Les origines égyptiennes de la culture des israélites polythéistes à Eléphantine
Qui s’est réveillé tôt sur les rives du Nil à hauteur de sa première cataracte au pied du barrage d’Assouan, aura le souvenir de l’inoubliable île Eléphantine avec ses felouques à voile blanche. Derrière elles, à peine doré par les lueurs matinales, le sable du désert trace la rive ouest du fleuve puis s’enfonce sous son lit.
L’endroit n'attire pas que pour sa beauté.
Occupé par une importante colonie d'israélites au Ve s. av JC, il a fait l’objet de nombreuses fouilles qui ont mis en évidence leur assimilation de la culture égyptienne.
Mis au jour ici, quelques traits intéressants de cette société juive ancienne avec ses divinités multiples, nous rappellent que le judaïsme n’a pas été un long fleuve tranquille.
Si Henri Atlan a développé une thèse (1) sur le judaïsme qui explique pourquoi un juif même orthodoxe n’est pas nécessairement croyant, à Eléphantine les juifs étaient polythéistes.
Avant d’évoluer dans l’univers des divinités israélites, il convient de rappeler que pendant l’antiquité il était admis que lors d’une bataille le dieu du vainqueur prévalait sur celui des vaincus. La destruction de Jérusalem et du temple de Salomon posait donc la question de la prééminence du dieu Yahweh.
Déportés à Babylone (VIe s. av JC) les juifs justifièrent leur punition par la pratique d’un polythéisme (1) contraire au texte biblique (Torah). « Tu n'auras point d'autre dieu que moi…Tu ne te feras point d'idole… ». En conséquence, ils devaient abandonner leurs autres divinités. Il est courant d’entendre dire que le polythéisme des juifs s’est arrêté avec leur libération et leur retour à Jérusalem. Des archéologues assuraient même ne plus avoir trouvé en Israël de statuettes d’autres divinités datées postérieurement au VIe s. av JC, comme celle d’Ashera (2) très répandue jusqu’alors.
Ceux d’Eléphantine nous révèlent d’autres comportements qui contredisent ces généralités.
On sait que des israélites ont écrit des fondements de l’œuvre biblique pendant leur exil à Babylone où l’on a retrouvé des textes sumériens qui les ont sans aucun doute nourris- le déluge, l’argile pour créer l’homme, Adam et Eve, le jardin de l’Eden … Ils sont conservés au British Muséum qui a traduit la devenue célèbre épopée de Gilgamesh (**) datée du IIe millénaire avant JC.
(**)Texte en écriture cunéiforme au British Museum
Moins connues que celles mésopotamiennes, les porosités avec la civilisation égyptienne pétrissaient aussi la culture de ces israélites qui n’avaient pas encore osé le monothéisme.
Réalisation sumérienne Adam et Eve, le serpent, le pommier.
Les sources provenant de l’île Eléphantine attestent d’un polythéisme israélite pratiqué encore comme leurs coreligionnaires en Israël un peu plus tôt avec d’autres divinités (1).
Dès la fin du XIXe siècle les fouilles se sont succédées pour révéler des morceaux d’histoire de cette communauté installée là vers le Ve s. av JC. Et dont le maintien sur l’île pendant plusieurs siècles finira par céder pour cause de conflits religieux avec les égyptiens.
Elle avait pourtant bien puisé dans la mythologie égyptienne d’autres divinités pour leurs croyances, comme l’indiquent ces quelques exemples. La découverte des « papyrus d’Eléphantine » nous raconte leur vie et leur polythéisme avec les contributions détaillées pour chaque divinité hôte de leur temple ; « 31 karsh dont 12 pour Yahô (Yahweh dieu d’Israël) 12 pour Anat-Bethel (divinité égyptienne) et 7 pour Ashim-Bethel (fils de Yahweh et d’Anat) »… (3).
Un papyrus mentionne le serment du prêtre juif Menahem bar Shaloum d’Eléphantine, à la déesse Anat-Yahô. Un ostracon (fragment de poterie support d’écritures) araméen d’Eléphantine adressé par un juif à un autre juif, associe plusieurs dieux dans son message « …Je te bénis par Yahô et Knoub (dieu égyptien)… ». Une autre information nous renseigne sur la vie en société à Eléphantine où égyptiens et juifs s’unissaient comme Mibtahyah une juive mariée successivement avec un juif et deux égyptiens au Ve s. avant JC. Elle prêtait serment à Sati, déesse du Nil et des cataractes. Son époux Khnoub était aussi adoré un temps à Eléphantine avant que sous domination Perse, les prêtres du dieu Khnoub détruisent le temple de Yahô (Yahweh) de l’île Eléphantine. Clermont-Ganneau (4) émet l’hypothèse que sa destruction par les prêtres du dieu égyptien Khnoum à tête de bélier, serait la conséquence de la pratique pascale juive consistant à égorger l’agneau, insupportable pour ces prêtres qui momifiaient des béliers pour le khnoubéion.
Une autre révélation accompagne ces découvertes. Avec les pratiques cultuelles assimilées par les israélites si proches de la culture dominante, l’influence de la littérature égyptienne s’est retrouvée dans celle des israélites.
Emanation de la littérature de sagesse (5) la sagesse égyptienne (6) a donc imprégné des textes hébraïques nous disent ces papyrus d’Eléphantine. Des « Maximes d’Amen-em-Opé (sage égyptien) » se retrouveront dans les « proverbes de Salomon (bible hébraïque) » (8).
Les nombreuses sources égyptiennes de la culture des israélites ont été citées par ailleurs, comme celles commentées par Thomas Römer (cf. son cours au Collège de France « Ce que la bible doit à l'Egypte »), avec le serpent en bronze guérisseur vénéré (Livre des rois) dans le temple de Jérusalem, réalisé par Moïse puis détruit par Ezéchias ou encore les origines égyptiennes de la circoncision (9).
Ainsi l’île d’Eléphantine aura apporté sa contribution quant aux origines multiples de la culture israélite. Avec leurs découvertes, à pas lents mais sûrs, les archéologues nourrissent toujours d’explications le syncrétisme judaïque.
(1) Thèse développée à l’Institut d’études juives Elie Wiesel « L’invention de la religion juive », 3e religion après le christianisme et l’islamisme, au motif que « …c’est Maïmonide (12e s.) qui a introduit pour la première fois des articles de foi dans les commandements (613 mitzvot) qui régissent la vie des juifs… »
(2) Des milliers de statuettes représentant une déesse de la fertilité ont été retrouvées en Israël. En 1968 l'archéologue William Dever a traduit l’épitaphe d’une tablette datée du VIIIe s. avant JC qui mentionne avec le nom du défunt, « … puisse-t-il être béni par Yahweh et son Ashera (déesse mère cananéenne, supposée par certains être la femme de Yahweh) ». Depuis d'autres inscriptions associant les deux divinités ont été découvertes.
(3) « Les dieux et les hommes en l'île d'Éléphantine, près d'Assouan, au temps de l'empire des Perses » André Dupont-Sommer Universitaire. (Collège de France)
(4) Les fouilles de Clermont-Ganneau à Éléphantine (papyrus Euting et papyrus Sachau). Deuxième et dernier article par Jean-Baptiste Chabot
(6) Antonin Causse soulignait également dans sa note critique « Sagesse égyptienne et sagesse juive », l’origine égyptienne des préceptes et maximes retrouvés dans les « proverbes de Salomon », comme les enseignements dans les écoles de sagesse ou les conceptions doctrinales juives.
(5) expression littéraire du Proche-Orient ancien d’inspiration sumérienne dont les traces se retrouvèrent plus tard à Babylone, comme en témoignent des textes retrouvés et conservés sur les tablettes cunéiformes du British Muséum.
(7) un papyrus d’Eléphantine découvert par les allemands révèle que le roman d’Ahikar (une histoire babylonienne qui aurait sa source en Inde), est reprise par le Talmud qui fait résoudre les énigmes de cette histoire par le rabbin Josué Ben Hanania. (Nouveaux papyrus araméens d’Eléphantine – Israël Lévi)
(8) « Ce que la Bible doit à l’Egypte » cours de Thomas Römer au Collège de France
(9) Professeur au Muséum d'histoire naturelle de Paris, secrétaire de la Société d'anthropologie de Paris, M. Zaborowski mentionne dans son bulletin « De la circoncision des garçons et de l'excision des filles comme pratiques d'initiation », le caractère obligatoire de la circoncision chez les égyptiens « …au moins pour ceux qui voulaient s’élever au-dessus de la foule servile… on ne pouvait être admis à aucune charge ni recevoir aucun enseignement sans en porter le sceau… ». Et raconte que « … Pythagore dans la force de l’âge dû la subir comme épreuve préalable d’initiation aux mystères d’Isis… ».
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