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Les petits disciples de Socrate

Pourquoi attendre qu’ils soient en classe de terminale pour leur apprendre à réfléchir ? Les livres qui prétendent initier les enfants à la philosophie se multiplient. 

Ils sont loin d’avoir lu Kant et Platon, ils ne les connaissent même pas. Ils n’ont pas davantage à potasser les annales dans la perspective du bac philo, ils viennent à peine d’entrer au collège quand ils ne sont pas tout simplement en primaire. Plusieurs petites mains se lèvent pourtant à l’issue de la conférence que vient de donner le philosophe Alain Badiou sur le thème du « fini et de l’infini », ce samedi après-midi au Nouveau Théâtre de Montreuil, près de Paris. Des questions parmi d’autres : « Si Dieu a créé l’homme et qu’il est infini, alors qui a créé Dieu ? » ou « Quand on pense à un homme célèbre longtemps après qu’il soit mort, est-ce qu’il est infini ? ». Le philosophe répondra à toutes les questions avec une patience (infinie) après avoir expliqué les notions d’infini virtuel et actuel, cité Cantor, Hugo et Pascal ou encore évoqué la peur face à ce mot qui nous rappelle notre condition mortelle.

Plusieurs fois par an, les enfants sont ainsi invités aux petites conférences proposées par Gilberte Tsaï, la directrice du théâtre. Au programme : des idées et encore des idées. Sur la scène transformée en estrade : des philosophes aguerris qu’un réel effort de pédagogie n’effraye pas. « Au ciel et sur la terre », « La beauté », « Le juste et l’injuste » par Jean-Luc Nancy, « Si loin et tout près » par Étienne Balibar, « Le fini et l’infini » par Alain Badiou. Chaque fois, les parents sont, eux aussi, très attentifs. Ils sont ici les bienvenus alors que dans les « goûters philo » organisés dans les bibliothèques de la Ville de Paris, on leur interdit d’assister au débat : ils pourraient parasiter la discussion.

Même combat dans les librairies. On ne compte plus les collections de livres de philosophie pour les enfants. Les titres de ces ouvrages plongent le parent qui en était resté à Harry Potter dans un abîme de perplexité. De bonnes raisons d’être méchant ? , Pourquoi la mort chez Gallimard Jeunesse, Le Corps et l’Esprit Le Travail et l’Argent chez Milan ou Le Sens de la vie expliqué aux tout-petits chez Nathan. À première vue, ce rayon a tout pour séduire les adultes, attendris de voir leur progéniture endosser l’habit du petit disciple de Socrate alors que guette alentour le spectre effrayant du jeu vidéo et de l’uniforme du geek. Le succès de ces collections n’est plus à prouver. Reste à savoir si ces livres relèvent du pur opportunisme ou d’une réelle nécessité.

« À quoi sert de philosopher avec les enfants ? » : voilà justement la question débattue ce week-end au festival Philosophia de Saint-Émilion (1), qui invite de nombreux philosophes à venir rencontrer un public d’adultes et d’enfants. Brigitte Labbé est un auteur convaincu qui a embarqué deux professeurs agrégés, Pierre-François Dupont-Beurier et Michel Puech, dans son entreprise des « Goûters philo » (trente-cinq titres parus). « Les enfants sont dans un âge incroyablement philosophique. Ils posent des questions à tout bout de champ. Nos ouvrages sont conçus comme des boîtes à outils. Ils les aident à se forger un esprit critique et à prendre goût au plaisir du questionnement. Nous partons toujours des pensées des philosophes sans toutefois faire référence à eux, car je pense que cela n’intéresse pas un enfant de neuf ans. »

Des limites à l’entreprise 

En l’espace de dix ans, l’auteur a ainsi constitué une véritable collection qui couvre la quasi-totalité des termes abordés par les grands penseurs. Ses livres sont aujourd’hui traduits dans dix-huit langues. Nouveau venu sur ce créneau en vogue, Jean-Paul Mongin a quant à lui décidé l’inverse. Il raconte l’histoire des philosophes dans sa collection « Les petits Platons », soit un volume consacré à Socrate, Descartes, Kant mais aussi Leibniz, saint Augustin ou Lao Tseu à glisser dans le sac. Un pari risqué mais passionnément défendu par ce jeune éditeur. « La plupart des livres qui existent visent à initier l’enfant à la pratique du questionnement en partant des questions que se pose l’enfant. Avec “Les petits Platons”, nous lui proposons une histoire qui lui permettra d’embrasser la vision du monde d’un grand philosophe. Car la fiction est le lieu même où la philosophie s’atteste. » L’éditeur, qui n’hésite pas non plus à faire appel à des spécialistes comme Olivier Abel pour un futur Ricœur, à paraître, reconnaît qu’il y a des limites à l’entreprise, notamment lorsque le philosophe ne déploie pas d’histoire pour étayer son raisonnement. Il s’en est rendu compte en accouchant de La Folle Journée du professeur Kant, ouvrage destiné à éclairer la notion de morale kantienne pour des jeunes lecteurs… Il continue toutefois à marteler son credo : « Il faut être confronté à des pensées fortes et cohérentes pour philosopher soi-même. »

Le philosophe Raphaël Enthoven (2) défend lui aussi ce point de vue. « Il est important de restituer la lettre du texte en le rendant pertinent et accessible aux plus jeunes. De ce point de vue, il y a une vraie valeur ajoutée. Les enfants sont particulièrement sensibles aux histoires. On peut donc leur raconter la vie des philosophes, que l’on tend souvent à réduire à des esprits désincarnés, faute de les lire. » S’il défend aussi la nécessité du questionnement, jugeant toutefois les questions « plus essentielles que les réponses », le philosophe relève pourtant un malentendu. « On fait de la philosophie pour les enfants, on s’émerveille de leur candeur et de leur absence de préjugés avec raison, mais on oublie les adolescents. Or la philosophie leur apporterait beaucoup, à eux qui, à l’inverse, sont bardés de préjugés, qui considèrent que toute loi est une contrainte, qui passent leur temps à s’opposer. On ne commence à aborder la philo qu’en classe de terminale, et encore, elle ne parle qu’à leur tête, pas à leur cœur. » Passé une douzaine d’années et l’âge adorable des questions métaphysiques, le champ est en effet en friche. Affronter la cible difficile des adolescents demandera toutefois d’être un brin… philosophe.

(1) Festival Philosophia, les 29 et 30 mai à Saint-Émilion, conférences et ateliers sur le thème de l’imagination. (2) Le philosophe vient de diriger l’ouvrage « La Dissertation de philo » destiné aux bacheliers (Fayard).


 

Tu me lis Kant ?

Une sélection de livres pour réfléchir.

Pour les exigeants. Socrate sème la pagaille dans les rues d’Athènes, saint Augustin se confesse, Descartes n’en finit plus de douter : cette collection intitulée « Les Petits Platons » est pétillante par la forme mais diablement exigeante sur le fond. Très bien illustrés, ces ouvrages séduisants nécessitent l’appui des parents pour les plus jeunes, à partir de dix ans. Rendez vous sur le site internet www.lespetitsplatons.com !

Existent déjà : La Folle Journée du professeur Kant, Le Malin Génie de Monsieur Descartes, Lao-Tseu, ou la Voie du dragon, La Mort du divin Socrate, Le Meilleur des mondes possibles d’après Leibniz et Les Confessions de saint Augustin. ­Éditions Les Petits Platons, 64 p., 12,50 €.

Quelques pensées. « Penser c’est dire non », « L’homme est un loup pour l’homme » : inutile d’attendre la terminale pour mémoriser quelques préceptes utiles. Ce petit livre explicite les citations philosophiques à l’aide d’historiettes mettant en scène deux enfants. À partir de neuf ans.

« Les grands philosophes parlent aux petits philosophes » de Sophie Boizard, illustrations de Laurent Audouin. Milan jeunesse, 72 p., 14 €.

Grandes questions. Depuis dix ans, la collection des « goûters philo » décortique les grands questionnements enfantins en se mettant délibérément à la portée des plus jeunes. Une formule éprouvée par l’auteur Brigitte Labbé qui travaille avec les philosophes Michel Puech et Pierre-François Dupont-Beurier. À partir de neuf ans.

Dernier ouvrage paru : « Croire et savoir », de Brigitte Labbé et Pierre-François Dupont-Beurier. Milan jeunesse, 42 p., 7,50 €

Pour les plus grands. Malgré son titre léger, « Chouette penser ! », la collection de Gallimard Jeunesse est exigeante. Les thèmes ne sont pas étayés par des histoires mais par des références aux écrivains et aux philosophes, aux mythes et à la littérature. Le souci pédagogique se manifeste par de petites bulles placées en marge du texte pour expliquer le sens de certains mots et noms propres. Les plus jeunes risquent toutefois de décrocher assez vite face à un texte fourni et long. Pas avant treize ans, de toute évidence.

Derniers ouvrages parus : « De bonnes raisons d’être méchant ? » par Denis Kambouchner, illustré par Guillaume Dégé et « Je ne veux pas vieillir » par Claire Crignon-De Oliveira, illustré par Juliette Binet. Gallimard Jeunesse, 80 p., 10,50 €.

Pour les parents. Osez parler philo avec vos enfants  : c’est un spécialiste qui l’affirme. Roger-Pol Droit a conçu à l’intention des parents ce petit livre qui les invite à susciter un dialogue permanent avec leurs enfants. Au cœur de la démarche se situe, selon lui, le plaisir de réfléchir, bien plus important que celui de donner des réponses à tout prix.

« Osez parler philo avec vos enfants » de Roger-Pol Droit, Bayard, 170p., 14,90 €.

Et aussi. Les petites conférences Lumières pour enfant, le texte de ces conférences dispensées régulièrement par des philosophes ou d’autres intervenants, spécialistes dans leur domaine, au Théâtre de Montreuil, sont systématiquement éditées par Bayard (12 €).


POUR ACHETER LES LIVRES :


 » La dissertation de philo, de Raphaël Enthoven, Fayard, 9,98€ sur Fnac.com
 » Collection « Les Petits Platons, Éditions Les Petits Platons, 11,88€ le tome sur Fnac.com
 » Les grands philosophes parlent aux petits philosophes, de Sophie Boizart et Laurent Audouin, Milan Eds, 13,30€ sur Fnac.com
 » Croire et savoir, de Brigitte Labbé et Pierre-François Dupont-Beurier. Milan Eds, 7,13€ sur Fnac.com
 » Collection « Chouette penser ! », Gallimard Jeunesse, 9,50€ le tome sur Fnac.com
 » Osez parler philo avec vos enfants, de Roger-Pol Droit, Bayard, 14,16€ sur Fnac.com

 

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4 réactions à cet article    


  • zelectron zelectron 28 mai 2010 10:24

    Voilà un peu d’excursion, en dehors de la pensée formatée qui nous est distillée constamment au quotidien à travers les médias. Aborder tous ces points de vues évite d’ignorer le confinement qui même ici sur Avx peut être lassant (épithète édulcorée)


    • MKT 28 mai 2010 15:51

      Oui, il n’y a pas d’âge pour philosopher. Et c’est Epicure qui le disait il y a maintenant 2500ans.

      L’expérience que j’ai vécu avec mes propres enfants me laisse penser que loin de nous vieillir, les enfants nous font rajeunir.
      Ils ont cette capacité à mettre en cause, à s’indigner qui nous fait souvent défaut.

      Merci à l’auteur de nous faire découvrir ces pistes.


      • Sylvain Reboul Sylvain Reboul 28 mai 2010 18:10

        Contre mon point de vue favorable à l’introduction d’une enseignement adapté aux enfants plus jeunes, lequel, du reste à fait l’objet d’expériences prometteuses, deux raisons ont été mises en avant par la majorité de mes collègues de philo enseignants de philo :


        1) Cet enseignement doit couronner l’accès au savoir acquis dans le secondaire, car on ne peut discuter d’une manière critique que sur un fond suffisant de connaissances scientifiques et des expériences de la vie qui s’acquièrent dans la littérature .

        2) Faire de la philosophie en dehors de la terminale n’est pas favorable à la promotion et à la prise au sérieux de cette discipline. Ce serait la déchoir aux yeux des élèves.

        Bien sûr cela ne les gène pas de faire d’une discipline qui exige une ouverture d’esprit, et une mise en question aussi fondamentales une discipline qui n’est enseignée que l’année du BAC et en vue de celui-ci, dont, le moins que l’on puisse dire, est qu’il interdit pour le plus grand nombre la prise de risque intellectuel, voire personnel, qu’exige une telle ouverture. 

        Cela ne les gène pas plus que le fait que cette ouverture à la réflexion critique soit nécessaire à la compréhension rationnelle, donc à l’appropriation intellectuelle, de ce qu’ils apprennent tout au long de leur scolarité.

        • L'enfoiré L’enfoiré 28 mai 2010 19:12

          Je conseille de prendre un autre bouquin :
          Jostein Gaarder, « Le monde de Sophie »

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sylvain


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