système, à l’opacité des dispositifs économiques, financiers, fiscaux et de la redistribution. Les syndicats vont négocier mais quoi ? Qu’y a-t-il à négocier pour l’emploi des jeunes et des seniors. Rien, il n’y a pas d’emploi. Encore des mesures toutes aussi inefficaces que coûteuses et d’ailleurs, les dispositifs existants sont déjà en place, révélant leur inefficacité face à l’inexorable marasme économique et au poids de la dette. Le seul moyen de créer de l’emploi, c’est non pas de partager le travail, car il y en a plus, mais de partager les revenus. Autrement dit, déshabiller Paul pour habiller Pierre. Augmenter les cotisations sociales des actifs pour aider les entreprises à embaucher des jeunes et des seniors. Tous les spécialistes du marché du travail savent que ces mesures ne servent à rien, ne faisant que déplacer un problème vers un autre. Signe des temps et du chacun pour soi. Aller mettre ses déchets chez le voisin. Déplacer les pauvres vers les banlieues. Une somme de mesures sectorielles ne crée par forcément un espace de décision obéissant à l’intérêt républicain. D’ailleurs, sans pour autant dire que la république est morte, on peut supposer qu’elle faiblit. Le monde actuel, c’est moins de république, et plus d’intérêts privés. Sans pour autant que la défense des corporatismes crée un avantage pour la société. Ce serait plutôt l’inverse. L’unité républicaine rongée peu à peu par les puissances sectorielles. Les pays amputés des classes précaires.
Les Français sont en colère et pour reprendre un thème cher à Sloterdijk, le mouvement contre les retraites a montré à quel niveau se situaient les actifs de la colère populaires qui se sont déversé dans la rue pendant plusieurs semaines. Colère contre le système, bien plus que contre une réforme jugée nécessaire par la plupart mais injuste, sans qu’un vrai débat ait été conduit. Le président a sifflé la fin de la partie avant qu’elle ne commence. L’agora républicaine, parlementaire et médiatique, a donné le spectacle d’un match que les participants ne voulaient pas jouer. Du coup, les spectateurs ont décidé de quitter le stade et de manifester dans la rue. Et puis fin de la récréation. Le texte est voté.
Pendant ce temps, les dirigeants européens jouent de tractations en négociations pour revisiter et réformer les principes financiers, les mécanismes budgétaires, les solidarités entre Etats, les pactes de stabilité, les sanctions économiques. Bref, les eurocrates concoctent des mesures nouvelles pour servir les équilibres comptables. Un peu comme les Etats-Unis ont pris des mesures sécuritaires exceptionnelles après la chute des tours jumelles. Il faut dire que la crise de 2008-2010 est vécue par les eurocrates comme un 11 septembre financier. Certes, aucune tour ne s’est effondrée mais la Grèce est passée près de la faillite. Voilà à quoi nous sommes préparés. Une situation d’urgence économique. Pas d’alternative. Pas de débat. Juste quelques arnaqueurs médiatiques venant vendre leur image pour vanter des plans de croissance. Vous connaissez le surnom d’Attali. L’ hors-norme de croissance. Des alternatives ? Il n’y en a pas. Juste quelques curiosités ayant part dans les médias pour montrer que la démocratie marche. Le NPA, les anti machin, les alter truc, les décroissants, le croissant vert durable.
En conclusion, la classe dirigeante a gagné. Elle maîtrise les réformes, les décisions, les rouages, les idéologies. Elle a le pouvoir exécutif dans sa poche. Elle a des liquidités sans compter. Les populations n’ont qu’à se taire, accepter le marasme, vivre dans la peur et se soumettre aux classes dirigeantes qui leur assurent sécurité, gîte, couverts et quelques loisirs. Le peuple a perdu en 2010. Il n’y a pas de Général pour le remettre dans la bataille. Car il y eut une drôle de guerre, les élites étant dissociées de la « société civile ». Mais soyons sûr que le cirque politique saura accueillir ses vedettes en 2012.
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