Les enjeux du contrat unique
Face au développement du travail précaire et à la segmentation du marché du travail, l’idée d’une réforme du contrat de travail chemine depuis trois ans. Le contrat unique est aujourd’hui un thème proposé aux électeurs de 2007. Mais il se saurait n’être qu’un slogan ou une fin en soi. Débattre du contrat de travail, c’est être prêt à ouvrir de nouveaux champs de possibilités pour les salariés.
Les défenseurs d’un contrat de travail unique soulignent la dualisation du marché du travail et la surutilisation du contrat à durée déterminée (CDD). Aujourd’hui, un contrat à durée indéterminée (CDI) est de moins en moins accessible. Plus d’une personne sur cinq en âge de travailler ne bénéficie pas de contrat avec une entreprise dont la durée est indéterminée. Statistiquement, cette personne est soit au chômage, soit en situation de sous-emploi : temps partiel subi, intérim, CDD, contrats subventionnés par les pouvoirs publics (1). Si le chômage recule, c’est principalement sous l’effet de départs en retraite massifs et des emplois aidés. L’emploi précaire progresse plus vite et la grande majorité des nouveaux emplois l’est en CDD, éloignant le contrat de sa fonction originelle. Le débat sur le contrat unique remet en cause le CDD. " La coexistence de deux types de contrat de travail a instauré une dualité du marché du travail " qui " ne serait qu’apparente si les individus étaient égaux dans leur chance de voir leur CDD transformé en CDI ", indique le rapport Camdessus rendu en 2004 à la demande du gouvernement (2). Le débat sur contrat unique pacifie le clivage entre salariés à statut protégé et salariés en précarité constante.
Car le CDI ne garantit ni l’emploi à vie ni l’évolution de carrière. Bernard Brunhes rappelle que " les dispositifs prévus par la loi pour protéger le salarié sont assez peu protecteurs ", expliquant que ni les juridictions ni les procédures de licenciement économique ne remettent en cause la décision de l’employeur de se séparer d’un salarié sous contrat à durée indéterminée (3). Le CDI n’équivaut pas à une sécurisation de l’emploi. Le Centre des jeunes dirigeants met en garde contre un contrat qui " ne veut pas dire durée infinie et qui peut avoir des effets pervers pour les salariés ". Alors, " associé à la sécurité de l’emploi, il les pousse à voir la mobilité comme un risque et à ne pas quitter l’entreprise, même s’ils ne s’y sentent plus bien et s’ils ont envie de faire autre chose " (4).
La réforme du CDI implique l’abandon du caractère indéterminé de son contrat et l’acquisition progressive de droits qui lui seraient attachés, donc " transférables " entre deux situations professionnelles. En premier lieu, celui de couvrir le risque financier de la rupture du contrat. Le débat porte alors sur le coût du licenciement. Actuellement, la justice du travail et les plans sociaux permettent d’alourdir le coût d’un licenciement au bénéfice du salarié. On peut débattre sur la taxation des licenciements et moduler par exemple les charges sociales en fonction. Le rapport Cahuc-Kramarz propose de créer un contrat construit de telle sorte que les garanties qu’il offre en cas de désaccord entre l’employeur et l’employé soient proportionnelles au temps passé dans l’entreprise, et qu’il ait une durée minimale (5).
Le contrat unique doit répondre à un besoin accru de sécurité et de mobilité. Sécurité sociale professionnelle pour les salariés. Sécurité juridique pour les entreprises (éviter l’insécurité créée par les expériences actuelles du contrat nouvelle embauche ou du feu contrat première embauche). Mobilité pour les salariés pour leur permettre de progresser dans leur carrière, afin d’avoir accès aux nouveaux gisements d’emplois. Mobilité pour les entreprises, qui se nomme flexibilité (le Medef parle aujourd’hui de séparabilité). Celles-ci recherchent à simplifier la législation, notamment les PME qui ne disposent pas des mêmes capacités de gestion des ressources humaines que les groupes. Le débat sur le contrat unique est celui du contrat social. Sécurité, mobilité : la Constitution ne rappelle t-elle pas dans son préambule que " chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi " ?
C’est bien de l’efficacité sociale et économique des contrats de travail qu’il s’agit. A son origine, le contrat de travail avait une durée déterminée. C’est dans un contexte de chômage massif que le CDD est devenu source de précarisation (6). Le contrat unique n’est ni un slogan, ni une fin en soi. Le Conseil d’orientation pour l’emploi vient de souligner les difficultés juridiques et politiques pour qui veut modifier le CDI (7). Le contrat de travail est une des bases du contrat social, et réformer les règles du contrat et du marché du travail a un impact limité contre le chômage. Débattre du contrat de travail, c’est ainsi être prêt à ouvrir de nouveaux champs de possibilités pour les salariés.
(1) La population active en France se décompose
grossièrement de la façon suivante : 70% en CDI, 11%
non-salarié, 10% emploi précaire, 9% au chômage.
(2) " Le sursaut. Vers une nouvelle croissance pour la France
", La Documentation française, 2004.
(3) " Réformer le code du travail, mais pas sans concertation
", telos-eu.com, 6 mars 2006.
(4) Françoise Cocuelle, Un même contrat pour
tous les salariés !, 26 janvier 2006.
(5) " De la précarité à la mobilité
: vers une Sécurité sociale professionnelle ",
La Documentation française, 2004.
(6) Voir sur ce sujet l’intéressant point de vue " Contrat
de travail unique : un retour au XIXe siècle ",
Damien Sauze, Le Monde Economie, 3 mai 2006.
(7) Rattaché au Premier ministre, le COE est présidé
par Raymond Soubie (Altedia) et Jean-Luc Tavernier (Agence centrale
d’organismes de Sécurité sociale).
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