Les dangers du débat sur l’identité nationale
Le débat sur l’identité nationale est lancé, avec, selon Éric Besson, l’ambition de valoriser les valeurs républicaines et "la fierté d’être Français".
La principale question concernant ce débat, c’est « pourquoi maintenant ? ». La plupart des commentateurs politiques et l’opposition y voient une manœuvre de diversion, alors que Nicolas Sarkozy et son gouvernement font face à un mi-mandat délicat.
Pourtant, ce serait une erreur de réduire ce débat à une simple opération électoraliste. Vouloir définir une identité nationale peut s’avérer dangereux, et ce pour plusieurs raisons.
Ce débat intervient au moment même où une polémique a éclaté concernant le renvoi d’afghans vers leur pays d’origine, et où une mission parlementaire est chargée d’étudier le phénomène du port de la burqa. Ces deux faits, qui ramènent respectivement à la question de l’immigration et la place de la religion en France constituent le cœur de ce débat (même si le port de la burqa n’est pas préconisé par l’Islam, le phénomène est traité comme religieux). Et la droite, en s’en emparant, tente de graver dans le marbre sa propre définition de l’identité nationale, de ce qu’est être français.
La gauche elle, est piégée et hésite. Ou bien elle prend part au débat au risque d’être accusée de cautionner celui-ci, illégitime pour certains de ses électeurs, ou bien elle refuse d’y prendre part et laisse à la droite le monopole de donner sa propre « version ». C’est malheureusement ce qui risque d’arriver.
Mais avant d’essayer de comprendre pourquoi cela est dangereux, il faut souligner que le but de ce débat, définir cette identité nationale, est illusoire. Cela revient à vouloir trouver des dénominateurs communs à 65 millions de français. Mais hormis une carte nationale d’identité, des droits et des devoirs, qu’en est-il ? Qu’y a-t-il de commun entre une femme d’origine vietnamienne qui a fui le régime communiste d’Hanoï pour la France, où elle a été naturalisée ; et un agriculteur normand dont toutes les origines, aussi loin que l’on puisse remonter, se trouvent en France ?
On serait tenté de répondre « la fierté d’être français, l’adhésion au concept de laïcité, le respect des droits de l’homme » pour prendre quelques exemples qui sont souvent cités. Mais on peut très bien ne pas être fier de son pays, ou alors être contre certains aspects de la laïcité (tout en la respectant), et être malgré tout français. Dans le cas du non-respect des droits de l’homme, les lois existantes sont suffisantes pour condamner toute dérive.
Vouloir définir une identité nationale n’apportera donc rien, car en définissant des critères pour être français, il sera évidemment impossible de retirer leur nationalité à ces millions de français qui n’y correspondraient pas. D’ailleurs, ce n’est pas le but des initiateurs du débat. Le véritable objectif de ce débat, ce n’est pas de définir l’identité nationale française, mais plutôt de définir ce qu’elle n’est pas.
On voit alors tout le danger d’une telle démarche. En donnant sa définition de ce qu’est être français, une partie de la droite tente d’en exclure d’office toutes les catégories de populations dont l’intégration est difficile, dont la simple présence sur le territoire français pose problème à certains, ou qui est victime de discriminations au quotidien.
La manœuvre est habile, car elle permettra à ses auteurs de légitimer l’application de politiques aujourd’hui fortement contestées, et de se dédouaner des échecs ou des absences d’initiatives dans d’autres politiques.
Ainsi, en matière d’immigration, il sera plus facile de légitimer les expulsions de sans-papiers dans la mesure où ces derniers ne correspondraient pas aux critères de l’identité nationale. L’immigration légale pourrait aussi être freinée au nom de ce seul principe.
Il y a également un risque que les discriminations que subissent quotidiennement les français « issus de l’immigration » (discriminations à l’embauche, recherche d’un logement, etc.) soient encore moins combattues qu’aujourd’hui. On justifiera ainsi le manque d’initiatives pour combattre le racisme par le fait que ceux qui en sont victimes ne font pas l’effort d’adhérer au concept d’identité nationale, dont les contours auront justement été définis de telle sorte que ces mêmes victimes en soient d’office exclues.
En pleine polémique sur la burqa, ce débat tombe à pic. Quoi de plus facile que de décréter que ce vêtement ne correspond pas à la définition de l’identité nationale, plutôt que d’entamer un dialogue avec ces femmes (avec l’aide d’associations par exemple) pour les convaincre que rien n’en justifie le port, et surtout pas l’Islam (Il est d’ailleurs édifiant de constater que, dans ce débat, les autorités n’aient jamais essayé de comprendre ce qui amène une femme à porter une burqa, et ainsi enrayer le phénomène. La question a simplement consisté à savoir si on devait l’interdire dans l’espace public ou non. En somme, pour le « confort visuel « des français, on repousse la burqa dans le privé sans que la question de fond ne soit réglée).
Ces exemples montrent combien il est plus facile de s’attaquer aux conséquences de certains problèmes de société plutôt qu’à leurs causes. En (re)sortant du chapeau le concept d’identité nationale, le gouvernement se munit d’une arme qui lui permettra à l’avenir de parer à toute critique concernant certaines questions.
Cette identité nationale que veut promouvoir le gouvernement n’est construite qu’en réaction à certains problèmes que toute la classe politique n’a su résoudre depuis plus de 30 ans. Une identité nationale construite non pas pour rassembler, mais pour exclure. Le danger est là.
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