Les lois censorielles

En France, grâce à sa longue tradition de liberté d’expression, les journalistes et auteurs contestateurs ont toujours pu exprimer des idées très critiques et même subversives, mais la promulgation, depuis quelques décennies, d’une série de lois restrictives, a aboli cette liberté. Ce sont de véritables lois de censure, qui empêchent la libre parole non seulement dans l’enseignement et les médias, mais dans tout l’espace public. Il s’agit de la loi Pleven de 1972, de la loi Gayssot de 1990, des amendements au Code pénal de 1994,2005,2006, et de la loi sur la HALDE de 2004.
La libre expression publique en France est régie par la loi de 1881 sur la presse. Promulguée après de vives luttes pour la liberté d’expression, elle avait réussi à supprimer toute censure, sauf pour certaines restrictions concernant l’ordre public, notamment la diffamation, l’injure et l’incitation à l’émeute. Elle autorisait l’expression publique de toute opinion, y compris des hostilités verbales entre divers courants idéologiques, considérées comme élément essentiel d’une vraie démocratie. Sous la loi de 1881 il y eu, à la fin du XIX° siècle, une extraordinaire pluralité de quotidiens englobant toute la gamme des opinions politiques et morales. Journaux, brochures, livres traitaient librement de tous les sujets. Dans une offre de presse très ouverte toutes les opinions trouvaient expression. Les communistes, les fascistes, mais aussi leurs opposants pouvaient se disputer publiquement, et ce pluralisme portait en lui-même une relativisation des idées extrémistes dont il autorisait l’expression. Les idées les plus farfelues s’exprimaient librement, sans que la France ne soit devenue ni nazie, ni communiste, ni antisémite ni plus homophobe ou xénophobe qu’auparavant.
Pendant presque cent ans la loi de 1881 régla la liberté d’expression publique d’une façon tout à fait satisfaisante. Mais, en 1972, sous le gouvernement de Chaban- Delmas, fut promulguée la loi Pleven, qui modifia la loi de 1881 en y introduisant les notions nouvelles de provocation à la haine et provocation à la discrimination.
Ce qui est dangereux dans cette modification est le fait que la haine n’est pas un acte mais un sentiment personnel, qui n’a pas d’effets extérieur démontrables. Elle ne peut donc pas être un délit. C’est toute autre chose que l’incitation à la violence de la loi de 1881, puisque la violence est un acte visible. Si l’on peut démontrer qu’elle est survenue suite à certains propos, on peut accuser l’auteur d’incitation ou provocation à la violence. Par contre, la haine est un sentiment intime qu’on ne peut que supposer tant qu’il n’est pas lié à un acte. Une sanction pénale pour provocation à la haine, tant qu’une conséquence violente n’est pas prouvée, serait un jugement subjectif et arbitraire.
La loi Pleven rend les sentiments intimes susceptibles d’être poursuivis pénalement, alors que jusque là ils étaient complètement hors du ressort des tribunaux, qui ne pouvaient juger que des actes. Dorénavant, des seuls propos pouvant faire éventuellement tort à des personnes peuvent être poursuivis en justice. C’est une véritable censure de la pensée, dont se servent régulièrement les associations antiracistes comme SOS racisme. En effet, l’autre amendement de la loi Pleven est l’autorisation accordée à ces associations de déclencher l’action judiciaire. Alors qu’avant, seule la victime elle-même ou bien le procureur public pouvait lancer un procès, dorénavant toutes les associations y sont habilitées. Les conséquences se sont
rapidement révélées.
L'existence d’associations et d'officines de censure dans une république où les droits de l’homme sont respectés semblerait, par définition, impossible, et pourtant l'activité principale des officines comme SOS racisme, la MRAP, la LDH, la HALDE etc. est la chasse aux atteintes du politiquement correct. Ces organisations sont toujours à l’affût du moindre "dérapage" ou "dérive" susceptible d’être interprété comme "raciste". Ce sont des organisations liberticides, une police de la pensée. En les autorisant à saisir les tribunaux, le législateur leur a fourni une formidable pouvoir de harcèlement et d’intimidation.
Pour ces associations, spécialistes dans la traque aux "racistes", "xénophobes", etc., la chasse aux paroles et aux écrits susceptibles de tomber sous le couperet de ces lois liberticides est une aubaine, un fonds de commerce. On peut, évidemment, douter de la représentativité réelle de ces collectifs. Au nom de qui parlent-ils ? Ne sont-ils que les porte-voix d’une minorité radicale qui ne reflète pas l’opinion des musulmans, des homosexuels, des noirs etc. ? En 1993 le gouvernement a introduit un nouvel article (art. 475) dans le code de procédure pénale qui autorise les juges à attribuer aux associations plaignantes, outre des dommages et intérêts, un dédommagement financier supplémentaire laissé à leur libre appréciation, souvent très élevé. Les associations ont donc non seulement un intérêt moral supposé, mais un réel intérêt financier à lancer des procédures.
La loi Gayssot fut introduite en 1990 pour empêcher les historiens de critiquer les versions officielles de certains épisodes douloureux de l’histoire, comme la colonisation et les génocides. Le prétexte était la mise en cause par quelques intellectuels de la version courante de l’extermination des juifs, version pourtant confirmée par la vaste majorité des historiens. Les thèses des négationnistes étaient à tel point absurdes, leurs méthodes à tel point arbitraires, qu’il aurait était facile de les réfuter avec les témoignages et documents disponibles. Mais le député communiste Gayssot saisit l’occasion d’immortaliser son nom en proposant une loi qui allait dénaturer encore une fois la loi de 1881.
Elle rétablit explicitement le délit d’opinion, en contradiction flagrante avec les déclarations des droits de l’homme. Ce qu’elle vise, ce n’est plus les troubles de l’ordre public, mais la simple expression d’une opinion contestataire :
« Seront punis ... ceux qui auront contesté ... les crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international... de Londres du 8 août 1945. »
On connaît le cas le plus récent : Quarante-cinq mille euros d’amende et un an d’emprisonnement : c’est ce que pourrait bien risquer une personne qui voudrait exprimer ce qu’elle pense au sujet du génocide arménien, en France. C’est cher payer l’expression de ses idées. Ainsi, cette loi bafoue l’un des droits les plus fondamentaux de l’individu : celui d’exprimer ses pensées. En clair, le délit d’opinion existe dans notre pays. Rien que pour cette raison, cette loi doit être condamnée. Car c’est une manifestation d’intolérance, au sens exact du terme, c’est-à-dire le refus de la liberté d’opinion d’autrui.
Max Gallo : « Pour l’historien, il n’est pas admissible que la représentation nationale dicte "l'histoire correcte, celle qui doit être enseignée". Trop de lois déjà, bien intentionnées, ont caractérisé tel ou tel événement historique. Et ce sont les tribunaux qui tranchent. Le juge est ainsi conduit à dire l'histoire en fonction de la loi. Mais l’historien, lui, a pour mission de dire l'histoire en fonction des faits ».
Trois décrets supplémentaires ont été ajoutés dans le nouveau code pénal (Art. 625- 7) en 2005, créant trois nouvelles infractions, notamment celles de diffamation, d’injure ou provocation à la discrimination non-publiques. Désormais, non seulement les propos exprimés publiquement mais aussi ceux exprimés en privé peuvent être poursuivis. Les journalistes en tirent profit pour piéger des personnalités dans des situations privés ou semi-privées (micro-trottoir) en leur posant des questions sensibles. Un exemple est la condamnation de Brice Hortefeux le 4 juin 2010 pour avoir dit « Quand il y a un, ça va. C’est quand il y a beaucoup qu’il ya des problèmes ». Ces propos avaient été enregistrés par caméra cachée dans un lieu privé. Il fut condamné par le Tribunal de grande instance de Paris pour « injure non-publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine ».
Ces décrets font de l’expression d’une simple opinion l’équivalent d’un acte et donc punissable comme un acte. On demande donc aux juges de sanctionner des pensées en tant que telles, ce qui revient à une procédure comparable à celle de l’Inquisition, sauf que l’hérésie en question n’est pas de nature religieuse mais politique. En transformant ainsi les juges en censeurs, on les oblige à jouer un rôle complètement étranger à leur vocation et à leur formation. On leur demande de décider si le prévenu a eu raison ou tort d’exprimer telle ou telle pensée sur l’immigration, sur la colonisation, sur l’islam, sur des événements historiques ou sur les problèmes des banlieue.
Le but de tous ces amendements de la loi de 1881 était sans doute noble, notamment la protection des minorités dans la population. Mais fallait-il faire des lois supplémentaires pour chaque catégorie sociale, pour les juifs, les musulmans, les homosexuels, les noirs, les handicapés, les femmes ? Il est vrai que certaines communautés sont exposées à des comportements discriminatoires. Mais les membres de ces communautés bénéficient déjà de toutes les protections du droit commun autant contre les agressions aux personnes et aux biens que contre les diffamations et injures publiques. Il aurait suffit d’appliquer et de faire respecter le code pénal sans qu’il ait été nécessaire de toucher à la loi de 1881 sur la presse.
Réf. : Philippe Nemo - Les deux Républiques françaises, PUF 2008
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