Les plus de cinquante ans ne sont pas des moutons
Depuis des années, le sociologue Eric Donfu travaille, sur
la base d’entretiens, à donner le vrai visage du vieillissement en France. Pour
lui, accepter son âge, c’est ouvrir des fenêtres. Ce discours ne nie pas
l’apport de l’allongement de la vie en bonne santé ou les métamorphoses de
l’âge, mais se heurte à une attitude consumériste qui vise à entretenir une
confusion dans la tête des plus de cinquante ans en niant leur âge réel. A ce
titre, Eric Donfu réagit, dans ce texte, au dossier « A 50 ans tout est
possible » publié par le Nouvel Observateur dans son numéro 2331 du 9 juillet 2009
Depuis une vingtaine d’année, les séniors ont une odeur : Celle de la consommation, et de la consommation de produits culturels en particulier. Nul doute qu’ils forment d’ailleurs l’essentiel du lectorat – important – de cet hebdomadaire. Il est vrai que, en 2009, les seniors ont accompli ce que leurs parents avaient commencé, c’est à dire un droit à l’existence, et même plus que cela, la recherche d’un équilibre de leur personnalité, à un âge qui laisse encore de belles années à vivre en bonne santé. Mais il est naïf de les prendre pour une catégorie que l’on pourrait tondre comme des moutons...
Car ils ont aussi un sens critique développé, votent plus que la moyenne nationale, savent être plus jeunes que leurs propres enfants, ces quadragénères pris dans cette société du déclassement contre laquelle ils veulent armer leurs enfants. De génération en génération, l’espérance moyenne de vie en bonne santé s’allonge. Les grands parents des années 80 sont aujourd’hui centenaires. Les « babyboomeurs » ont aussi bénéficié des « trentes glorieuses », de conditions de vies prospère qui restent des atouts pour eux. Pour les femmes, cette nouvelle vie après la ménopause est aussi celle d’une nouvelle indépendance financière, après avoir travaillé. Elles n’hésitent pas non plus à devenir les pivots de la famille, aidant à la fois leurs parents et leurs enfants, et même les pivots de la société, en étant de plus en plus présentes sur tous les fronts économiques et sociaux.
Alors, oui, il était légitime de leur consacrer un dossier dans le magazine qu’ils ont accompagné depuis tant d’années. Oui, mais pas celui là ! Car affirmer que « les quinquas bouleversent nos représentations et nos habitudes de vie » exige une certaine lucidité. Et ce n’est pas en écrivant que « les quinquas ont de l’avenir » que l’on aidera une population de plus en plus nombreuse à se sentir mieux avec elle-même, dans un monde d’individus et de solitudes, dans une société en mutation qui ne les reconnaît pas, et face à de vraies incertitude sur leur avenir. Pas un jour sans qu’il pensent au grand âge, dont ils devinent le poids, mais aussi le potentiel, chez leurs propres parents.
Bien sûr, parler ainsi de cette maturation progressive de la société, de cette intégration de l’intergénération des les familles, du vieillissement dans la ville et l’habitat, des ressources que l’on trouve en soi en acceptant son âge et adaptant son mode de vie en conséquence, tout cela, ce n’aurait pas été du « Tout est possible ».
Le magazine a préféré s’appuyer sur les propos de spécialistes cherchant le sens du poil, pour dire et claironner que s’il s’agit de « rester jeune » autant que faire se peut, cette génération « n’éprouvait guère de difficultés » pour s’y conformer… Pour éviter d’autres poncifs, il faut lire l’entretien sincère de Carole Bouquet intitulé justement « un certain détachement ». Face à la question « Comment réagissez-vous aux propos des quinquagénaires rayonnantes qui disent que c’est le plus bel âge ? » elle répond « Je les trouve attendrissantes, mais je ne les crois pas. Elles ont peur de vieillir et elles s’accrochent à l’idée d’être toujours jeunes, belles et pleines d’avenir. Mais c’est une posture. Ou une illusion. 50 ans, ce n’est pas le plus bel âge de la vie. Pour la femme, c’est un âge de fragilité.(…) C’est dur (…) A 50 ans, il y a des choses auxquelles il vaut mieux renoncer (…) Le boom de la chirurgie esthétique pour empêcher l’inexorable, c’est effrayant. Pourquoi mener un combat que l’on sait perdu d’avance ? La seule chose dont j’ai envie de prendre soin, c’est de mon cerveau, en continuant d’entretenir sa curiosité ». C’est page 19, et ce sont les seules paroles de lucidité de ce dossier publié dans le Nouvel Observateur du 9 juillet.
Peut-être qu’un jour, suivant le sous-titre de sa couverture « les lecteurs du Nouvel Observateur ne sont pas des moutons », cet hebdomadaire retrouvera sa force d’anticipation. Alors, il sera temps de célébrer les quinquagénaires , mais aussi les sexagénaires et même les centenaires qui ont découvert la valeur de leur âge de référence, souvent autour de cinquante ans justement, qui les accompagne jusqu’à la fin. Il faudra décripter les secrets de ce « bien vieillir » qui faisaient dire à Jean Paulhan que l’on apprécie chaque matin, chaque soir et chaque quart d’heure. Il faudra mettre en lumière ces fruits des vieux arbres, parfois si lumineux pour les jeunes générations, découvrir la sensualité des corps âgés, qui n’a rien à envier au tantra hindou, et s’évader ainsi dans ce « détachement » dont parle si bien Carole Bouquet. Il n’y a rien de plus injuste que le fait de nier le problème de l’autre. Or, bien gérer sa « maturescence » comme on doit surmonter son « adolescence » ce n’est rien d’autre que reconnaître qu’il existe une difficulté de vieillir, comme il existe une difficulté de grandir. Et parler de ces question, c’est déjà les rendre plus facile à résoudre pour ces millions de femmes et d’hommes qui se posent des questions.
Sinon, il y a bien la méthode Coué. Elle peut peut-être offrir au Nouvel Obs un créneau d’avenir : Devenir le « Notre temps » des bobos. Mais ce serait dommage. Car titrer « Travail, santé, Sexualité, cerveau, beauté : A 50 ans, tout est possible », c’est bien confondre la laine des moutons avec leurs cheveux blancs…
Eric DONFU
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