Les intellectuels préfèrent les chiens aux chômeurs
Les chiffres du chômage annoncés sont encore mauvais, mais l'espoir est au bout du chemin dit-on. Ce n'est pas l'avis d'Isabelle Maurer qui, sur France 2, expliquait inutilement à Jean-François Copé l'horreur du chômage. Deux chômeurs se sont déjà immolés. Deux autres ont menacé de le faire. Ces menaces ont conduit Isabelle Hay à être internée, puis à être placée en garde à vue. La folie et la culpabilité sont les seuls diagnostics pour expliquer le désarroi.
Quel est cet espoir qui fait envisager un suicide violent ? Les immolés de pôle emploi ont suscité moins de compréhension et moins de compassion qu'une adolescente Kosovar. La "marche des chômeurs" du 10 juin au 6 juillet dernier est passée autant inaperçue que les défilés militants autour de la question pour le mariage pour tous et les malheurs du football français ont mobilisé les attentions. Du côté du fleuron de l'intelligence française, l'insoutenable condition juridique des animaux a rassemblé une cohorte de 24 intellectuels qui, entre Alain Finkielkraut et Michel Onfray, ou encore Luc Ferry et Edgar Morin, ont pesé de leur célébrité pour demander la révision du Code Civil. Peut-être que l'article 5 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, constitutif de la Constitution française, qui stipule que "chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi", n'est pas d'une actualité assez tragique pour mériter les lumières de l'intelligentsia. Une seule citation d’Orwell saute spontanément à l’esprit : "Vous devez faire partie de l’intelligentsia pour écrire des choses pareilles ; nul homme ordinaire ne saurait être aussi stupide."
"Le devoir de travailler"... Les sirènes de l'assistanat signalent maintenant aux plus prompts à réagir le danger des chômeurs. Ils sont évidemment de vils profiteurs, heureux de leur condition, ravis de se lever le matin avec la perspective enchantée d'une journée à se la couler douce aux frais de leurs princes Contribuables. Leur femme leur est infiniment reconnaissante d'être si malins, leurs enfants trop privilégiés pour s'en vanter, leurs parents heureux que leur ambition soit satisfaite. Pourtant, les licenciements se multiplient. Et malgré le plaisir d'être de futurs assistés, les licenciés réagissent comme s'ils ignoraient le paradis qui les attend ; passés les contrats de génération et autres emplâtres du gouvernement, les offres d'emplois amènent chacune quelques centaines de candidature : pourquoi persistent-il donc à vouloir bosser ? Décidément, ces gens-là ne savent pas ce qu'ils veulent : l'assistanat est si réjouissant qu'ils se plaignent d'en grossir les rangs. Bande d'ingrats et d'imbéciles.
Ceux qui parlent d'assistanat rappellent les intellectuels marxistes qui expliquaient le bonheur de vivre des prisonniers du rideau de fer, piégés dans les démocraties populaires. Le chômage est une prison sociale. Ne pas avoir de boulot est un handicap, à moins d'être multimillionnaire ou participant d'une émission de télé-réalité. Ceux qui prétendent le contraire sont aveugles aux réalités.
D'un autre côté, l'impéritie de pôle emploi n'est plus à faire. Cette incapacité est d'autant plus tragique que le premier réflexe de nos gouvernants a été d'en augmenter les effectifs. Gonfler les rangs des incapables de la même puissance inutile ne conduira jamais à améliorer le problème du chômage. Dans le même registre, le premier filtre des ressources humaines s'incarne dans le profil type d'employés dont la jeunesse et l'inexpérience les conduisent à devoir sélectionner des centaines de cv en quelques minutes. Expliquer un parcours professionnel à ceux qui ont le moins de chance de le comprendre est simplement kafkaïen. Ne serait-il pas absurde de devoir convaincre une secrétaire médicale du bien-fondé d'une visite pour qu'ensuite, elle et elle seule, décide si le malade est autorisé à consulter un médecin ? De la même façon, laisser pour seul juge le moins capable et le moins qualifié des employés d'une entreprise à décider de l'aptitude d'un candidat ne relève-t-il pas du même délire ? On comprend pourquoi la France est un pays qui glorifie tant le réseau. Ce n'est pas que le réseau soit un passe-droit ou un moyen de profiter d'une opportunité au détriment d'un plus capable que soi. Il est le seul moyen d'éviter les canaux classiques - recruteurs, ressources humaines, pôle emploi - encombrés par les moins à même de saisir les compétences que traduisent un cv.
Cette insanité est aggravée par une pensée figée dans des cadres rigides qui accentue la difficulté de sortir du chômage. Beaucoup la désigne en expliquant que le français pense en case. Il sera quasiment impossible pour un professeur de rejoindre un département marketing par exemple, ou pour un commercial de prétendre travailler comme communiquant. Faites des études d'Histoire, et votre horizon professionnel se partagera entre choisir l'enseignement ou d'être guide dans un musée. Les Anglo-Saxons, en revanche, ne se figent pas ainsi. Leur ouverture d'esprit est en partie constitutive de leur capacité de recrutement. La flexibilité de leur pensée les conduit à concevoir l'employabilité en terme de possible : être capable ou pas est leur credo. Le recruteur donne du temps au recruté pour qu'il démontre ce dont il est capable. Mais en France, nous sommes bien trop intelligents pour nous abaisser à être flexibles.
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