Les salaires des footballeurs ont éteint la lutte des classes
Dimanche soir des millions de français admireront leurs héros millionnaires courir sur le gazon. Sans état d’âme. Ces joueurs représentent la nation, pas l’argent. Pourtant, d’argent, ils en sont cousus. Le fouteball est devenu une industrie comme une autre.
Ascenseur
Le foot, et le sport en général comme le showbiz, sont de formidables ascenseurs sociaux. Nombre de footballeurs sont issus de milieux modestes et arrivent au sommet par leurs qualités propres et par leur mérite. Les plus démunis peuvent se trouver un jour à la tête d’une grande fortune par la grâce de leurs pieds ou de leur corps, vendus au public comme objets de divertissement.
Dans un récent billet un blogueur m’interpelle et met en cause les salaires des footballeurs. Ceux-ci gagneraient 1’000 fois plus que dans les années 1950, ce qui n’est pas le cas des employés anonymes.
Ce blogueur me pose la question suivante :
« Comment oser prétendre juste le fait qu’un footballeur de classe mondiale valait mille fois moins dans les années 50 qu’un footballeur des années 2016 ? »
Il ajoute :
« … je vous demande de donner la justification philosophique et démocratique (à moins que vous ne soyez royaliste et prêt à vivre à la Cour en toute dépendance de l’esclavage des peuples) qu’un ouvrier d’aujourd’hui ne gagne pas mille fois mieux qu’un ouvrier des années 50. »
Vertical
La question n’est à mon avis pas pertinente. La justice se mesure par rapport à des lois, non pas à des différences de salaires (sauf cas de discrimination évidente, ce qui n’est pas relevant ici). Il n’y a pas besoin de justification : la démocratie est un système de liberté (intellectuelle, commerciale, etc) ; chacun fait son chemin avec ses atouts. Si les footballeurs gagnent aujourd’hui autant c’est parce qu’en tant que produits ils rapportent beaucoup plus d’argent qu’ils n’en coûtent. Un produit qui marche est convoité. Il devient plus rare et prend de la valeur.
Cette rareté n’est pas propre au foot. Elle est revendiquée comme un plus, autant dans les biens matériels que dans les compétences, les sentiments et les qualités de coeur d’une personne. Le système vertical du plus et du moins est partout.
Un joueur de foot de haut niveau capitalise sur son nom. Il devient une entreprise. Il investit souvent ses gains dans des activités commerciales qui créent du travail pour d’autres. Il en donne parfois une partie à des associations humanitaires.
Les fédérations sportives comme celles du foot perçoivent aussi beaucoup d’argent. Cela ne sert pas qu’à payer des administrateurs mais aussi à promouvoir le sport et à former des milliers de gamins. Ceux-ci passent beaucoup de temps sur les terrains plutôt que dans des affaires glauques. C’est un facteur d’intégration et de valorisation sociale.
Il semble que le blogueur mentionné ignore comment fonctionne l’humain et l’ensemble du système.
Millionnaires
Je ne sais à quel moment le premier joueur de foot a gagné autant d’argent que le plus riche PDG en France. Mais c’est fait, et je le rappelais récemment : le basketteur Nicolas Batum va toucher 21 millions d’euro chaque année pendant 5 ans, alors que le PDG de Renault-Nissan, Carlos Ghosn, qui a redressé et développé l’entreprise, ne gagne que15 millions par an dont seulement la moitié en salaire...
Si un enfant des classes moyennes ou des favellas de Rio devient riche, très riche, le petit peuple s’émerveille et loue son héros. C’est ainsi que la lutte des classes s’est éteinte : quand le salaire d’un footballeur a pour la première fois égalé ou dépassé les revenus d’un PDG top niveau. Le riche n’était plus un salaud par principe puisque des pauvres devenaient riches eux aussi. C’est le cas aujourd’hui pour nombre de footeux professionnels internationaux ou de stars du showbiz.
C’est embêtant, ça. À une période où certains acteurs sociaux extrémistes tentent un revival de la lutte des classes pour redorer le blason de leur camp, voilà que le petit peuple adule des millionnaires et approuve implicitement ce système en exprimant sa joie de la victoire. Il pense que c’est la France qui joue, même si c’est un petit clan de super-riches. Il n’est pas dupe : il sait que ces joueurs sont dans une bulle. Il applaudit quand-même.
Mais pourquoi donc les français n’applaudissent-ils pas Carlos Ghosn ?
La haine du riche parce qu’il est riche est comme la haine du noir parce qu’il est noir : c’est une exclusion du champ de l’humain. Une forme de racisme. Et haïr un riche en particulier est une forme de discrimination supplémentaire. Ceux qui s’élèvent contre les exclusions en fabriquent une autre.
Être solidaire de ceux qui ont peu est un devoir moral et social. Mais le syndrome de Robin des Bois, soit prendre aux riches pour donner aux pauvres, n’est pas particulièrement juste, démocratique ou philosophique. Les impôts le font déjà. Faut-il les réduire à la misère pour qu’ils soient admis comme des humains respectables ? Pour ma part je ne volerai pas la chemise d’un riche pour la donner à un pauvre. Je lui donnerai la mienne.
53 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON