Les folies de la guerre froide révélées (23) : du Golf à l’Hôtel
Le monde n'a pas échappé à l'holocauste nucléaire qu'en 1962, semble-t-il. La crise des missiles de Cuba avait atteint un paroxysme, on le sait. Mais un autre événement aurait pu aller encore plus loin, la folie d'en découdre à grands coups de bombes atomiques n'étant pas réservée qu'au seul Curtis le May. Côté russe, il y avait les mêmes fêlés, semble-t-il. C'est ce que l'on découvre quand on se replonge dans une bien étrange affaire, celle du K-129, un sous-marin russe dont je vous ai déjà conté ici la récupération partielle, effectuée par les employés de Howard Hughes, au nom de la CIA. Une opération qui a révélé bien des choses encore, ce dont je vais vous faire part maintenant, ayant découvert depuis des documents supplémentaires fort passionnants. Mais avant d'arriver au K-129, il va falloir faire quelques détours... plein d'enseignements ; vous allez voir...
Mais revenons en arrière si vous voulez bien (à gauche le sous-marin russe K-96 en mission) : nous sommes en 1979, et russes et américains signent le deuxième traité Salt sur la prolifération nucléaire. Le premier traité SALT I avait été signé le 26 mai 1972 à Moscou entre les américains et les soviétiques par Richard Nixon et Léonid Brejnev, après bien des réticences de la part du second, car l'URSS, quasi-ruinée par les dépenses spatiales lunaires, avait dû se résigner à venir négocier. Elle n'avait pas eu la récompense de ses efforts aérospatiaux, battue en 1969 par les USA (et une gestion de l'aéronautique trop anarchique ou trop soumise à l'esprit de clans), qui avaient pourtant démarré bien après elle en ayant accumulé les déboires pendant les premières années de la confrontation spatiale. Sept ans plus tard, le même Brejnev signait le second volet du traité avec cette fois Jimmy Carter, qui avance bien davantage dans la réduction des armements nucléaires, en prévoyant notamment de respecter d de part et d'autres un nombre précis de bombardiers et de lance-missiles et donc la destruction systématique de leur surnombre.
Pour ce faire, il était prévu tout une sorte de contraintes, dont certaines ressemblent à un rituel étrange. En plein désert, des B-52 avaient été sagement rangés les uns contre les autres, une grue géante munie d'une énorme lame qui tombe par gravité découpant chaque aile, qui était ensuite sagement rangée sur le côté de chaque fuselage, lui même ensuite tronçonné en plusieurs gros morceaux. Et le tout était resté là en plein soleil, quelques semaines, voire des mois parfois, avant d'être réduit complètement en miettes par d'autres machines broyeuses de modèle plus petit (des pelleteuses de chantier à pinces) : le temps qu'il fallait pour que les satellites russes comptabilisent en les photographiant un par les bombardiers mis ainsi au rebut. Les américains faisant la même chose avec leurs satellites, et les russes avec leurs "Bisons" qui n'avaient de toute manière jamais correctement marché. Tout le monde s'étonne lors de ce deuxième traité de l'attitude des russes, nettement moins arrogants que les années précédentes. On cherchera longtemps ce qui les avait rendus aussi doux que des agneaux. Et ce qui les avait plus que calmés ; c'était un simple rapport, établi en détail par la CIA. Un terrible rapport, qui faisait des russes des militaires pris la main dans le sac. Et à qui on pouvait donc presque tout demander, désormais...
Pour tout dire, les deux camps, en 1979, s'apprêtaient toujours, 17 ans après la crise de Cuba, à s'affronter à coups de bombes atomiques : c'est ce que révèle en septembre 2012 seulement un document déclassifé américain, révélé ici par le Daily Mail : "le document PD-59 révèle que les États-Unis s'étaient en effet préparé à une guerre nucléaire, et que l'administration Carter a cherché à possèder des capacités nucléaires qui lui auraient assuré un "haut degré de flexibilité, de survie durable, et une performance adéquate en réponse aux actions ennemies". Si la dissuasion échouait, les États-Unis "devaient être capable de combattre avec succès afin que l'adversaire ne puisse atteindre ses objectifs de guerre et subisse des coûts qui lui seraient inacceptables". Selon Foreignpolicy.com, un élément majeur du PD-59 était la capacité « look-shoot-look ». Il s'agissait en utilisant des renseignements sophistiqués de trouver les cibles dotées d'armes nucléaires dans des situations du champ de bataille, de frappe ces cibles, puis d'évaluer ensuite les dégâts. Une note de service de l'aide militaire NSC William Odom représentant le secrétaire à la Défense Harold Brown décrit alors un exercice militaire à venir, où seraient attaqués des forces d'usage classique en Europe de l'Est et en Corée avec des armes stratégiques, cite le rapport. En d'autres termes, il envisageait l'utilisation de grandes armes nucléaires pour attaquer des troupes conventionnelles. Mais Odom et les autres derrière le document ne croyaient pas à l'utilisation des armes nucléaires pour la défaite des troupes traditionnelles, cela conduisant nécessairement à l'apocalypse." Sidérant document... qui ne peut s'expliquer à moins de savoir ce que les américains avaient découvert, et qui était très effrayant... en effet.
Pourquoi donc les américains s'étaient-ils autant méfiés des russes au point de prévoir un conflit nucléaire possible du jour au lendemain, même au temps de Jimmy Carter, réputé "pacifiste", et avaient-ils après réduits ces derniers au rôle d'obligé, voilà toute l'histoire qui se cache derrière la perte non pas d'un mais de deux sous-marins : un russe et un américain. Commençons par le premier si vous le voulez bien. C'est un sous-marin hybride, un lanceur d'engins de première génération chez les soviétiques, qui sont très en retard alors en matière de sous-marins nucléaires. En attendant l'arrivée des futurs class "Hotel", les soviétiques ont en effet bricolé sur des sous-marins à propulsion diesel une sorte de kiosque massif, plus long que la normale, pour y loger trois missiles à tête nucléaire : c'est ce qui caractérise la classe "Golf". On distingue en effet ces engins à propulsion diesel classique des autres par leur long kiosque effilé : ce dernier, contenant les trois missiles à l'arrière.
Question missiles, les soviétiques ne maîtrisent absolument pas les carburants solides, à l'époque, aussi ont-ils simplement transformé un missile terrestre, le R-13, qui a beaucoup servi dans le civil pour défricher la haute atmosphère sous le nom de R-11, comme les américains ont pu le faire à la même époque avec leurs fusées Viking ; parmi les premières à avoir pris la courbure de la Terre en photo (avec le Redstone, descendants directs tous deux du V-2 allemand). Le R-11, tout le monde sait en effet ce que c'est : c'est le fameux Scud qu'immortalisera la Guerre du Golfe. L'ingénieur qui développe le R-13 s'appelle Viktor Makeyev, et dans son bureau on remarque un homme fort discret mais aux compétences rares : il s'appelle Constantin Feoktistov, et deviendra... cosmonaute, il a travaillé auparavant chez Mikhail Tikhonravov, qui lui avait comme spécialité d'origine... les planeurs. Utiliser des engins à carburants liquides est dangereux, on le sait, sur Terre, déjà et ça se complique sur mer encore davantage.
Mais les russes maîtrisent semble-t-il : sur plus de 300 tirs que fera le R-13, 225 seront sans encombre : pour l'époque, c'est plutôt une réussite. Les premières tentatives auront lieu sur 6 modèles de sous-marins de la classe Zulu (sur le 26 construits), qui ne sont autres que des modèles allemands de type Unterseeboot type XXI modifés par les soviétiques (ce qui veut dire aussi que les allemands étaient au bord de fabriquer des sous-marins lance-engins !!). Ces sous-marins particuliers n'ont servi que de tests pour les lancements, aucun n'a été mis en service avec ses missiles. En résumé, en 1960, l'URSS a lancé toute une meute de sous-marins de 100 m de long (on en construira 23 seulement), équipés de Scuds !
Manquant de portée en première version, on l'améliore en modèle D-2 devenu SS-N-4 en désignation Otan et il atteint entre 400 et 600 km, muni d'une tête nucléaire d'1,5 tonne de poids brut et d'une mégatonne de puissance pour 13,6 tonnes de masse totale. On améliore aussi ses facultés à ne pas se détériorer alors qu'il est rempli de ses carburants corrosifs : on atteindra ainsi sept ans de vie pour ces missiles testés bien traditionnels, à l'exception de son guidage qui se fait par quatre verniers et non plus par palettes de carbone disposés dans le flux comme sur le V-2 (ou le Scud). Au delà de cela, ça reste bien archaïque, car pour lancer le missile, le sous-marin porteur de type Golf doit nécessairement faire surface, ne pouvant expulser dans l'eau le contenu de ses trois tubes. Cela ne pourra se faire qu'avec la génération suivante, celle de la classe Hotel, qui sera aussi dotée d'une propulsion nucléaire et non plus munie de diesels classiques. Fiables, les SS N-4 constitueront longtemps le fer de lance des missiles de la marine russe : on les retrouvera sur des vedettes rapides comme sur des destroyers. On ne construira que 8 modèles de classe Hotel, le dernier étant lancé le 1er avril 1962. C'est le modèle suivant, Hotel Class II, qui permettra véritablement de lancer le nouveau missile R-21 (SS-N-5 Serb) sous 18 mètres d'eau. Le développement de l'ensemble de la gamme sera lent : on estime qu'entre 1962 et 1965, seulement 66 missiles de ce type étaient en circulation sous la mer dans des sous-marins russes.













(*) les russes proposant de fabriquer des sous-marins porteurs de chars ou de camions, des projets élaborés pendant la seconde guerre mondiale et prévus pour être construits juste après !
Un dessinateur américain, Frank Tinsley's pour Mechanix Illustrated dessinera un projet similaire dans les années 50, fortement inspiré du design russe, une sorte de LST semi-submersible :
Le projet refera surface chez Mécanique Populaire dans les années 50 et 60 sous forme d'un tanker sous-marin pour circuler... sous le Pôle Nord (le projet réapparaîtra à nouveau en 1982) !
le Regulus
http://www.navy.mil/navydata/cno/n87/usw/issue_11/regulus.html
http://www.regulus-missile.com/RegulusII.html
sur les missiles de la Navy
http://www.youtube.com/watch?v=n46D6frXVao
http://www.youtube.com/watch?v=rUbgtRPkYtE
13 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON