L'Amérique est-elle toujours raciste, semble nous dire l'un de ces derniers faits divers. Le pays qui se présente dans le monde comme destiné selon lui à apporter la liberté aux autres serait incapable de la maintenir chez lui ? C'est plus que probable, comme va nous l'expliquer ce rappel historique en cinq parties, évoquant les grandes vagues d'émeutes qui ont secoué le pays depuis la seconde guerre mondiale et même avant. Car c'est aussi une sinistre tradition dans ce pays d'être secoué régulièrement par des mouvements de population qui sont tous d'origine ethnique, les noirs étant les principaux concernés. Ce qui se passe dans le Missouri, à Ferguson, actuellement, et qui semble difficilement maîtrisable, semble bien se ranger dans ces cycles réguliers de violence touchant la communauté noire en priorité. L'annonce le 20 août du déploiement sur place des mercenaires d'Asymmetric Solutions, une Division d'Applied Defense Technologies ; n'est pas faite pour rassurer... L'Amérique est encore loin, très loin d'avoir totalement exorcisé ses vieux démons. Historiquement, ces faits sont récurrents aux Etats-Unis. Ses émeutes ont-elles la même origine, se déroulent-elles de la même façon et de façon cyclique, au quel cas l'Amérique est-elle toujours malade de racisme, malgré un président noir de façade, en ce cas, voilà ce que je cherche à savoir... et à vérifier.
Le système de la traite des noirs ayant apporté l'esclavage était d'une telle dureté pour les noirs capturés en Afrique (ou parfois vendus par d'autres tortionnaires !) pour que de nombreuses révoltes se produisent au long des temps, toutes très sévèrement réprimées. Dès 1521, par exemple, la plantation de canne à sucre de Diego Colomb (le fils de Christophe) est dévastée par une rébellion d’esclaves. Deux ans après, c'est Puerto Rico qui se soulève, et trois ans après le phénomène se reproduit en Caroline du Sud (qui est alors espagnole). En 1538, c'est un vaste soulèvement d’esclaves qui se produit à Cuba. Les anciens esclaves cachés et regroupés forment alors les nègre marrons, nom par lequel on désignera tous les esclaves en fuite à l'époque coloniale : au début du XVIIe siècle les premiers grands camps de nègres marrons apparaissent ainsi en Jamaïque, dans les Iles Vierges, en Guadeloupe et en Martinique, et en 1636 en Guadeloupe, dans les hauteurs de Capesterre. Au début du XVIIIe, le 6 avril 1712, a lieu la première révolte d’esclaves dans la colonie de New-York : ce jour là, 25 esclaves et deux Indiens incendient un bâtiment et tuent neuf blancs. La répressjon est féroce : 21 des révoltés sont exécutés sur place.
Le premier à le rappeler dans un ouvrage s'appelle Herbert Aptheker, il est historien et il est blanc, le seul alors à s'intéresser au sujet dans les années 40, et il dénombre rapidement tout au long du XVIIIe siècle dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord près de deux cent cinquante révoltes et conspirations d’esclaves noirs ayant été faites par des goupes de plus de dix personnes. C'est énorme, et ça a été complètement passé à la trappe en histoire par les autorités américaines qui n'ont retenu que l'Histoire des seuls blancs. Un seul événement sera en effet en fait relaté dans les livres d'histoire : le soulévement dirigé par Nat Turner, survenu le 6 septembre 1739, dans la colonie de Caroline du Sud. Il y aura 60 morts chez les esclaves, en répression, mais certains auront réussi à s'échapper. Se produit plus tard encore la rébellion de Stono (appelée parfois Conspiration de Cato ou Rébellion de Cato),
menée cette fois par un esclave angolais, qui deviendra la plus grande révolte d'esclaves dans les colonies britanniques avant la formation des Etats-Unis. Cette rébellion avait été précédée il est vrai par de celle de 1822, à Charleston en Caroline du Sud, qui avait regroupé 9 000 esclaves sous le nom de rébellion de Denmark Vesey, un ancien esclave devenu charpentier, un religieux qui attirera à lui des membres de l'African Methodist Episcopal Church. Il projetait de partir vers Saint-Domingue : il sera pendu avec 34 de ses principaux associés, et son église rasée. Son nom sera cependant perpétué : il deviendra le cri de ralliement des régiments noirs lors de la guerre de Sécession !
Des révoltes de masse ignorées
La révolte de Stono, moins connue que celle de Turner, mérite notre attention par la férocité des représailles des colons blancs sur leurs escaves noirs. "Le 9 septembre 1739, vingt afro-américains de Caroline, menés par Jemmy, un esclave angolais, se sont réunis près de la rivière Stono, à vingt miles au sud ouest de Charleston. Ils ont marché sur la chaussée avec une banderole qui portait l'inscription « Liberté ! » et ils chantaient ce slogan à l'unisson (la photo à gauche est celle d'esclaves en 1860). Au pont Stono, ils se sont emparés d'armes et de munitions dans un magasin, tuant les deux employés. Ils ont brandi un étendard et se sont dirigés vers la Floride espagnole au sud, alors un refuge pour les esclaves fugitifs. En chemin, ils ont rassemblé d'autres recrues jusqu'à être quatre-vingt. Ils ont incendié sept plantations et tué vingt blancs. Le Lieutenant-gouverneur de Caroline du sud, William Bull et quatre de ses amis ont fui à cheval et ont rassemblé une milice parmi les propriétaires de plantations." ce ne sera pas sans vengeance en retour, raconte Wikipedia, avec une répression qui sera extrèmement féroce : "le jour suivant, la milice à cheval a rattrapé le groupe de quatre-vingt esclaves. Vingt blancs de Caroline et quarante-quatre esclaves ont été tués avant que la rébellion soit écrasée. Les esclaves ont été capturés puis décapités et leurs têtes ont été exposées tout au long de la route qui menait à Charles Town"..
Voilà qui n'est pas sans rappeler la méthode de César pour réduire les gaulois... ou la défaite de Spartacus (ses révoltés seront crucifiés tout le long de la Via Appia, entre Rome et Capoue). Résultat, les lois vont encore se durcir : "l'année suivante, un autre soulèvement a eu lieu en Géorgie, et l'année suivante, un autre encore en Caroline du Sud, probablement inspirés par la rébellion de Stono. La rébellion de Stono a abouti à un moratoire de 10 ans sur les importations d'esclaves via Charleston et induit un durcissement du code de l'esclavage, qui interdisait en particulier aux esclaves les gains d'argent et l'éducation". Ils ne sont plus autorisés en effet à cultiver leur propre nourriture, à s'assembler en groupes, à gagner leur propre argent ou à apprendre à lire ! Il ne faisait pas bon se révolter... à cette époque !
Une figure exceptionnelle émerge
Dans ce monde de chasse au fugitif et de représailles sanglantes, une figure légendaire émergera à la moitié du XIXeme (elle pose ici avec des membres de sa famille qu'elle a sauvés) : celle d'Harriet Tubman (née Araminta Ross en 1820 ou 1822 dans le comté de Dorchester, Maryland, qui se fera connaître aussi sous les noms de Moïse noire, Grand-mère Moïse, ou encore de Moïse du peuple Noir. Une forte femme, c'est le moins qu'on puisse dire et une ncienne esclave échappée par deux fois dès 1849 (sa patronne Eliza Brodess, avait promis une prime de cent dollars pour sa capture, somme colossale à l'époque). Elle fut successivement ouvrière agricole, bûcheronne, blanchisseuse, infirmière, et cuisinière pour aider ses congénères à fuir : on pense qu'elle a sauvé environ soixante-dix esclaves lors de treize expéditions différentes, allant les chercher elle-même sur place dans le Maryland en rusant souvent. Devenue abolitionniste dès la la Proclamation d'émancipation de Lincoln en 1863, elle participa fort activement à la lutte contre l’esclavage et le racisme, ainsi qu'à un mouvement qui avait de l'avance pour l'époque : celui pour le droit de vote des femmes. "À une femme blanche qui lui demandait si elle croyait que les femmes devraient avoir le vote, elle répondit qu’elle avait « assez souffert pour le croire" indique Wikipedia.
Les découvertes d'un historien blanc... marxiste

Ces conditions de vie et de traitement inadmissibles, c'est ce qu'à découvert tardivement Herbert Aptheker, et écrit dans sa thèse et dans son monument en trois tomes
"Documentary History of the Negro People in the United States". Engagé politiquement (il se déclarait marxiste et avait effectivement rejoint le Parti communiste en 1939), il sera un des premiers à dénoncer l'engagement militaire américain au Vietnam.
Pour s'être rendu à Hanoï et Pékin en 1966 les autorités US on même tenté de révoquer son passeport, ce qui a alors engagé un débat de haut niveau sur la légalité des restrictions de voyage du Département d'Etat. Il sera aussi celui qui critiquera sévèrement un autre auteur, William Styron, pour son best-seller de 1967, le roman "
Les Confessions de Nat Turner". H. Aptheker, ainsi que certains écrivains noirs et les historiens, avaient alors accusé Styron de fausser le dossier en faisant la promotion de stéréotypes raciaux. L'Amérique savait surtout réécrire l'histoire à sa façon, à l'évidence !!!

Le magazine le Point avait récemment, dans un de
ses savoureux articles historiques, décrit à quel point la mort de Turner avait en effet été horrible : "
une féroce clameur s'élève de la foule blanche lorsque Nat Turner se balance enfin au bout d'une corde, le 11 novembre 1831. Des enfants s'approchent pour jeter des bananes... Des hommes surexcités décrochent le cadavre pour le jeter à terre. Ils lui arrachent ses haillons. Certains commencent à l'écorcher. D'autres arrachent des lambeaux de chair qu'ils mettent à fondre dans un chaudron pour en tirer de la graisse. Au moyen d'un grand couteau, un homme découpe la tête avec laquelle il repart, fier comme Artaban"... voilà ce qu'avaient vécu et comment été morts des esclaves noirs révoltés.. Aptheker se fera lui aussi lyncher par la presse américaine, où certains déploieront des critiques du genre "un blanc ne peut pas parler des noirs", qui en disaient long sur le lourd héritage qui pesait encore sur ses pans d'histoire honteuse qui avaient été délibérément oubliés par l'histoire officielle.
Les émeutes de 1919, symptomatiques

Comme par exemple
l'émeute de Chicago de 1919... une émeute qui a duré 5 jours, survenue l'été, et qui peut servir de modèle aux suivantes dans le siècle : cet été-là, des émeutes éclatent après la noyade d’un jeune noir : elle dureront 13 jours, feront 38 morts, 537 blessés et des centaines de sans-abri... des maisons ayant été incendiées par les émeutiers, les groupes de blancs attaquant les groupes de noirs entassés dans leurs quartiers de la "Black Belt" ceinturant la ville... et réciproquement. Une émeute "ethnique", selon les documents de l'époque, dans une ville coupée en deux par le racisme, aux bords du lac Michigan : ainsi la plage de la 29eme rue était pour les blancs, celle de la 25eme pour les noirs rappelle le
Chicago Tribune : or le jeune noir avait tenté de relier les deux en nageant.... un blanc "en chapeau blanc" lui ayant asséné un rocher alors qu'il s'approchait du rivage réservé !

La Garde Nationale avait dû être appelée en renfort, et elle seule et un orage providentiel (et torrentiel) avaient réussi à calmer les esprits. D'autres émeutes raciales avaient éclaté cet été là dans le pays (ici à gauche des blancs à la recherche de noirs à Chicago), au point que l'écrivain James Weldon Johnson, membre du
National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) a appelé cette période "the Red summer" (l''Eté rouge")... L'émeute n'était pas une attaque de pauvres envers des riches : selon beaucoup d'observateurs, cette toute première émeute raciale avait été en majeure partie initiée par les gangs irlandais, qui étaient en majorité composés d'ouvriers... l'une d'entre elle, celle de Charleston du 10 mai 1919 est la préfiguration de celle de 1943, car ce sont des marins en goguette qui avaient débuté les lynchages de noirs. On avait dû imposer la loi martiale. Celle de septembre à Omaha dans le Nebraska demeurera célèbre pour un cliché atroce ; celle du corps calciné de Will Brown, lynché et brûlé vif devant une foule hilare de blancs, un noir qui avait été accusé de viol et que des centaines de congénères avaient tenté de faire libérer après son arrestation.

Aptheker s'attendait à d'autres révoltes

Ironie du sort, la thèse d'Aptheker (ici à gauche en conférence à l'Université d'Indiana) , est sortie en 1942 : elle paraîtra en 1943 en ouvrage sous le nom de
American Negro Slave revolts" (New York : Columbia University Press, 1943). Or au moment même où l'ouvrage paraît, l'Amérique est en proie à une autre révolte, qui n'est pas cette fois le fait des noirs... l'événement est hors du commun en effet et concerne les esclaves des temps modernes, qui ne sont déjà plus les noirs mais... les hispaniques. Vers 1930, l'arrivée massive de Mexicains dans le sud des États-Unis a atteint le chiffre de 3 millions leur nombre à la fin des années 1930 : ce sont les "Chicanos". Les fils de ses derniers, pour se distinguer sur le même mode qu'affecteront des français au même moment se mettent à porter de larges costumes, trop grands, aux très larges revers : les zoot-suits, et se font appeler
Pachucos. L'image typique est celle donnée par
Cab Calloway ou August Darnell alias
Kid Creole and the Coconuts. Ils se révoltent par l'allure et le vêtement face à leurs parents autant que devant les américains racistes qui ne les supportent pas. Musicalement, cette sensibilité mexicaine ça donne aussi des choses intéressantes avec par exemple
German Valdés, alias
"Tin Tan" qui fera une belle carrière
y compris à Hollywood. Un peu plus tard, en pleine ère pré-rock, cela donne des
choses passionnantes en effet (avec un autre Valdès, Manuel "El Loco" Valdés).
Des "chicanos" détestés... par les militaires

Ceci pour le côté "accepté" par l'institution, car de l'autre côté, c'est autre chose : les blancs de Caifornie et notamment les militaires stationnés les ont pris vite en grippe et les surnomment "Chicanos" ; s'en suivent des tracts racistes distribués, des injures à chaque rencontre, des échanges de coups de poing réguliers, etc, etc... entre divers groupes, à chaque coin de rue. Les esprits s'échauffent au point que ça dégénère et devient un mouvement de masse, une véritable émeute, sans que les autorités aient le temps de réagir. Fin mai et début juin 1943, des
émeutes sanglantes éclatent en effet, notamment à Los Angeles, des émeutes que la presse locale raciste, qui a choisi déjà son camps, décrira comme une
"action de nettoyage nécessaire face à la raclure". Un excellent
documentaire filmé de
Joseph Tovares montre
très bien ici l'ascension de ses rivalités et le fond musical qui baignait l'atmosphère du moment ainsi que l'hystérie qui a suivi, et surtout l'attitude de la police de Los Angeles, largement responsable d'avoir attisée le feu. Ses meilleurs éléments ont été recrutés par l'armée, et elle est vite désemparée face aux échanges de coups incessants entre bandes rivales. La presse, insistante, appelait alors les mexicains "
la cinquième colonne"... les assimilant donc à des espions dans un pays qui était alors parvenu en guerre. Il rappelle surtout qu'au siècle précédent, Los Angeles était encore massivement mexicaine sous son nom "d'
El Pueblo de Nuestra Señora la Reina de Los Ángeles" et que les premiers arrivés en ont été progressivement chassés par les américains arrivés après eux. La Californie avait été annexée en 1822 par le Mexique, et ce n'est qu"en 1848, que la région était passée sous le contrôle des États-Unis, après la guerre contre le Mexique.

Des groupes de quartiers, voire des gangs

Avec l'arrivée en masse de ces mexicains pauvres, des gangs sont inévitablement apparus. L'un des tous premiers s'appelle le Dog Town Rifa, il est né dans le secteur de William Mead, un quartier sorti de terre en 1942. C'est en fait le regroupement depuis 1890 d'immigrés venus de partout, à base d'irlandais notamment et de mexicains venus habiter aussi dans le quartier défavorisé de Chinatown dans la banlieue nord de Los Angeles. D'autres groupes qui ne sont pas tous des "gangs" à proprement parler se sont créés comme en France ceux qu'on a appelé les
"Apaches" au début du XXeme siècle : on
recense ici le

Temple Street (1923), White Fence (1925) installé sur les hauteurs de
Boyle Heights, 38th Street au sud de LA, Canta Ranas (1920) à Santa Fe Springs,
Canonga Park Alabama (1930) dans ce qu'on appelle the Valley, Clanton (au tous débuts de 1920), Florencia, El Hoyo Maravilla, Artersia (1940), Hawaiian Gardens (1940), Dog Patch (1940), et Big Hazard (1940). "
Ils sont dispersés géographiquement dans tout le comté et la ville et ne se concentre pas dans un ghetto, comme la plupart du temps les noirs de Los Angeles. On les trouve en grand nombre dans la vallée de San Fernando, San Gabriel Valley, les communautés Beach, Long Beach, Compton et South Los Angeles"... des blancs les pourchassent régulièrement, leurs arrachant leurs "zoot-suits" et les montrant comme des trophées...

Au départ, une rixe entre gangs et un mort
Les émeutes de 1943 vont focaliser la défiance et la méfiance des blancs vis à vis de ces groupes ethniques à majorité mexicaine, dont un va représenter une provocation à leurs yeux pour
sa façon de s'habiller... en temps de guerre et de restrictions. Mais il est difficile d'expliquer à la fois sa violence et sa briéveté. L'émeute proviendrait en premier du meurtre de José Gallardo Diaz, connu sous le nom de
"Sleepy Lagoon murder" (une mare où les mexicains venaient nager, en fait un des deux réservoirs pour irriguer du ranch Williams à Los Angeles). A côté un ranch abandonné par la famille Delgadillo servait de lieu de rencontres. Les mexicains n'avaient pas le droit se se rendre dans les piscines de la ville. La discrimination pesante entretenue par les blancs à son lot aussi de responsabilité. La presse locale, raciste, alimentait elle le feu en parlant d'histoires "
d'Orgies de Marijuana" (déjà !) et de femmes gangsters appelées '
Black Widows" au Sleepy Lagoon... ou des heurts entre bandes rivales, notamment celle de la "38eme rue" et les "Downey boys". La police locale avait vite trouvé des coupables tous trouvés après avoir raflé près de 600 mexicains des environs : 17 suspects, tous americo-mexicains dont deux seulement parlaient l'américain. Il seront jugés le 13 janvier 1943, sous la direction du juge Charles W. Fricke, dont le surnom est "San Quentin"... car il y envoie tout le monde. 9 seront condamnés après un procès de six mois à vie pour meurtre au premier et second degré ou assaut avec arme et seront aussitôt envoyés à la prison de
San Quentin à plus de 500 km de là.
Leurs amies, toutes comme eux du groupe de la 38eme rue, refusèrent de témoigner et furent envoyées à la Ventura School for Girls, un centre de redressement, sans même être jugées. Elles aussi avaient été traînées dans la boue dans la presse californienne... affublées de tous les noms et de tous les maux.

L'incroyable déposition du shérif Ayres
Lors du jugement, on avait pu lire un document incroyable : "l'analyse" donnée par le shérif chargé de l'enquête, qui défie encore aujourd'hui l'entendement : "
appelée "Statistiques", le rapport a été effectué par le shérif Edward Duran Ayres. Le document commence avec une vue plutôt sympathique envers les Latinos vivant aux États-Unis. Ayres y constate que les jeunes Latinos font face à une discrimination, qu'ils sont pauvres et manquent d'éducation et on de mauvaises perspectives d'emploi. Mais son rapport prend plus loin une vilaine tournure. Ayres y conclut que les Latinos sont d'une race différente. Leurs ancêtres ont traversé le pont de glace entre l'Asie et l'Amérique du Nord, de sorte qu'ils sont les cousins des Japonais, le pays derrière l'attaque du 7 décembre 1941, l' attaque surprise sur Pearl Harbor. "L'Indien, de l'Alaska à la Patagonie, est évidemment Oriental en arrière-plan - au moins il montre de nombreuses caractéristiques orientales, surtout dans son mépris pour la valeur de la vie", y écrit-Ayres".

Difficile de trouver plus raciste en effet ! Et ce ne fut pas le seul "argument", puisque Ayres ajouta même, très en verve que "
quand les Espagnols ont conquis le Mexique Ils ont trouvé une société organisée composée de plusieurs tribus d'Indiens gouverné par les Aztèques qui faisaient des sacrifices humains. Les historiens raconrent que jusqu'à 30 000 Indiens ont été ainsi sacrifiés. . . en une journée, Leurs corps ... ouverts par des couteaux de pierre et leurs cœurs arrachés .... Ce mépris total pour la vie humaine a toujours été universel dans les Amériques parmi la population indienne, ce qui est évidemment bien connu de tout le monde .. cet élément mexicain ... sait et sent ... le désir d'utiliser un couteau ou une arme mortelle .... Son désir est de tuer. ou au moins laisser du sang ...." Invraisemblable discours raciste d'un... policier ! Jamais lui pareille horreur, faisant des mexicains des descendant de dévoreurs de cœur ou des amis des kamikazes japonais ! A la limite, on sent dans ce discours le choc qu'avait provoqué l'attaque surprise de Pearl Harbor chez l'américain moyen, pas prêt du tout à en découdre à cette époque, avec un Lindbergh qui pactisait alors largement avec les nazis...
Un jugement inique
Sans que l'on ait pu prouver leur implication en quoi que ce soit, les voilà donc condamnés après l'incroyable charge du shérif... Les policiers les avaient ficelés et violemment frappés pour tenter d'obtenir des aveux qui n'étaient pas venus. Un passage à tabac en règle (dont la sœur du principal accusé, Hank Leywas, parle avec émotion, on s'en doute). Les policiers étaient persuadés avoir avec Hank le chef d'un des gangs locaux de mexicains.
Les amies avaient évoqué un groupe de quartier, mais pas pour autant un gang. Orson Welles et Rita Hayworth en personne participeront à un comité de libération des 17 du Sleepy Lagoon, le
Sleepy Lagoon Defense Committee (SLDC), rejoints par des politiciens ou d'autres artistes tel Anthony Quinn.

Mais l'atmosphère à l'annonce de la condamnation avait changé et des heurts avaient débuté en ville : des matelots de la Navy en goguette munis de ceintures, de barres de fer et de battes de base-ball avaient fait une expédition punitive dans un quartier mexicain et avaient attaqué à plusieurs un théâtre, frappant tout ce qui portait un zoot-suit. Les portions de vêtement arrachés seront encore une fois rapportés en trophées dans leurs casernes ! L'expédition déclenchera de gigantesques émeutes un peu partout à Los Angeles. Les Marines avaient pris l'assaut de la ville, des membres de l'Army venus de Las Vegas écartant les passants devant eux, provoquant en face des regroupement de défense. Les bagarres se déchaînèrent, les incendies se déclarèrent. Les MPs appelés pour rétablir l'ordre prirent fait et cause pour leurs confrères soldats. En juillet, toute la vielle était devenue à feu et à sang.
La rancœur des marins frustrés
Selon le très bon texte d'
AppleTree Days, ""
Les émeutes des Zoot Suit ont mis en évidence la polarisation entre ce qui était essentiellement deux groupes de jeunes gens au sein de la société en temps de guerre : les militaires américains blancs stationnés le long de la côte du Pacifique, et les jeunes noirs et mexicains qui étaient à l'avant-garde du mouvement rebelle de la sous-culture zoot. Les émeutes ont eu des résonances raciales et sociales. Bien que certains affirment que le premier syndrome ait été le patriotisme et les attitudes face à la guerre. Lorsque l'Amérique entre en guerre en décembre 1941 Après le bombardement japonais de Pearl Harbor, la nation avait dû accepter avec ce à quoi la Grande-Bretagne était confrontée durablement. Les limites et les restrictions de rationnement, mais aussi les très réelles perspectives de la conscription (en engageant obligatoirent des jeunes, dans les services). En 1942, dans une tentative de faire une baisse de 26% dans l'utilisation de tissus, le War Production Board a élaboré le Règlement pour la fabrication de la guerre de ce que le magazine Esquire a appelé les « costumes rationalisés de l'Oncle Sam". Donc, en effet, le règlement interdisait effectivement la fabrication de costumes sortis des zoot-entreprises de couture les plus connues qui en ont cessé la fabrication ou banni tout costume qui tombait à l'extérieur des lignes directrices de la War Production Board." En somme, les marins frustrés de ne pas pouvoir s'habiller comme ils le voulaient s'en étaient pris à ceux qui faisaient le contraire d'eux-mêmes : on songe à la chanson de Vassiliu "
Qui c'est celui là" et sa morale universelle ; "
ça emmerde les gens quand on ne vit pas comme eux"... la source première des réflexes racistes.

Des marins eux-mêmes brutalisés pendant leur formation
Une fois les émeutes retombées, l'armée étant descendue et la municipalité ayant rencontré des représentants des quartiers mexicains "chauds", on interdit carrèment le port du zoot-suit aux mexicains : c'était en effet devenu le symbole de leur révolte. C'est une disparition symbolique forcée comme le note Maurizio Mazon dans son livre
"The Zoot Suits Riots, the psychology of symbolic annihilation". En fait la principale décision pour arrêter le massacre avait été le 7 juin d'interdire aux marins de pénétrer désormais dans la ville
! Selon Mazon
"une des raisons pour lesquelles des émeutes se sont produites c'est parce que les militaires ont agi d'après ce qu'on leur avait fait. Il croit que leurs sentiments forts à l'égard de la Suit Zoot étaient une réaction à leur propres expériences en matière de formation de base. Il souligne qu'ils ont fait aux porteurs de zoot-suit ce qu'on leur avait fait de désagréable. Par exemple, lors de leur formation de base, un jeune homme est dépouillé de ses vêtements et a les cheveux coupés (Mazon, page 111)". Il ajoute aussi que les mexicains étaient les seconds à subir une réaction raciste :
"après que les Américains d'origine japonaise furent raflés et envoyés hors de la vue, les américains d'origine mexicaine de Los Angeles étaient une minorité encore plus perceptible... " Les deux réservoirs furent ensuite bouchés et le ranch de banlieue des réunions absorbé par la ville envahissante. Les 17 emprisonnés reçurent d'abord un traitement de faveur, mais certains dont Hank Leywas, refusèrent. En novembre 1943, une décision de justice déclara qu'ils n'avaient pas eu un procès honnête, et que leur appel était accepté. Les mentalités avaient changé en peu de temps. Selon Mazon toujours,
"un conseiller municipal de Los Angeles, dans une lettre à un amiral de la marine américaine, avait alors dit qu'une personne, peu importe quel genre de vêtements il puisse porter, doit être en sécurité dans les rues"... En octobre 44, tous furent enfin libérés, dont Hank Leywas. Mais leur accusation ne sera jamais levée pour autant. Molina Encinas, une des filles envoyées en maison de redressement, savait pourtant qui était le meurtrier, mais elle avait gardé le secret de famille : son propre jeune frère, Louis Encinas, qui avait frappé en premier José Diaz. Il se suicidera bien plus tard, en 1972, autorisant sa sœur à se libérer de son lourd secret. Quatre des relâchés retourneront néanmoins plus tard en prison pour d'autres méfaits : le groupe n'était pas non plus un rassemblement d'angelots. En 1997,
"Zoot Suit Riot" un groupe de ska-punk US,
Cherry Poppin' Daddies, avec
Steve Perry au chant , rendra hommage aux Pachucos, rappelait les émeutes sur
Mojo Records. L'ineffable
"Weird Al" Yankovic en fera une parodie (réussie) appelée "Grapefruit Diet" en 1999.
Des policiers à la gâchette trop facile ?

A Ferguson, en plein Missouri, hier encore, la police continue à rafler et à arrêter à tour de bras des noirs ; d'autant plus que certains ne portent pas de zoot-suit mais des dreadlocks ou autre chose que le sempiternel vêtement d'entraînement des jeunes blancs américains. Le délit de faciès continue, comme il avait sévit en 1943 dans la banlieue de Los Angeles. La police américaine est toujours aussi... raciste, l'élection d'un président noir n'y a rien changé. On ne change pas aussi facilement des mentalités... et un héritage historique. Le 22 octobre 2013,
Andy Lopez, 13 ans, de Santa Rosa, en Californie est surpris dans une rue avec une arme en plastique avec laquelle il joue : c'est une
AK-47 (Kalachnikov) de chez Airsoft., dont il avait enlevé semble-t-il
le bout orange qui le fait reconnaître comme jouet et non comme arme véritable. Un officier de police, nommé
Erick Gelhaus, un vétéran de la guerre en Irak, lui tire dessus huit balles de 9 mm, sept l'atteignent et il meurt instantanément. Un témoin précisera que les derniers coups de feu ont été donné alors qu'il était déjà à terre, inanimé. Le policier n'a jamais reçu de quelconque remontrance. Il y a bien eu des protestations et des marches, mais aucune émeute à Santa Rosa. A son enterrement, une pancarte brandie disait "
un vrai flic discute d'abord"...

(*) Cab Calloway, indirectement est à l'origine du mouvement "zazou" en France (pendant la guerre) : en créant "Zah Zuh Zaz" comme chanson en 1933 il n'imagine pas qu'elle sera reprise cinq ans après en France par Johnny Hess (musicien de Charles Trenet !), qui en
fait le symbole d'un mouvement dont les habits sont des zoot-suits eux aussi
"Je suis swing( ("je suis zazou")... Les zazous, dont fera partie Charles Trenet, aimaient provoquer : ils iront jusqu'à s'afficher avec une étoile jaune sur laquelle était marquée 'affichèrent avec une étoile jaune marquée "Zazou", "Swing " ou même "
Goy" ! Chez eux aussi, la longueur du tissu de leurs habits était en réaction contre les restrictions de guerre :
"par bravade, ils portaient des vêtements trop longs à une période où le tissu était rationné, ils gardaient les cheveux longs alors qu'un décret vichyste faisait des cheveux récupérés chez le coiffeur une matière première d'intérêt public pour la confection de pantoufles.
Enfin, ils mettaient un point d'honneur à être toujours équipés d'un parapluie qu'ils n'ouvraient jamais". En Jazz, c'est important, car c'est aussi un beau détournement (les nazis ne supportaient pas le jazz, ("musique dégénérée", voir l'affiche à gauche) ! :
"le swing en France devra beaucoup à Charles Delaunay alors Secrétaire Général du Hot Club de France. C’est lui qui sera à l’origine du premier festival de Jazz. Sous l’occupation Nazi, Delaunay sait que même si le jazz est toléré, ce n’est qu’une question de sursis. Il décide de faire jouer par les musiciens de jazz français des hits américains sous couverture de titres français. Ainsi camouflés, ils n’ont pas de mal à passer la censure allemande. Ainsi St-Louis Blues devient La Tristesse de St-Louis, Tiger rag est rebaptisé La Rage du Tigre et Some Of These Days, Bébé d’Amour… Tel que prévu, l’entrée en guerre des Etats-Unis contre le 3eme Reich met fin à toute tolérance de musique américaine sur l’Hexagone. Grâce à ce subterfuge, le jazz et le swing français qui connaît alors son heure de gloire peut continuer en toute tranquillité"...
http://www.pbs.org/wgbh/amex/zoot/eng_filmmore/index.html
http://www.youtube.com/watch?v=dwINn5DEL1c