Les remords tardifs du Lt Calley, 41 ans après My Lai
Il aura fallu attendre quarante et un ans. Quarante et une années pour qu’un homme, enfin, regrette les horreurs qu’il a pu commettre. Cette homme, c’est le lieutenant Calley, et ce 19 août 2009 (on ne l’a appris que le 24), il a enfin eu un sursaut de dignité, comme quoi on peut toujours espérer en l’être humain, quoi qu’il ait pu faire... l’auteur du massacre de My Lai vient en effet, pour la première fois depuis 1968, d’éprouver des remords pour les horreurs dont il s’était rendu coupable (et pour lesquelles il n’avait pas trop cher payé) : jusqu’ici il s’y était toujours refusé. Retour sur ce que fût le massacre de My Lai, et ce qu’il a caché en réalité. Et de sa continuelle et attristante actualité.
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My Lai est en effet historiquement important à bien des égards. Sur la conduite des troupes américaines au Viet-Nam, certes, on s’en doute, mais aussi sur le gouvernement américain et sa façon de masquer la réalité d’une guerre à ses concitoyens : le massacre des villageois a eu lieu le 16 mars 1968, mais il n’a été connu du grand public que le 12 novembre 1969, où il a fait la une des journaux. C’était le compte rendu explosif de la longue enquête d’un jeune journaliste de grand talent nommé Seymour Hersh, qui ce jour là venait de gagner le prix Pulitzer sans le savoir. Son article, qui débutait fort justement à Fort Benning, mérite encore d’être montré comme cas d’école. Le monde en était resté estomaqué, avec un article et en une seule photo, celle des villageois, hommes, femmes, vieillards, enfants enchevêtrés, tous morts le long d’un chemin. A l’époque, l’image avait bouleversé le monde, qui en était resté bouche bée, en se demandant pourquoi ? Pourquoi une telle barbarie ? Pourquoi un tel crime ? Pourquoi tuer ce qui semblait d’emblée et visiblement n’être que des innocents ? Qui avait bien pu décider de le faire, et pourquoi donc ? Qu’était-ce donc vraiment que cette guerre lointaine où le soir dans nos téléviseurs on nous vantait les mérites de la "liberté" face au dangers du "communisme", si c’était pour en arriver là ? Que s’était-il passé exactement ce jour-là ?
Ce jour-là, comme Eichmann l’avait dit à son procès, un militaire avait bêtement obéi à des ordres particulièrement cruels, selon le propre témoignage de Calley. Selon d’autres, il avait laissé parler ses plus bas instincts et rien d’autre : sa hiérarchie lui réclamait la tête de combattants Viet-Congs, pas de jeter des bébés dans des puits. Comme pour Eichmann et tant de massacreurs, devenir responsable de leurs meurtres, les endosser et les assumer, était chose difficile, voire impossible, on le sait. Massacrer, sans se poser de questions. En bon militaire bien conditionné ou en fou furieux échappant à tout contrôle : la fascination des armes, se repaître de la mort, la force des faibles. Aujourd’hui encore, avec ses remords, c’est encore ce que raconte le Lieutenant Calley :(1) "Suivre les ordres", disait-il encore ce soir-là... la belle excuse.... ou la dure réalité des faits ?
Mais revenons-en à ce qui s’est passé exactement : à ce moment-là de la guerre, décontenancés par l’offensive meurtrière du Têt de janvier 1968, et alors que Khe Sanh subissait un siège terrible, les américains voyaient des Viet-Congs partout, et dans chaque village du Sud Viet-Nam. Le jeune lieutenant venu par avion DC-3 "inspecter" celui de My Lai 4 (selon le quadrillage militaire en vigueur), surnommé "Pinkville" par les américains, dans le Golfe du Tonkin, le 16 mars 1968 au matin était donc pour le moins à cran, pour ne pas dire le doigt sur la gâchette. Pinkville qui venait de subir auparavant un bombardement d’artillerie préventif, ne sait pas à quoi s’attendre exactement quand déboule ce jeune militaire qui décide soudainement que tous les habitants sont à la solde des Viet-Congs et ordonne à ses soldats de tous les massacrer. Il n’y a pas en effet un seul responsable, à My Lai, mais DES responsables, dont on n’a toujours pas entendu les regrets, parmi les subordonnés de Calley. Entre 60 et 70 soldats du 1er Groupe, au total, de la Compagnie C (pour "Charlie"), de la 11 ème Brigade d’Infanterie, du premier bataillon d’Infanterie, elle même de la 23 ème Division d’Infanterie dite "Americal", qui ne resteront sur place qu’une vingtaine de minutes au total. Depuis Oradour-sur-Glane, en France, c’est un des pires massacres jamais perpétrés en temps de guerre (je n’ai pas fait le recueil de tous ceux à considérer entretemps, désolé). On comptera 500 cadavres derrière le passage de la compagnie, les américains ergotant longtemps sur un chiffre inférieur aux alentours de 380. Hommes, vieillards, femmes ou enfants, pas un seul ne sera épargné : on retrouvera des corps de bébés noyés, jetés au fond des puits.
Ce jour là, il est vrai, tous n’auront pas l’attitude de Calley, devenu subitement ivre de rage. Un autre jeune militaire, un pilote d’hélicoptère, réagira très vite à ce qu’il découvrit avec horreur ce jour-là. Appelé en soutien aérien, il comprit instantanément que Calley commettait une faute grave, et prit l’initiative de se poser avec son petit Bell Scout à plusieurs reprises, de faire le tour des dégâts, de constater que seuls des civils avaient été touchés et d’en retrouver certains blessés qu’il va emporter et ramener à plusieurs reprises vers les DC-3. Ceux qui avaient amené les agresseurs, et les faire acheminer vers l’hôpital le plus proche. Le jeune Hugh Thompson, révolté par ce qu’il avait vu, avait fait son possible ce jour-là pour combler l’immense lâcheté d’un homme : il fallait aussi un héros, ce jour funeste, et ce sera lui, qui restera longtemps dans l’ombre.
Instantanément, devant l’ampleur du massacre, Thompson avait compris qu’il s’agissait d’un assassinat prémédité. Une sorte de vengeance décidée bien avant : l’ampleur du nombre de victimes au regard du temps imparti à massacrer versait dans ce sens. Une action de représailles incontrôlée. Mais il ne songera pas au départ à en faire part, excepté le rapport qu’il fit alors à son supérieur. Qui l’enterra tout simplement. C’est donc un autre témoin indirect, une jeune appelé, Don Ridenhour, qui intrigué par certains de ses camarades qui faisaient profil bas dès qu’on évoquait "Pinkville", finit par leur faire avouer leur participation à l’événement et envoya un courrier détaillant ce qu’il avait entendu à un sénateur de l’Arizona, Morice King "Mo" Hudall (un démocrate Mormon), au Pentagone et au House Armed Services Committee et enfin.. au président américain lui-même, Richard Nixon. Udall faillira plus tard être le candidat démocrate à 1% près derrière Jimmy Carter, mais c’est une autre histoire. Et c’est bien Udall, semble-t-il, qui fit sonner le tocsin au Sénat.
C’est ainsi, et avec la charge de Seymour Hersh, que le monde découvrit l’ampleur des atrocités, et que l’on connut aussi le responsable : William Laws Calley Jr, alors âgé de 26 ans... qui fut traduit en procès deux ans après.... pour l’honneur, à vrai dire, uniquement sur la pression médiatique, l’armée US ayant tout fait pour lui éviter le pire. Avec lui, l’enquête retiendra son second sur place, le Sergeant David Mitchell, un sergent de 29 ans, originaire de St. Francisville, près de Los Angeles, et 24 autres soldats rendus responsables d’exactions. Tous avaient subi depuis des semaines sur leur campement le bombardement régulier d’obus de 155 mm tirés par les Viet-Congs, qui avaient fini par décimer leur groupe. Ceci pouvant "expliquer" un désir de vengeance jusqu’alors inassouvi.
Mais pas que cela. Selon plusieurs témoignages, le commandant du bataillon, le Capitaine Ernest Medina aurait fait venir la veille du massacre des caméras de TV pour annoncer que "My lai serait rayé de la carte", en représailles des tirs, ce qui abonde dans la théorie de défense de Calley. Medina ne sera jamais poursuivi par la justice américaine, et pour cause. Le lendemain du discours de son supérieur (3), Calley entrait dans les maisons, faisait sortir les gens, brûlait les paillottes au briquet Zippo ou dynamitait les réserves de riz, et massacrait au M-16 les paysans. Des témoignages signalent que de jeunes soldats, dont le Sergent Terry, à qui on avait demandé de mitrailler tout le monde au M-60 avait rabaissé son arme, refusant de tirer. Un autre préférera sur place se tirer une balle dans le pied, d’autres refuseront également de tirer. Tous ne sombrèrent pas dans la folie meutrière. D’autres n’auront pas ce réflexe, hélas : certains fusillés seront achevés à la grenade M-79, d’autres tireront tranquillement un par un sur des enfants de 4 ans se tenant la main.... l’horreur, (4) l’indicible horreur.
Calley fut accusé du massacre de 104 civils le 5 Septembre 1969. Il fut jugé le 31 mars 1971 et rendu responsable ce jour-là de la mort directement de 22 personnes sur 104 au départ. Verdict pour lui : l’enfermement à vie. Sur les 25 autres militaires accusés, pas un seul ne fut condamné. Tous relaxés ! Le capitaine Medina, dans un procès de cour martiale tenu bien loin de l’emballement médiatique de celui de Calley fut relaxé lui aussi de toutes charges le 22 septembre 1971, dans une certaine indifférence... Des témoignages avaient pourtant fait part de sa présence sur les lieux-même, et certains l’avaient vu abattre au pistolet des paysans, avec comme commentaire "celui-là au moins ne nous embêtera plus".
Il avait bénéficié comme par magie pour sa défense des services d’un des ténors du barreau, F. Lee Bailey, celui qui avait défendu "le Fugitif" (le Dr. Samuel Sheppard). Calley seul, donc, devait donc expier. Tout le monde était satisfait... mais on avait oublié une chose. Une caserne bien particulière, dont provenait Calley, et d’où Medina provenait également, et où il finira sa carrière. Les deux venaient de Fort Benning : Calley allait y retourner plus vite que prévu, sur décision... présidentielle.
Le 1er Avril 1971, le lendemain même du jugement, le président Nixon ordonna en effet de réintégrer Calley en cellule militaire, selon un principe constitutionnel de responsable des armées et des exactions commises par ses soldats... à Fort Benning. Calley retrouvait ainsi sa maison de formation d’origine. Entre temps, le 22 avril, un "jeune vétéran" décoré pour bravoure de la Silver Star venait témoigner des horreurs de la guerre devant la Commission des Affaires étrangères dans un discours représentant une charge et un réquisitoire d’un rare intensité contre la conduite de la guerre au Viet-Nam, c’était... John Kerry, qui sera un jour candidat à l’élection présidentielle, battu par un tripatouillage nocturne d’ordinateurs de vote par W.Bush. Un mouvement fort a été lancé. Démarré avec Woodstock, ou presque, il ne s’arrêtera plus. Le 20 août suivant encore, le commandant de la base de Benning, seule autorité judiciaire compétente désormais pour le cas de Calley, commuait sa peine à 20 de prison. Le 3 mai 1974, dans un geste de clémence que l’on sentait venir depuis le début, Nixon accordait scandaleusement sa grâce présidentielle au massacreur de My Lai, qui sera donc resté 3 années 1/2 seulement à l’ombre. A Fort Benning, l’endroit où les tortureurs de l’armée américaine étaient et sont toujours formés, ce soir là, Ernest Medina sabra le champagne, dit-on. Les massacreurs avaient gagné. Medina quitta l’armée pour aller travailler dans l’entreprise d’hélicoptères Enstrom Helicopter Corporation, mise sur pied par son... richissime avocat. La firme existe toujours et fabrique ses propres modèles dont le F-28A ... vendus à la Police... ou à l’armée.... comme l’indique son PDG actuel. En 1988, Enstrom avait déjà fourni 15 modèles 280 FX à l’armée chilienne. Depuis, la société en a vendu au Pérou, en Bolivie et au Venezuela d’avant Chavez : 45 480 exemplaires divers ont été construits. rustiques, mais costauds. Même le maire de New-York peut en témoigner. La firme vend partout, jusqu’en Bulgarie.. En Bulgarie c’est le groupe Samros qui représente la firme avec un siège US situé à Waynesboro. Sa description est éloquente : "We are trading with military and defense products, including arms and dual use equipment. SAMROS GROUP LTD. - Trading with military products - EC Plaza" La firme vend des Enstrom d’un côté et des Mil-MI8 ou 17 de l’autre...., des armes et des munitions. Dans son site, elle vend aux "para-militaires". Décidément, de Fort Benning, on passe souvent aux mêmes.... le mercenariat n’est effectivement jamais loin des massacreurs.
My Lai est resté depuis longtemps au fond des oubliettes de l’histoire. Un magazine facétieux s’en souviendra, pourtant, de My Lai qui avait osé à l’époque un numéro spécial sur le sujet , ridiculisant la hiérarchie militaire américaine, la grande responsable non condamnée. La couverture titrait alors "What My Lai ?". En 2006 le même magazine ressortait un très opportuniste "What My Lie", à propos d’Haditha, survenu le 19 novembre 2005....en Irak, où l’on avait assisté aux mêmes mensonges répétés de l’armée américaine. Toute une famille avait été abattue de sang-froid par un sergent excité, Frank Wuterich et ses hommes. Vingt-quatre morts au total dont un vieillard en chaise roulante, des femmes, et des enfants. En représailles, elles aussi. Un film hollywoodien en parle de manière assez éloquente qui montre ce qu’est la vengeance aveugle et ne la glorifie pas, lui, tout au contraire...d’autres cinéastes irresponsables. Ce sont les mêmes soldats de la compagnie Kilo qui avaient repris en main Fallouja : "Lors de la célèbre bataille de Fallouja, en 2004, les héros de Kilo étaient les premiers à être entrés dans la ville. Beaucoup d’observateurs, à l’époque, avaient fait la grimace devant cette opération musclée qui avait pratiquement détruit la ville. Pas les hommes de Kilo. C’est à cela qu’on les a dressés. Ils sont les marines, ils sont l’élite, des machines à tuer, capables de lutter au corps à corps pour prendre un pâté de maison, mètre par mètre" nous dit Philippe Boulet-Gercourt. Le résultat, on l’avait vu. Indicible horreur, une nouvelle fois (5). A une exception près : des images d’Haditha, il y en aura quasiment pas. L’armée américaine n’a retenu en réalité que cela comme leçon de My Lai : pas de clichés, pas d’accusation. Chercher encore aujourd’hui les photos de de qui s’est passé à Fallouja relève de l’exploit. Mais il est vrai aussi que lorsqu’on en trouve... il faudrait ne pas les avoir vues, peut-être. Le phosphore blanc, le napalm et les gaz innervants associés donnent rarement des recettes de photos pour magazines people. Encore un peu et d’aucuns bien éloignés des horreurs véritables des guerres nous parleraient ici de la "belle esthétique de la chute des bombes au napalm", je parie, remarquez. Ils oseraient, pour sûr.
Des marines ont bien été arrêtés, après Haditha, mais au final, et de manière scandaleuse, aucune charge n’a été retenue contre eux. Rien. Il ne s’était rien passé à Haditha, comme au début pour My Lai. En mars 2008, on apprenait que le Pentagone avait organisé un cabinet noir de 65 défenseurs pour assister en défense les Marines de la Kilo Company impliqués dans le massacre. F. Lee Bailey s’était démultiplié pour la circonstance à 65 exemplaires ! Résultat : les Marines assassins n’eurent même pas de procès, cette fois. Le comportement de l’armée américaine a sacrément tendance à balbutier, semble-t-il dans l’histoire, voire à empirer. Notre homme du jour, lui, après sa libération, ne revint jamais plus sur son histoire, sauf ce soir du 19 août dernier au Kiwanis Club du Greater Columbus, oui il avoua -enfin- avoir des remords. Pour Haditha et Fallouja, on devra encore attendre combien d’années ?
A Fort Benning, en 2009, ou à Camp Pendleton, on apprend toujours à massacrer, les "machines à tuer" s’y exercent toujours. Devant des écrans vidéos, parfois, c’est le progrès. En attendant le prochain My Lai à se mettre sous la dent. "God bless fort Benning"....
(1) "There is not a day that goes by that I do not feel remorse for what happened that day in My Lai. I feel remorse for the Vietnamese who were killed, for their families, for the American soldiers involved and their families. I am very sorry....If you are asking why I did not stand up to them when I was given the orders, I will have to say that I was a 2nd Lieutenant getting orders from my commander and I followed them—foolishly, I guess."
Documents joints à cet article
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