Les États-Unis, l’ayatollah Khomeini et le communisme ?
La BBC a mené des investigations sur des documents des États-Unis récemment déclassifiés portant sur les relations de ce pays avec l'ayatollah Ruhollah Khomeini au cours de la « révolution » iranienne. M. Gary Sick, qui était chargé des relations officielles avec l'Iran à la Maison Blanche sous la présidence de Jimmy Carter, assure que ces relations avec Khomeini étaient de notoriété publique depuis des décennies et que les « révélations » de la BBC ajoutaient peu de choses à ce que tout le monde savait déjà.
Pourtant, les affirmations de la BBC ont provoqué l'indignation de l'ayatollah Ali Khamenei (Guide de la Révolution de l'Iran depuis 1989 après avoir été Président de la République) qui a qualifié les documents de faux et qui en a profité pour accuser les Britanniques de complot diffamatoire à la mémoire de Khomeini. Par contre, pour de nombreux Iraniens qui ont fui l'Iran après la chute du Shah, les rapports de la BBC confirment les allégations de ce dernier dans ses mémoires, à savoir que l'administration Carter l'avait abandonné et favorisé la victoire de la « révolution » islamiste.
Dans un essai sur la politique américaine, Richard Hofstadter parle de « style paranoïaque » pour la politique iranienne. Les Iraniens ne sont pas les seuls à être soupçonnés par les « bien-pensants » d’affectionner les théories du complot, mais chez eux, ce penchant a des racines réelles et concrètes dans l'expérience qu’ils ont de l'interventionnisme européen, de ses ingérences et de la guerre froide entre superpuissances dont ils ont fait les frais, comme on peut le vérifier dans le roman satirique de Iraj Pezeshkzad, « Mon oncle Napoléon ».
Alors, la BBC a-t-elle vraiment découvert de nouvelles preuves d’un abandon du Shah par le président Jimmy Carter qui aurait contribué à ouvrir la voie à la révolution iranienne ? Ou s’agit-il encore une fois de la « paranoïa iranienne » relayée par la BBC ?
Dans la première semaine de Janvier 1979, un plan américain visait bien à établir un contact avec Khomeini et à obtenir son soutien pour assurer une transition vers un Iran « post-Shah », mais le président Carter avait opposé son veto. L'administration Carter était divisée à propos de la situation en Iran, et de nombreux hauts fonctionnaires américains refusaient d’admettre la dégradation de la position du Shah. Par contre, l'ambassadeur américain, M. William Sullivan, s’était fait à l’idée de la disparition du Shah. Il avait même planifié un programme de transition et établi des passerelles avec l'opposition. A Washington, M. Zbigniew Brzezinski, conseiller à la sécurité nationale américaine était favorable à l'idée d'une prise du pouvoir par les militaires. M. Cyrus Vance, secrétaire d'Etat, était préoccupé par le SALT II (Accord entre l'Union soviétique et les États-Unis qui limitait le nombre de missiles balistiques stratégiques des deux pays), et le processus de paix israélo-égyptien, et recula à l'idée d'un coup d'Etat militaire en Iran. La feuille de route qu’il a fixée tenait en une alternative claire : le Shah devrait soit assurer des réformes radicales soit faire place à un gouvernement d'unité nationale.
Pour préparer cette éventualité, l’ambassadeur Sullivan avait persuadé le conseiller d’état Cyrus Vance d'envoyer un émissaire pour rencontrer Khomeini qui résidait alors en France. M. Theodore Eliot, un diplomate américain qui avait assuré des missions en Iran, a été choisi, mais au dernier moment, M. Brzezinski a réussi à persuader Carter de s’opposer à la rencontre, en craignant que cela affaiblisse la détermination du tout nouveau gouvernement du Premier ministre M. Shapour Bakhtiar auquel il voulait laisser une chance.
M. Sullivan a alors envoyé un mémo incendiaire à Washington le 10 Janvier, qualifiant cette intervention de « stupidité et d’erreur peut-être irrécupérable". Il a fallu l’intervention de M.Vance pour que le président Carter ne limoge pas Sullivan pour insubordination.
Carter espérait encore pouvoir maintenir le Shah et Chapour Bakhtiar en place. M. Brzezinski se méfiait énormément des rapports fournis par l'ambassade américaine à Téhéran qu’il soupçonnait de sympathies envers l'opposition au Shah. Mais les services de Brzezinski à la Maison Blanche et le bureau du Département d'État étaient en panne sur ce dossier alors que Sullivan avait poursuivi ses contacts avec l'opposition et maintenu ses projets opérationnels, même si rares étaient de ses collègues qui partageaient son optimisme sur le fait que Khomeini accepterait de coopérer avec les militaires. En fait, donc, il n'y avait pas de politique américaine cohérente sur la réponse à donner à un départ imminent du Shah.
Lorsque les conseillers en politique étrangère du président Carter se sont réunis le 11 Janvier, la majorité des participants a admis que le règne du Shah était probablement terminé et que Khomeini allait presque certainement revenir et prendre en mains le processus d'établissement d'une République islamique. Les États-Unis devraient alors faire comme ils pourraient pour retrouver leur position en Iran.
Le président Carter a alors autorisé une rencontre entre un diplomate américain en poste à Paris, M. Warren Zimmerman, et l'un des principaux collaborateurs de Khomeini, M. Ibrahim Yazdi. Est-ce que cela signifiait que Carter donnait le feu vert à Khomeini ? Il semble que non, car lorsque Zimmerman a rencontré Yazdi à Paris, ce n’était pas du tout pour proposer un retour triomphal de Khomeyni, mais au contraire pour le persuader de différer son départ. Les Américains de la Maison Blanche espéraient gagner du temps afin de laisser au gouvernement Bakhtiar une chance de réussir.
Les États-Unis voulaient donner l'impression qu'ils faisaient de leur mieux pour empêcher un coup d'état militaire et que la mise en garde de l'ayatollah était vitale. M. Zimmerman a dit à M. Yazdi que « seule la gauche avait quelque chose à gagner dans un affrontement entre religieux et militaire ». Les dossiers sur ces réunions montrent que le camp de Khomeini craignait un coup d'Etat militaire et pensait que la « révolution » ne réussirait que si les États-Unis persuadaient l'armée iranienne de lui permettre de revenir en toute sécurité.
L'administration Carter n'a pas encouragé l'armée à prendre le pouvoir et écraser l'opposition, mais la manip ressemble fort à un « complot » visant à renverser le Shah et à ouvrir la voie à Khomeini. L'idée d'une prise de contrôle militaire sanglante était un tabou pour Carter, qui avait fait des droits de l'homme le centre de sa politique étrangère.
De plus, le Shah lui-même ne souhaitait pas une répression militaire, car il craignait que cela mette une fin à sa propre légitimité en tant que monarchie constitutionnelle. Alors Carter a envoyé un émissaire militaire à Téhéran, le général Robert Huyser, pour convaincre les généraux de soutenir le gouvernement civil du Bakhtiar.
Après le retour de Khomeini le 1er Février 1979 et l'effondrement du gouvernement Bakhtiar le 11 Février, les Américains étaient à court d'idées et incapables de comprendre qu’une révolution dirigée par un religieux de 76 ans puisse établir un Etat islamique. Comme une grande partie de l'opposition laïque au Shah, ils étaient convaincus qu’un imam n’était pas en mesure de diriger un pays moderne. Ils étaient persuadés que tôt ou tard, les éléments du mouvement révolutionnaire laïc plus libérale arriverait au pouvoir et de poursuivrait une politique étrangère consciente de la vulnérabilité de l'Iran à la « subversion communiste » et l'invasion soviétique.
Les responsables américains ont eu l’espoir que leurs vœux se réalisaient lorsque le Premier ministre nouvellement nommé, M. Mehdi Bazargan, alarmé par la « menace communiste », a demandé des informations confidentielles aux responsables du renseignement américain. Mais leurs espoirs ont vite été déçus, avec l’occupation de l'ambassade américaine à Téhéran en Novembre 1979, la prise d’otages et la démission du gouvernement Bazargan.
De nombreuses critiques peuvent être formulées au sujet des États-Unis pour l'incohérence de sa politique au cours de la « révolution » iranienne, le projet américain ne consistait pas à déloger le Shah pour assurer le retour de Khomeini. L'administration Carter a été lente à analyser la crise en Iran, incapable de se mettre d'accord sur la façon d'y répondre, et espérait désespérément qu’une issue pacifique préserverait les intérêts américains. Et c’est dans l’urgence que les diplomates ont facilité la mise en place d’un régime qu’ils n’avaient pas évalué mais qui devait servir de rempart à l’arrivée de leur meilleur ennemi : l’Union Soviétique et le communisme. Il ne s’agit pas de complot, mais simplement d’impérialisme.
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