Les économistes sont-ils des imbéciles ??
Les économistes se parent du titre de scientifiques ! Mais sont-ils rationnels ?
Les économistes rationnels ??
Jacques-Robert SIMON
Rationnel : cartésien, cohérent, conséquent, raisonnable, raisonné, sensé, suivi, théorique, rigoureux, clair, logique, méthodique.
Il est intéressant que la définition de rationnel puisse être associée au nom de René Descartes, philosophe, mathématicien et physicien français du XVII siècle. Un exemple de ce que proposèrent plus tard des cartésiens est illustratif du type de questions posées dans ce cadre :
« Ils demandèrent aux partisans de l’âme des bêtes ce que devenait l’âme d’un polype coupé en cinquante morceaux, dont chacun reproduit un individu complet. L’âme avait-elle été divisée aussi bien que le corps, ou bien était-elle restée tout entière dans un fragment. » (Jean Louis Armand de Quatrefages de Bréau en 1856).
Question intéressante encore non résolue de nos jours.
Les cartésiens, de tous temps, s’opposèrent aux croyants qui préféraient un mystère à toute explication du domaine de l’entendement. Une méthode rationnelle devait être utilisée pour répondre aux questions les plus inattendues. La méthode employée se devait pour le moins d’être cohérente, logique et méthodique afin de se mettre à l’abri des pulsions ou d’une contemplation béate. Le degré de cohérence dépend bien évidemment de l’individu qui propose cette méthode et il peut donc être rencontrés divers degrés, diverses « élévations » de la pensée.
Toute entreprise humaine est faillible, c’est d’ailleurs à ce trait qu’on la reconnaît, pourtant ce qui découle de la raison semble présenter une certaine universalité. Il n’existe pas des sciences, il n’existe qu’une Science, du moins pour celles que l’on qualifie d’exactes : Mathématiques, Physique, Chimie, Biologie. Indépendamment des dieux locaux, des habitudes vestimentaires, des principes politiques appliqués pour diriger le ou les peuples, la Science ne propose qu’une seule possibilité d’explication, la plus probable, celle que personne au sein d’un certain milieu ne conteste. C’est la raison pour laquelle on considère généralement que la Science fournit une vérité indépendante de celui qui la propose. Cette vérité émerge car elle est soumise à la sagacité de toutes les personnes « éclairées » afin qu’elles puissent tester sa solidité. Est-ce à dire que l’on tient là l’arme absolue qui permet de se mettre à l’abri de l’erreur ? Est-ce à dire que l’on possède une voie royale vers les plus extraordinaires découvertes ? Est-ce à dire que toutes les autres approches doivent être bannies ? Est-ce à dire que la perfection est possible pour trouver un chemin vers la vérité ? Est-ce à dire qu’il faut assimiler Science et rationalité ?
Evidemment non !
Lorsqu’on a réussi à se débarrasser de la science livresque que l’on doit subir durant d’innombrables années d’études, on a tôt fait de se rendre compte qu’elle est faite d’essais, d’erreurs, d’intuitions, d’imprévus, d’objets trouvés plus que d’objets cherchés. Ce n’est que bien après que ces errements sont gommés pour fournir au commun des mortels une image lisse et parfaitement déductive donc rationnelle, propre à éduquer les jeunes âmes. Ce n’est que lorsque la Science a été débarrassée de sa substance qu’elle est proposée aux profanes.
Mais la question posée est différente : le rationnel est-il un absolu qui permet des affirmations qui ne peuvent pas être remises en cause ? C’est à cet aspect que nous allons maintenant nous attacher !
Empédocle est un philosophe, ingénieur et médecin grec du Ve siècle av. J.-C.. Il fut un personnage important d'Agrigente. D'après la légende, il termina sa vie en se jetant dans les fournaises de l'Etna. Empédocle fut sans doute le plus étrange et le plus excentrique des savants de son époque : Il s'habillait de vêtements de pourpre avec une ceinture d'or, il portait des souliers de bronze et une couronne delphique. Il avait les cheveux longs, et se faisait suivre par des esclaves bien que défenseur de la démocratie (telle que définie en son temps). Sa doctrine fait des quatre éléments, le Feu, l'Air, la Terre, l'Eau, les principes composant toutes choses :
« Connais premièrement la quadruple racine
De toutes choses : Zeus aux feux lumineux,
Héra mère de vie, et puis Aidônéus,
Nestis enfin, aux pleurs dont les mortels s'abreuvent. »
À ces Éléments s'ajoutent les Forces de l'Amour et de la Haine : l'Amour rapproche même ce qui est dissemblable, et la Haine sépare ce qui est joint.
Il peut être considéré que le modèle proposé est rationnel selon les observations disponibles à l’époque. Il peut même être affirmé que ce modèle contient de substantielles quantités d’éléments que l’on peut traduire en termes contemporains (pour ne pas dire modernes). Les états actuels de la matière sont le gaz (l’air), le liquide (eau), le solide (terre) et la transformation des uns dans les autres fait intervenir de l’énergie (le feu). L’Amour rapproche prétend-il ! La formation de liaisons covalentes, les forces de van der Waals (ou hydrophobes), les interactions anion-cation font de même. La Haine déchire comme la solution dissout le cristal, ionise les acides, rompt les complexes ligand-substrat. Le modèle d’Empédocle est, selon les critères de l’époque, parfaitement rationnel et si l’on s’écarte d’une traduction trop étroite de ses textes, il permet d’entrevoir de très réels morceaux de ce que l’on considère aujourd’hui comme un réel rationnel. Toutefois, cette rationalité n’est pas la seule possible et une autre fut proposée, différente et surtout complémentaire.
Démocrite (460 av. J.-C.- 370 av. J.-C.) philosophe grec avait la conviction que l’univers était constitué d'atomes et de vide. Ce fut un grand voyageur et de retour d’un de ses voyages, ayant dilapidé sa fortune, ses ennemis l'accusèrent d'avoir dissipé tout son patrimoine pour satisfaire une vaine curiosité. Le Philosophe parut devant le Sénat d'Abdère, et pour toute défense, il se contenta de lire les premières pages d'un Traité nommé « Grand ordre du monde » qu'il venait de finir. Les juges lui accordèrent leur grâce. Ce grand ordre décrivait deux principes : les atomes (ce qui est plein) et le vide (ou néant). « Rien ne vient du néant, et rien, après avoir été détruit, n’y retourne. » Il y a ainsi toujours du plein, c'est-à-dire de l’être, et le non-être est le vide. Selon Démocrite, les atomes sont des corpuscules solides et indivisibles, séparés par des intervalles vides, et dont la taille fait qu’ils échappent à nos sens. Les atomes sont décrits comme lisses ou rudes, crochus, recourbés ou ronds, ils ne peuvent être affectés ou modifiés à cause de leur dureté. En dehors de l’attrait pour le mot atome, qui entre pleinement en résonance avec le terme utilisé en notre temps, il faut souligner qu’il permet de mettre en évidence la discontinuité de la matière visible, discontinuité ne pouvant être détectée par une observation commune. Contrairement à l’approche d’Empédocle, aucune expérience ne permet d’étayer cette proposition ; il s’agit donc d’une notion hors sol, indépendante de toute espèce d’observation. Plus tard, la notion d’atome de Démocrite tendit à rejoindre les propositions d’Empédocle. Les atomes sont pensés être à l'origine de tous les composés (du soleil à l'âme), ce qui comprend également tous les éléments (feu, eau, air et terre). Ils entrent parfois en collision et rebondissent au hasard ou s'associent selon leurs formes, mais ne se confondent jamais. La génération est alors une réunion d’atomes, et la destruction, une séparation, les atomes se maintenant ensemble jusqu’à ce qu’une force plus forte vienne les disperser.
A l’origine deux explications auto-cohérentes et rationnelles émises par deux penseurs distincts. Le temps permet peu à peu de les réunir et fournit un schéma explicatif plus général sans être plus rationnel que celui proposé originellement. Les Sciences exactes dites modernes permettent de traduire les éléments contenus dans l’une et l’autre en révélant les aspects les plus pertinents et les plus immuables : une vérité, une rationalité devrait-on dire, se développe.
Le processus de formation du rationnel est maintenant peut-être plus clair. Des propositions sensées sont faites. Seul leur auto-cohérence permet de les distinguer d’éventuelles aberrations ou affabulations. La confrontation avec l’expérience permet de mettre à l’écart des scories de la pensée pour ne conserver que le cœur le plus logique. Ce décapage n’est plus l’œuvre d’un seul mais de tous, ce qui permet aux notions dégagées d’avoir un certain degré d’universalité : un tout rationnel peut alors être proposé sans trop d’inquiétudes quant à son pouvoir explicatif et sa sagacité pour la prédiction d’événements.
Mais alors, pourquoi doit-on toutefois se méfier de propositions qualifiées de rationnelles ? Une certaine rationalité serait-elle relative voire trompeuse ?
Lorsque quelqu’un met en avant sa rationalité, son bon sens, le caractère évident du bien fondé de ses propositions, il est hautement recommandé de se méfier. Les plus prolixes en ce domaine sont les hommes politiques. Il est rationnel de baisser les salaires des uns, tout en augmentant les privilèges des autres, il est rationnel de détruire une industrie pour créer des chômeurs en un endroit pour générer des emplois dans d’autres, il est rationnel de ne rien faire qui puisse promouvoir la production d’énergies renouvelables trop onéreuses par rapport au gaz de schiste, à l’électricité nucléaire, au pétrole résiduel des pays arabes … , il est rationnel d’élire soit des républicains, soit des démocrates, soit des gens de gauche, soit des gens de droite, soit des Whigs soit des Tories, même si personne ne pourrait énoncer une quelconque différence entre eux … etc … etc … Cette rationalité n’a rien à voir avec celle évoquée précédemment ! Dans ce cas, des brainstormings permettent de construire des scénarios susceptibles d’être crus par des électeurs afin qu’ils apportent leurs suffrages à ceux qui désirent exercer un quelconque pouvoir. Le nombre, les années d’études amassées par les intéressés et leur « science » des médias leur permet d’être efficaces pour présenter comme sensés les spectacles les plus pitoyables.
Mais les Hommes politiques ne sont pas les seuls à construire ces apparentes rationalités : les publicitaires, alliés de nos élus, excellent également ! Les journalistes obligés de séduire coûte que coûte une multitude afin que leur titre survive ! Une partie non négligeable des psychologues, psychanalystes, psychothérapeutes qui essaient surtout de se convaincre eux-mêmes qu’ils servent à quelque chose ! Les industries pharmaceutiques pour promouvoir leurs médicaments princeps ! Et aussi bien malheureusement de nombreux scientifiques.
Car les scientifiques doivent de plus en plus arracher des subsides à d’innombrables commissions peuplées de personnes inaptes à comprendre leurs travaux ! En effet, si vous ne révolutionnez pas l’ensemble de la Science, si vous n’apportez pas une solution à tous les problèmes de la terre, si vous n’avez pas compris tous les mystères de la création, si en d’autres mots vous n’êtes pas le Newton de votre temps, un « génie » universellement reconnu ou qui mériterait de l’être … votre travail ne vaut rien !
« Ou n´est-ce que le vent
Qui gonfle un peu le sable
Et forme des mirages
Pour nous passer le temps ? »
Nous allons présenter maintenant un cas de genre, un cas limite. Il nous sera cependant utile pour comprendre des processus essentiels de falsification. Si les scientifiques se référent à des lois et à des concepts, ils savent que ceux-ci ne sont qu’un pâle reflet de la complexité du réel. Si les gaz considérés sont quelquefois parfaits, l’expérience a tôt fait de les débarrasser de leur apparente simplicité de comportement. Il ne faut en aucun cas « croire » en une loi ou en modèle, il convient de les utiliser pour mettre de l’ordre dans une succession d’événements confus si on ne les présente pas d’une façon plus ou moins cohérente. Chacun sait, ou devrait savoir, qu’enfermer le comportement humain dans un tissu de lois et de concepts est condamné à un échec certain. Pourtant ce sont les sociologues et les économistes qui appliquent avec le plus d’application des schémas théoriques. Il ne viendrait à l’esprit d’aucun scientifique de prendre comme argent comptant des théories datant du début du XIXième siècle, non pas qu‘elles soient plus fausses qu’une autre plus récente mais seulement parce qu’on a eu le temps de s’apercevoir de ses limitations. C’est pourtant ce que fait le très prestigieux responsable de l’économie mondiale qui cite récemment un ouvrage de l'économiste anglais David Ricardo paru en 1817 :
« La valeur d’échange d’un produit n’est pas fonction de son utilité, la preuve en est que des produits très utiles comme l’eau n’ont aucune valeur d’échange ».
L’utilité de l’eau doit-elle être examinée avec ces principes prétendument logiques ?
La ressource en eau comprend toutes les eaux accessibles, c'est-à-dire utiles et disponibles pour l'Homme et les écosystèmes. Cette ressource est limitée en quantité et en qualité. Elle est indispensable à la plupart des activités humaines (agriculture, industrie, alimentation en eau potable…).
Si l'eau est abondante, elle n'est pas répartie uniformément sur la Terre. Neuf pays se partagent ainsi 45 % du débit annuel mondial. L'eau est, en outre, irrégulièrement répartie d'une année sur l'autre ou d'une saison sur l'autre. Plus de 60 % du débit annuel mondial est engendré lors d'inondations suivies de sécheresses. Une importante variation géographique des ressources en eau douce s’accompagne donc d’immenses disparités dans le temps. Il n'y a peut-être pas un problème global de l'eau (quoique l’on puisse commencer à en douter), mais plutôt une grande variabilité des disponibilités locales qui engendrent périodiquement des situations critiques.
Quelle erreur de raisonnement peut-on déceler qui peut expliquer ce désaccord entre la valeur vitale de l’eau et sa faible valeur marchande : le fait que les constantes de temps des deux observables ne sont pas les mêmes. La valeur d'échange — ou prix relatif — définit le taux auquel une marchandise s'échange. Il s’agit donc d’un phénomène restreint dans le temps, approximativement celui qui permet de tirer un bienfait quelconque de l’argent récupéré par la vente. Mais l’eau est le plus utile à long terme. C’est elle qui fait la différence entre une zone aride où personne ne peut vivre et une région verdoyante où une population pourra s’épanouir, cultiver les champs mais aussi créer des écoles, puis des industries et enfin toute une gamme de richesses. Un observable est basé sur le court terme, l’autre à l’échelle de plusieurs générations. Une théorie scientifique ne peut évidemment pas ignorer ni l’un ni l’autre des aspects. C’est pourtant ce que font les adeptes du scientisme, opinion philosophique qui affirme que la science nous fait connaître la totalité des choses qui existent et que cette connaissance suffit à satisfaire toutes les aspirations humaines. D’où les terribles dégâts engendrés qui peuvent même atteindre l’intégrité de la notion de rationnel.
Les secteurs qui se sont emparés du terme Science pour récupérer sa rationalité réelle et donc sa respectabilité ont prospérés au delà de toutes leurs espérances.
Ainsi, pour les sciences économiques, les choses se sont aggravées en 1968, non pas que quelques barricades aient pu mettre en péril des institutions. Mais cette année là, le prix Nobel d’économie fut institué : même si quelques intellectuels de renom purent ainsi être mis à l’honneur, la création de cette récompense ne fit qu’institutionnaliser, voire de sacraliser, un domaine d’étude. Tous ceux qui ont expérimenté « l’effet Nobel » peuvent en témoigner : se battre pour un prix même prestigieux a des aspects dévastateurs : le savant devient un maître. George Bernard Shaw (Prix Nobel en 1925) en avait fait l’expérience puisqu’il déclarait :
« Je peux pardonner à Alfred Nobel d’avoir inventé la dynamite. Mais seul un ennemi avéré du genre humain a pu inventer le Prix Nobel ».
L’alliance du prestige associé au prix Nobel avec un domaine qui est tout sauf scientifique a permis de faire la confusion entre logorrhées et raison, entre constructions branlantes mais rentables et rationalité.
Ce qu’il advint c’est que ces constructions branlantes faites pour briller commencèrent à envahir les véritables sciences elles-mêmes : l’apparence des choses est tellement utile pour s’emparer de lambeaux de notoriété et …
« Sur la plaine là-bas
À hauteur des roseaux
Entre ciel et moulin
Y a un homme qui part
Que nous ne saurons pas »
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