Les frères musulmans et la démocratie
Lorsque les « révolutions arabes » avaient surgi après les grandes manifestations en Tunisie à la fin de l 'année 2010, cela avait engendré dans nos média un intérêt vraiment extraordinaire. On s'attendait à un nouveau printemps des peuples tout à fait comparable à celui de 1848. L'illusion lyrique aura duré jusqu'aux élections en Tunisie, qui devaient porter au pouvoir les sinistres obscurantistes d'Ennahda. Mais longtemps encore après ce résultat des plus calamiteux, il s'est trouvé bien des journalistes et bien des « spécialistes » de l'Orient compliqué pour nous expliquer qu'une révolution ne se faisait jamais d'un seul coup, que l'islam n'était pas non plus nécessairement celui d'Al-Qaïda, qu'il pouvait très bien se montrer tout à fait « modéré » et quasi démocratique comme l'était, du reste, celui du parti d'un Erdogan. On sait depuis peu ce qu'un très grand nombre de Turcs peuvent penser de la modération de leur premier ministre et des charmes d'une société moderne qui ne trouve rien de mieux pour se réformer que des conceptions héritées du haut moyen-âge.
En Iran, chacun sait que les mosquées sont de plus en plus désertées. Quand les difficultés de la vie quotidienne accentuées par les sanctions économiques seront devenues vraiment insupportables – et cela ne devrait plus tarder – ce sera aussi la révolution. En Turquie, la situation est désormais explosive. L'explosion vient d'avoir lieu en Egypte et par une sorte de contagion déjà observée, mais cette fois dans l'autre sens, elle aura lieu demain en Tunisie, inévitablement.
La sottise des occidentaux vient de ce qu'ils se sont habitués à penser que tous ces pays étaient des « pays musulmans », comme si l'islam était une propriété nécessaire et essentielle, qui pût s'attacher à une région géographique. En vérité, ces pays sont musulmans comme l'Europe était tout à fait chrétienne à l'époque classique. Elle devait pourtant cesser de l'être dans le courant du XVIIIe siècle, et personne ne songerait plus à considérer que l'Europe est essentiellement chrétienne. Le débat qui avait eu lieu sur ses « origines chrétiennes » a finalement tourné court et ce n'est peut-être pas plus mal. Les civilisations sont mortelles, la civilisation chrétienne est morte comme mourra demain la civilisation islamique, dans un monde qui se mondialise et s'uniformise.
Les réactions qu'on a pu observer ces derniers jours après les événements du Caire sont surprenantes. On avait fini par se dire que la destitution du vieux pharaon Mubarak avait été voulue dans les grandes villes par une minorité jeune, cultivée, occidentalisée, dont les aspirations devaient être fort différentes de celles des paysans arriérés de la haute vallée du Nil, lesquels avaient fini par porter au pouvoir l'abominable Morsi. Cette seconde phase inattendue de la révolution aurait dû, surtout dans les premiers jours et avant les premiers massacres, susciter l'admiration et l'enthousiasme. On aurait dû se dire qu'on avait eu tort de désespérer de l'Egypte et des Egyptiens, que ceux-ci avaient très bien et très vite compris leur erreur et qu'ils étaient en train de reprendre en main le gouvernail. Au lieu de cela, on se trouve confronté à une espèce de stupeur, comme si on s'était résigné déjà à une Egypte islamisée pour l'éternité, embourbée dans l'obscurantisme et condamnée à la violence de la pire des tyrannies religieuses. Tout ce qu'on s'était habitué à penser est à réviser. C'est bien embêtant.
Un ministre allemand a cru bon de devoir déclarer – et sans rire ! -, reprenant carrément à son compte la propagande des Frères musulmans, que cette éviction d'un président régulièrement élu était tout à fait contraire aux principes de la démocratie. Il est vrai que dans l'Allemagne des années 30, le NSDAP avait pu lui aussi très démocratiquement progresser, et les choses avaient suivi très démocratiquement leur cours jusqu'à la nomination d'un Chancelier du Reich dont l'oeuvre politique devait avoir à la fin le succès que l'on sait : il suffisait sans doute d'attendre et de se montrer patient pour voir de quoi peut accoucher quelquefois un processus vraiment démocratique. Et on a vu !
Ce ministre allemand, à ma connaissance, n'a été désavoué nulle part. Sur la chaîne parlementaire, sur France 24 et sur France Culture, j'ai suivi plusieurs débats où l'on pouvait entendre, venant de « spécialistes », des énormités tout à fait comparables à celles qu'il proférait. Une jeune Egyptienne partie prenante dans les événements de la place Tahrir avait beau représenter que le système des Frères musulmans était une sorte de fascisme (sic), on affectait de ne pas vouloir l'entendre. Bref, on ne voudrait sans doute pas, en France, subir les ukases d'intégristes religieux, mais pour des Turcs ou des Egyptiens, c'est bien bon : ces gens-là ne sont pas comme nous, même s'ils se mettent à formuler des exigences qui sont les nôtres depuis le siècle des Lumières. Peut-on pousser plus loin l'ethnocentrisme et le mépris des autres peuples ?
Peut-on sans rire considérer qu'il y aurait quelque chose de démocratique dans l'idéologie de religieux fanatiques prétendant imposer la charia et en particulier réduire à l'abjection les femmes, c'est-à-dire une bonne moitié de l'humanité ? Il est vrai que les Américains se soucient fort peu de la condition des femmes en Arabie Saoudite, ou bien que l'esclavage aboli par les lois du pays continue d'y être quand même largement pratiqué. Il suffit bien que le capitalisme y trouve son compte, et les islamistes ne sont pas des ennemis déclarés du libéralisme économique. Il est vrai qu'ici, le Quai d'Orsay reste aveugle sur ce qui se passe dans les Emirats et même sur les agissements d'un Qatar soutenant activement les islamistes qu'il faut par ailleurs exterminer au Mali - et sans trop d'états d'âme. Il suffit, là encore, qu'on puisse en tirer quelques profits et que les baudruches au pouvoir dans ces principautés financent par exemple les extensions merdiques du Louvre et quelques autres de nos institutions.
Mais de pareilles tartufferies dégoûtent. Qu'on se rappelle un peu le climat qui entourait les manifestations contre le mariage homosexuel et la propagande mise en œuvre alors par les Frères socialistes : seuls des Français d'extrême droite, disaient-ils, et des intégristes catholiques, pouvaient oser s'indigner d'un si décisif et si réel progrès des libertés et de l'égalité démocratique. Dieu sait que je suis athée autant qu'on peut l'être, et je ne suis certes pas là pour prendre la défense des paroissiens de Saint-Nicolas du Chardonnet, mais je ne vois pas qu'ils soient beaucoup plus dangereux en France que ne le sont les intégristes musulmans au nord de l'Afrique. Un pauvre homme très ami des socialistes avait alors déclaré, et cela avait tout de même fait un ertain bruit, que si une bombe explosait au milieu d'un cortège d'obscurantistes opposés au mariage des homosexuels, cela ne lui ferait pas verser des larmes. Je suppose qu'il regardera aujourd'hui avec la même indifférence le massacre de quelques dizaines de Frères musulmans sous les tirs de l'armée Egyptienne.
Ce qui se passe en Egypte est très inquiétant et on ne peut pas faire bon marché de violences qui ont eu lieu et qui ne sont probablement pas près de finir. Le spectre de la situation algérienne il y a vingt ans, celui de la Syrie actuelle, peuvent faire craindre le pire. Hier, on massacrait des Coptes dans une indifférence à peu près générale. Aujourd'hui, on massacre des Frères musulmans. L'espèce de coalition contre nature qu'on observe, et qui rassemble les libéraux, l'armée et des salafistes, ne peut conduire évidemment qu'à des aventures hasardeuses et sinistres.
Il reste qu'une chose est sûre : ces peuples ont connu des dictateurs, ils se sont administré à eux-mêmes la preuve qu'ils pouvaient les balayer. Ils ont connu un début de dictature religieuse qui devait les conduire à une théocratie assez comparable à celle qui ne va pas tarder à s'effondrer en Iran, et l'islam intégriste commence à leur paraître odieux. Ils ne l'accepteront jamais. Ce sont probablement les femmes tunisiennes qui viendront à bout d'Ennahda, et le faux-cul des faux-culs, le Tartuffe Marzouki, sera probablement le premier à connaître le même sort que Morsi.
Les révolutions, avec leurs cortèges de violences, sont toujours horribles. La lecture de François Furet m'en a dès longtemps persuadé. Ce que la France pourrait faire, qui semble avoir tant de sympathie actuellement pour les pauvres Frères musulmans hors du Mali, c'est les accueillir à bras ouverts. Quelques centaines de ces malheureux sont actuellement aux mains de l'armée égyptienne. Nos Frères socialistes pourraient obtenir qu'ils nous soient envoyés. Ils pourraient participer utilement au processus démocratique. Sarkozy nous a fatigués ; nous ne tarderons pas à trouver insupportable Monsieur Normal. Nous avons besoin de solutions radicalement nouvelles et ce que Morsi n'a pas eu le temps de faire en Egypte, peut-être pourrait-il le réaliser ici, pour la plus grande gloire de notre Démocratie.
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