Les Russes pensent ceci, les Russes pensent cela…
Que de choses ont été dites à propos de ce que sont censés penser les Russes depuis deux ans ! Ils seraient soit tous manipulés et haineux, contre les « démocraties », soit indignés contre leur président coupable de terribles crimes, mais terrorisés par la répression. Bref, aux yeux du public ordinaire trop habitué à croire que l’expression soi-disant libre n’existe qu’à l’Ouest, il est impossible de croire qu’en Russie les gens puissent discuter, être en désaccord ou pas, penser par eux-mêmes, et adhérer partiellement ou pas à la politique de leur gouvernement. Or, après deux ans de vie en Russie, y travaillant et y ayant de nombreuses occasions de discuter, je pense être tout de même bien placé pour constater qu’absolument tout ce qui est raconté dans les médias français, jusqu’au moindre petit détail, est devenu plus que jamais un grand n’importe quoi.
La nuance, oui, ça existe !
Dans chaque pays il est rare de trouver des gens qui adhèrent en totalité à la politique du gouvernement. Ça ne veut pas forcément dire qu’ils ne le soutiennent pas dans la plupart de ses actions et qu’ils ne rééliront pas le président sortant. Imaginez qu’en France un président ait redressé son pays en quinze ans : beaucoup continueront de voter pour lui, même si par exemple, au sortir d’une période de marasme total, l’amélioration des prestations sociales n’a pas été à la hauteur des attentes. Les gens peuvent être aussi conscients du fait que le président n’est pas tout-puissant, et que les promesses, comme partout, ne garantissent pas le succès. En France nous savons même que les promesses sont devenues des mensonges délibérés. Il ne s’agit pas seulement d’objectifs non atteints, mais d’un mensonge sur les méthodes proposées dans le programme. Or, n’en déplaise à de nombreux détracteurs, les promesses électorales de Poutine ne sont pas de cette nature. Elles plaisent ou pas, mais elles sont très claires. Les gens sont donc tout à fait capables de constater, discuter, exprimer leur satisfaction ou leur insatisfaction. Et ils ne se gênent absolument pas.
Oui mais, la guerre en Ukraine ?
Il ne faut pas s’imaginer que le peuple russe voyait d’un œil bienveillant le régime post-Maïdan de l’Ukraine, issu d’un coup d’État (même les images relayées par BFMTV le montraient) et friand d’expéditions punitives dans le Donbass. L’écrasante majorité des Russes a été indignée du soutien des putschistes de Kiev par les Européens de l’Ouest. Et même en regardant les chaînes ukrainiennes anti-russes il était facile pour un Russe sans avis d’être rapidement dégoûté. Si bien que la meilleure méthode utilisée par les chaînes nationales russes a finalement consisté à en rediffuser des morceaux choisis. Les Russes ne considèrent donc pas qu’avant l’opération de février 2022 tout allait bien. Seuls les marginaux en quantité infime mis en avant par la presse occidentale affirment le contraire. Le saut dans le risque et l’inconnu a été bien évidemment le principal problème lors du lancement totalement inattendu des opérations. Un contexte de mobilisation n’est jamais drôle. Et l’inaction face à l’Ukraine, préparant alors sa reconquête punitive du Donbass, a pu sembler plus sûre que le risque pris lors d’une entrée en guerre. C’est tout à fait compréhensible et cela m’a surpris aussi pour un temps, mais remarquons que déjà là, j’ai pu constater lors de mes discussions que deux personnes sur trois soutenaient déjà, dès le départ, la dite opération. Quant à ceux qui ne l’approuvaient pas, les arguments donnés ne correspondaient pourtant pas au narratif occidental : « Il fallait le faire plus tôt (voire même empêcher l’indépendance de l’Ukraine dès le début) quand c’était plus facile, il fallait prendre Kiev tout de suite et ils se sont mal débrouillés (ou des traitres l’ont empêché) », ou enfin : « Ça va nous coûter trop. Tant pis, les Russes du Donbass n’ont qu’à se réfugier ici et on lâche le terrain aux bandéristes, qu’ils se débrouillent ». Vous trouverez aussi quelques youtubeuses russes pleurnichardes qui parlent en anglais et ne peuvent plus monétiser leurs vidéos suite aux sanctions. Mais en deux ans, je n’ai rencontré que cinq personnes m’ayant avancé les arguments pseudo-pacifistes occidentaux. Et dans tous ces cas se sont révélés, à la virgule près, tous les éléments de langage de la presse occidentale. Il s‘agissait littéralement d’un soutien au régime de Kiev « démocratique et indépendant ». Les Français qui ont gardé un peu de sens critique ont pu cependant constater, même en suivant la presse officielle occidentale, que les mesures prises par le régime ukrainien en Ukraine n’ont absolument rien de démocratique et que ce régime n’est absolument pas indépendant. La seule chose « démocratique » qu’ils pratiquent là-bas depuis environ huit ans, c’est la gay pride annuelle, sous périmètre étroitement protégé par les forces de police, pour en faire un compte-rendu à l’Union européenne. Quoi de mieux, d’ailleurs, pour en dégoûter les Russes encore un peu plus. Ces Russes qui, rappelons le, ne pourraient pas s’exprimer sous peine d’emprisonnement, alors que je constate que certains ne se gênent absolument pas. Comme d’habitude, il y a confusion plus que volontaire faite dans la presse occidentale entre des activistes qui soutiennent ouvertement le régime de Kiev, même matériellement, en utilisant des moyens de diffusion de masse, et les citoyens ordinaires qui laissent leurs commentaires incendiaires sur les forums internets ou tentent de convaincre les autres qu’ils sont du côté des méchants. Seuls les premiers sont concernés par les condamnations. Et à chaque fois que j’ai lu qu’un simple citoyen avait été poursuivi et condamné durement pour avoir exprimé un avis défavorable sur l’opération en Ukraine, j’ai pu vérifier que ses actions étaient allées bien plus loin que ça, et que ce n’était même pas un simple citoyen. J’aimerais connaître le sort d’un Français qui viendrait par exemple proposer la constitution d’une cagnotte pour soutenir par exemple Boko-Haram lorsque des soldats français étaient encore (censés être) en lutte contre ce groupe armé. Chiche ?
Encore plus sidérés !
La guerre se prolonge. Ça, tout le monde le sait et le constate, dans tous les camps. Mais l’effet sur la population russe n’est encore pas celui qu’attendent les Occidentaux. Si les Russes souhaitent certes que la guerre se termine, et s’ils en viennent même à plaindre les Ukrainiens ordinaires recrutés vague après vague, ils sont sidérés par l’entêtement de l’Union européenne et plus globalement de l’OTAN. Comment peut-on envoyer encore et encore les Ukrainiens au massacre jusqu’au dernier, en fournissant juste ce qu’il faut pour que la guerre ne s’arrête pas et que les gens continuent de mourir, alors qu’il est absolument certain que l’Ukraine ne gagnera pas ? Et c’est là que même les indécis réalisent à quel point c’est réellement une guerre globale, une guerre de l’OTAN contre la Russie et les Slaves non euro-béats qui a commencé dès 2014. Il ne s’agissait pas seulement d’un argument de propagande, mais d’un fait qu’on constate aujourd’hui. L’OTAN ne veut pas la paix mais veut que ce bout de territoire qu’on appelle Ukraine lui soit soumis, peu importe le nombre de personnes qui y vivent encore. Un de mes collègues de travail, explicitement critique il y a un an quant à l’intervention russe, me déclare la semaine dernière qu’il réfléchissait pour s’engager volontairement. Je lui réponds : « Tu blagues encore ? ». Il me répond : « Absolument pas. Ça ne se termine pas. Il faut mettre le paquet pour terminer ça vite, et moins de gens mourront. En face, ils sont bêtes mais entêtés comme nous, et nos vrais ennemis outre-Atlantique, avec tous leurs valets, se réjouissent trop qu’on continue à s’entretuer. D’ailleurs, pour les Ukrainiens, qu’est-ce que ça change en pire de ne plus vivre sous Zelensky ? ».
Conclusion - L’inversion accusatoire
Combien de fois avons-nous entendu « Poutine se préoccupe si peu de son peuple qu’il l’envoie comme chair à canon » ? A grands renforts de chiffres complètement bidons, les médias nous expliquaient que les jeunes Russes mouraient pour rien. Mais aujourd’hui, alors que le décor s’écroule, cela ne gêne personne que l’OTAN, comme il l’avait été si bien prédit, souhaite continuer de se battre jusqu’au dernier Ukrainien. Quant aux soldats russes, ils seraient certes morts pour rien si le rêve totalement fou d’une reprise par Kiev des territoires conquis était au programme. Et ça, c’est ce que l’Occident espérait, sachant que cela aurait pu réellement déstabiliser la Russie. Ceux qui tirent les ficelles des pseudo-dirigeants ignares et prétentieux qui nous dirigent le savent très bien. Mais ils savent qu’ils ont échoué et tentent la transition vers autre chose, alors que les serviles qui parlent des Russes « qui ne pensent pas par eux-mêmes » continuent en roue libre… jusqu’au dernier Ukrainien. Ça aussi, les Russes ont bien pu le remarquer par eux-mêmes.
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