Les outils du ministère de la vérité
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Le Conseil d’État plancherait actuellement sur la possibilité d’interdire d’accès à un réseau social une personne qui aurait été reconnue coupable de cyberharcèlement, de négationnisme, d’attaques sur le sexe, l’orientation sexuelle, le genre, la race, la religion, le handicap, et sans doute plus si affinités. Les plateformes qui ne respecteraient pas ce bannissement s’exposeraient à une amende de 75 000 €, soit une somme conséquente1.
Il n’est pas neuf que notre droit muselle la parole des personnes. La dégradation nationale, peine encourue par les coupables d’indignité nationale2, stipulait entre autres une interdiction d’exercer des fonctions de journaliste, d’enseignant, de dirigeant d’entreprise y compris dans la presse ou à la radio. Ce crime et cette peine sont devenus obsolètes, hélas peut-être ! Tant de noms de hiérarques arrogants qui ont récemment « porté atteinte à l'unité de la Nation ou à la liberté des Français, ou à l'égalité entre ceux-ci » viennent à l’esprit des personnes attentives à notre vie publique. Peut-être suffirait-il de retoucher à la marge cette ordonnance du 26 décembre 1944 ?
Bien sûr, toute la bien-pensance officielle niera le caractère liberticide de ce projet de loi : il faudra une condamnation judiciaire pour qu’une telle peine s’applique. Qu’il soit ici permis à un justiciable lambda d’affirmer qu’il n’a (presque) aucune confiance en la justice de son pays, en son incapacité chronique (là, ce n’est pas de sa faute), veule à souhait, souvent clémente avec les forts et impitoyable avec les faibles, et d’une impartialité douteuse, cf. cette affaire de l’ex-juge ayant tenté de vendre sur internet la virginité de sa fille de douze ans ... En ces temps où le pouvoir, ses relais et ses succursales appointées peinent à censurer les discours dissidents, il s’instaurerait bien vite un court-circuit permanent pour faire taire rapidement ceux qui ne sont pas soumis à la doxa, et faire de cette peine une simple étape d’ordre administratif.
Compter pour faire barrage à cette loi sur un hypothétique courage des sénateurs et de ceux qui se présentent à l’assemblée comme une opposition relève bien sur de la naïveté la plus folle, tout comme imaginer qu’un Conseil Constitutionnel pourrait rendre autre chose que des services. L’ambition d’être un castor, c’est juste une fois tous les 5 ans.
Faut-il voir dans ce projet une nouvelle reculade de la sphère régalienne ? Elle se contenterait ici d’imposer à des prisons privées de séquestrer la parole des dissidents condamnés. Mais est-ce le rôle d’une entreprise privée dont l’objet social et le modèle d’affaire est de véhiculer la parole de tout un chacun que de la brider dans certains cas ? Hélas, les « Twitter files » dévoilées suite au rachat de l’oiseau bleu par Elon Musk montrent que des entreprises proéminentes peuvent sombrer dans l’idéologie et être pervertie par une puissance régalienne. Oui, les entreprises peuvent être schizophrènes.
Bref, le ministère de la vérité tisse sa toile, patiemment.
1https://www.bfmtv.com/tech/contre-la-haine-en-ligne-le-gouvernement-envisage-une-interdiction-de-reseaux-sociaux_AV-202304260188.html
2https://fr.wikipedia.org/wiki/Indignité ;_nationale# : :text=Constitue%20le%20crime%20d%27indignité ;,ceux-ci%20» ;%20(ordonnance%20du
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