Les nazis jouaient à World of Warcraft (Sur Breivik, et la droite xénophobe)
« Une doctrine ne suffit à rien, mais il est indispensable d'en avoir une ne serait-ce que pour éviter d'être trompé par les doctrines fausses. »
Simone Adolphine Weil (1909-1943)
Les meurtriers, horrifient, et…souvent, ils fascinent. Ils sont l’objet de commentaires, parfois même, ils donnent l’occasion de réfléchir sur la nature humaine, le « bien » et le « mal », en les dépeignant comme des « monstres ». Un procédé, inconscient, qui sous-tend l’idée que ces gens n’ont quelque part, jamais fait partie de l’Humanité, et donc, qu’il n’y a pas grand-chose à comprendre. Tout se passe comme si « les voix des criminels [étaient] impénétrables » … Cette fascination sordide, se retrouve dans la manière dont on a fait d’Hitler, l’incarnation la plus parfaite du mal, faisant ainsi abstraction de tous les phénomènes économiques et sociaux qui ont permis l’accession au pouvoir de partis fascistes minoritaires en Europe.
Certes, le drame norvégien a tout de même fait l’objet d’analyses dans les mass-médias, de la part de journalistes, et de psychiatres. Loin de moi l’idée d’affirmer qu’il n’y a pas une volonté de comprendre ce qu’a fait Anders Breivik. Certaines de ces analyses plaident la folie du jeune meurtrier, qui viendraient expliquer le meurtre de plus de 80 personnes (mais le simple fait de faire intervenir des psychiatres, ne suggère-t-il pas cette conclusion au préalable ?). Aux dernières nouvelles, les jeux vidéo et un film de Lars Von Trier seraient en cause. Aussi, cette dernière explication, accompagnée de mesures (certains distributeurs retirent World Of Warcraft, Call of Duty de la vente) est rapidement venu se substituer aux premiers éléments que révélait l’enquête, et les propos du terroriste lui-même, c’est-à-dire, que Breivik était d’abord et avant tout un militant xénophobe, anti-marxiste, voulant en finir avec le multiculturalisme, et qu’il était prêt à tuer pour cela. De son obsession contre l’Islam, et de sa motivation idéologique argumentée dans plus de 1518 pages, c’est l’image du geek psychopathe qui s’est imposée.
Néanmoins, en tuant autant de personnes de sang froid, il est compréhensible que certains se demandent si ce jeune homme n’est pas fou. Seulement, il faut avouer que cette position conforte, et arrange à la fois tout ceux qui partagent plus ou moins ses idées (sur l’Islam, le multiculturalisme...), c’est-à-dire, depuis un certain temps, pas mal de monde dans le champs de l'expression publique -D’Angela Merkel à Sarkozy (qui aura la chance d’être plébiscité par le terroriste dans son manifeste), en passant par nos « intellectuels médiatiques » (Finkielkraut, cité également par Breivik), et quelques autres journalistes. Mais là encore, on soupçonnera, à l’inverse, ceux qui veulent mettre ces personnes devant leurs responsabilités (et c’est la position de Marine Le Pen) de récupérer ce drame à des fins politiciennes.
Pourtant, la thèse du « fou isolé », ne semble pas déranger que les gens du MRAP, ou les partis de gauche. Natalie Prieto, une psychiatre interrogée par EuroNews « experte auprès des tribunaux français », rejette également cette théorie :
« Selon elle, il semblerait que l’auteur présumé du massacre soit une version du paranoïaque : l’idéaliste passionné. Pour lui, “tout doit être sacrifié à sa cause peu importe les moyens”, explique-t-elle, remarquant que, paradoxalement, il va s’attaquer à des jeunes qui lui ressemblent.
D’après les rapports sur les faits, la psychiatre n’estime pas que l’argument d’une maladie mentale pourrait convaincre les juges norvégiens. Pour elle, les actes d’Anders Behring Breivik ne paraissent pas dus à une pathologie mentale au sens psychiatrique du terme qui justifierait une irresponsabilité pénale. » [1]
En effet, la psychiatre pointe du doigt, la cohérence du meurtrier : « Au contraire, ses actes correspondent bien à l’idéologie qu’il s’est construite. »Autrement dit dans le sens commun, il est évident que pour agir d’une telle manière, il faut un certain degré de folie, mais il faut bien comprendre qu’ « au sens psychiatrique » du terme, évoquer la maladie mentale, c’est aussi dédouaner le meurtrier de son acte, d’abord, et mettre de côté ensuite, ses motivations, c’est-à-dire, pour parler de manière policière, son « mobile ».
Par conséquent, les tenants de la thèse du "détraqué isolé", privent en réalité, l'action du tueur d'un quelconque sens. Or, le sens de cette action a été parfaitement exprimé dans plus de 1518 pages, et notes. Le meurtre de Breivik ressemble bien plus à ce que Max Weber appelait une " action rationnelle en valeur", qu'à une tuerie désorganisée, sans revendications politiques. Chez Weber, et du côté de ce qu'on appelle "sociologie compréhensive", il n'y a pas d'actions, sans sens ; on ne peut pas comprendre une action sans en saisir le sens que l'acteur lui donne. Les individus agissent de cette manière, parce qu'ils donnent du sens à ce qu'ils font. Lorsque le point de référence est un système idéologique, plus ou moins cohérent (rejet viscéral du "marxisme culturel", du multiculturalisme, et de l'Islam, un discours de la décadence, du déclin de l'Occident, et de l'invasion barbare musulmane...) pourquoi donc ce revirement vers des éléments proprement secondaires (pour ne pas dire anecdotiques) ? Un militant d’extrême droite revendiquant le terrorisme comme moyen d’action efficace, pro-israélien, et ciblant des jeunes sympathisants de gauche, pro-palestinien, agit-il par hasard ? Enfin, ne trouverait pas-t-on curieux, qu’après un attentat similaire, mais commis par un islamiste, on invoque les jeux vidéos, les films violents, la pathologie mentale ou, même (reprenant ainsi le discours de Breivik) l’immigration et le multiculturalisme ?
Inévitablement, on accuserait ceux-là mêmes d’excuser le geste (vous savez « la culture de l’excuse » !) ou encore d’apologie du terrorisme. Breivik n’est donc pas d’extrême droite, n’appelle pas à la défense de l’Occident contre les barbares musulmans, et, tout comme les nazis d’ailleurs, il a été corrompu par World Of Warcraft. Mais si, bien sûr, évidemment. Voilà la clef du problème.
[1] http://fr.euronews.net/2011/08/01/norvege-psy-profil-psychologique-anders-behring-breivik/
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