Les paris risqués du pouvoir
On a longuement discuté sur Agoravox des tueries de Toulouse, et de la traque de leur auteur, M. Mohamed Mehra, et de sa fin tragique lors de la tentative d’interpellation. De nombreux citoyens, relayés par de non moins nombreux journalistes se sont demandés si « on » n’aurait pas pu arrêter le suspect vivant afin qu’il fût jugé. A l’inverse, on peut également se demander si M. Mehra ne servirait pas davantage les intérêts du pouvoir mort plutôt que vivant.

Lorsque des citoyens se demandent si M. M. Mehra aurait pu être arrêté sans être abattu par les forces de police, on peut penser que cette question, certes légitime, est posée par des naïfs qui ne connaissent que peu ou pas les procédures d’intervention à déployer dans ce genre de situation. Il n’en va pas de même lorsque cette même question est posée par un spécialiste de la question, Christian Prouteau, fondateur du GIGN, qui questionne la nature de l’intervention policière et sa durée. Effectivement, on peut penser que les forces de l’ordre auraient pu déloger Mohamed Mehra, notamment en inondant l’appartement de gaz lacrymogène alors que « au lieu de ça, ils ont balancé des grenades à tour de bras. Résultat : ça a mis le forcené dans un état psychologique qui l’a incité à continuer sa guerre ». Ajoutons que même sans intervention musclée, l’eau et l’électricité coupées n’auraient pas permis au suspect de « tenir » plus de 2 ou 3 jours dans son logement. Ces interrogations sur l’intervention elle-même se doublent d’une interrogation sur la possibilité d’arrêter l’homme hors de son domicile. Christian Prouteau le dit aussi lorsqu’il déclare « comment se fait-il que la meilleure unité de police ne réussisse pas à arrêter un homme tout seul ? ».
Est également très discuté le suivi dont faisait l’objet M. M. Mehra par les services spéciaux, et les raisons pour lesquelles il aurait échappé à une surveillance attentive. Il se pourrait aussi que M. Mehra ait eu davantage de « contacts » avec la DCRI (direction centrale du renseignement intérieur)que ses responsables veulent bien le dire. Dans un entretien à « La Dépêche », en date du 27 mars, M. Yves Bonnet, ex-patron de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) déclare « Ce qui, personnellement, me paraît poser question, c'est que le garçon avait manifestement des relations avec la DCRI comme on l'a appris à travers les déclarations de Bernard Squarcini lui-même. C'est-à-dire qu'il avait un correspondant au Renseignement intérieur. Alors appelez ça « correspondant », appelez ça « officier traitant »… je ne sais pas jusqu'où allaient ces relations, voire cette « collaboration » avec le service, mais on peut effectivement s'interroger sur ce point ». A la qurestion de la Dépêche « Pour mettre un mot sur les choses, était-il un indicateur de la DCRI ? », il répond « Eh bien voilà… c'est exactement ça le problème. Car ce qui interpelle, quand même, c'est qu'il était connu de la DCRI non pas spécialement parce qu'il était islamiste, mais parce qu'il avait un correspondant au Renseignement intérieur. Or avoir un correspondant ce n'est pas tout à fait innocent. Ce n'est pas anodin ». Les lecteurs qui veulent en savoir plus peuvent se reporter à plusieurs intéressants articles de Morice ou d’Imhotep dans Agoravox sur le sujet.
La question des relations de M. Mehra avec la DCRI, et celles relatives à sa tentative d’interpellation sont importantes. C’est sans doute une des raisons, en sus de motivations politiques à l’approche des présidentielles, qui ont conduit le Sénat à convoquer MM. Erard Corbin de Mangoux, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE), et Bernard Squarcini, le directeur central du renseignement intérieur (DCRI).Or vendredi les ministres de la Défense et de l'Intérieur, MM. Gérard Longuet et Claude Guéant, ont tout simplement décidé de ne pas donner de suite favorable à cette demande.
Ce contexte rend donc légitime le fait de se demander s’il ne fallait pas que M. Mehra disparaisse. Plusieurs éléments soutiennent cette thèse. Le premier réside dans le fait qu’en dépit des annonces gouvernementales autour du « on le veut vivant », ou « nous n’utilisons que des rames non létales » (voir les déclarations multiples de M. Amaury de Hauteclocque « Nous avions alors engagé uniquement des armes non-létales. J'avais donné l'ordre de ne riposter qu'avec des grenades susceptibles de le choquer »), M. Mehra a été abattu par des rames parfaitement létales. Ainsi, ce sont plus de trois cents étuis de munitions que la police a compté sur les lieux, dont la plupart tirées par les forces de l’ordre… Le second est que tant que nous n’en saurons pas plus sur les liens que M. Mehra semblait entretenir avec la DCRI (Cf. M. Yves Bonnet), un doute subsistera sur sa possible instrumentalisation, par exemple dans une logique déjà décrite par d'autres de « let it happen ».
La question qui se pose ensuite est : pourquoi vouloir - éventuellement - faire disparaître M. Mehra ? Pour répondre à cela, il faut analyser la situation dans le contexte de la campagne électorale, à l’heure où même les instituts de sondage les plus proches du pouvoir donnent M. N. Sarkozy perdant. Une des raisons de cette défaite attendue au second tour est le « mauvais » report des voix en provenance du Modem et du FN. Les prises de positions très droitières de M. N. Sarkozy font qu’il est peu probable que le report de voix en provenance du Modem puisse s’améliorer. En revanche, tout est possible en regard du report en provenance du FN. Ainsi, la stratégie établie par les conseillers présidentiels, depuis plusieurs mois d’ailleurs, est de tout faire pour rendre la candidature du président « lepeno-compatible ». Cette analyse est non seulement celle de plusieurs observateurs français mais aussi celle de la presse étrangère. Pour mémoire, le Wall Street Journal, peu suspect de gauchisme débridé, titrait voilà peu sur « Nicolas Le Pen »… Dans ce qui ressemble for à une dérive du candidat-président extrême droitière, quoi de plus vendeur qu’un terroriste musulman abattu - en légitime défense - par les forces de l’ordre ?
Et au-delà, si l‘on veut se lancer dans de la politique fiction, cet évènement ne serait-il pas à même de déclencher quelques émeutes dans ce qu’il est convenu d’appeler « les banlieues » ? Ces émeutes seraient alors du pain béni pour le pouvoir en place qui trouverait là l’opportunité de réaliser quelques belles démonstrations de force vis-à-vis d’une population rapidement associée à l’insécurité et à l’immigration. Ces démonstrations seraient à même de ramener quelques dizaines de milliers de voies supplémentaires au candidat de la droite-extrême, en provenance de l'extrême-droite. Si un tel calcul avait été fait, ce qui n’est pas impossible mais que je n’espère pas, il s’agirait d’un pari risqué d’un pouvoir et d’un candidat aux abois. Une éventuelle victoire de l’opposition pourrait en effet être synonyme de terme définitif à la carrière politique de M. N. Sarkozy, aujourd’hui fortement entachée de suspicions en matière de financement électoraux. Et pour se prémunir de certains désagréments, quoi de mieux qu’une nouvelle immunité présidentielle…
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