Les séjours de rupture, un vieux rite ?
Quel avenir pour les futurs travailleurs sociaux ? Les séjours de ruptures, au travers desquels j’encadrais les « incasables », nos mineurs délinquants multirécidivistes, ont été remplacés par les CER, puis les CEF. La prochaine case, les EPM, quasiment la prison.

Le principe de l’association où je travaillais était simple, emmener le jeune hors de son milieu.
Plus qu’un séjour de rupture, cela est vécu pour certains et certaines comme la première vraie séparation avec la famille, ou ce qui restait de structure familiale. Le parallèle peut être fait avec les rites de passage de l’enfance à l’âge adulte que font passer aux jeunes les sociétés dites primitives, bien conscientes de la nécessité de « soumettre » les parents autant que les enfants.
Nos destinations : le Canada, la Roumanie, la Finlande.
Les « séjours » se passaient en trois temps : la phase d’accueil la première semaine, le voyage de rupture d’une durée de deux mois, et le retour sur une semaine suivi de l’intégration dans une structure pour ceux qui accrochaient vraiment et qui voulaient reprendre des études. Les moyens : sac à dos, ski de fond, pulka en hiver et canoë, tente en été. Les groupes étaient formés de deux adultes pour deux jeunes jusqu’à quatre adultes pour six jeunes. Dans ce type d’encadrement, il faut avoir la capacité de « contenir » des adolescents en crise. Beaucoup de jeunes éducateurs diplômés ne veulent pas de contraintes horaires, sans parler des déplacements à l’étranger, et il faut aussi pouvoir répondre à la violence de l’autre, au rapport de force.
Pour faire quoi avec les jeunes ? Vivre avec. Etre avec. La présence est le maître mot dans ce type de relation. Faire la cuisine, le ménage, la vaisselle, le linge...
Cela commence par la décision dans le bureau du juge, pas toujours bien comprise par le jeune « vous m’emmenez où, c’est loin, je ne veux pas partir », la préparation du matériel et de l’équipement « c’est quoi ces fringues ! Je ne ferais jamais de ski de fond ! », le voyage en avion jusqu’à Ivalo, l’atterrissage dans un pays inconnu, le froid, la longue route qui nous mène à Sevettijärvi, notre base logistique, à 40 km de la frontière avec la Russie et la Norvège.
La perte des repères, les premiers pas sur la neige, les premières chutes à ski de fond, les premières crises, les confrontations avec l’autre (l’adulte).
Une fois les jeunes sensibilisés aux règles de la vie de groupe et initiés à la pratique du ski de fond, nous partons généralement plusieurs fois pour une dizaine de jours complets en autonomie. Toutes les affaires sont dans la pulka, grande luge utilisée sur la banquise pour les raids, et nous parcourons entre 8 à 20 km chaque jour entre les cabanes refuges. Du mois de novembre au mois d’avril, la nuit tombe très rapidement en Finlande, il fait très froid et le vent sur les vastes étendues gelées ne fait que baisser encore plus la température. C’est là que tout se joue. Dans ces instants d’effort, dans ces gestes de « survie », dans ces moments de doute et d’abandon sur la glace, quand le froid et la nuit font réagir le jeune.
Combien de fois je suis resté à côté de celui ou celle qui « n’en pouvait plus », à regarder le groupe continuer sa progression... à attendre que la volonté d’abandonner le groupe au travers des cris et des pleurs laisse la place au vide... à attendre qu’il retrouve confiance en lui, qu’il sente la capacité à gérer sa peur et ses doutes. Les provocations avec l’adulte font parties du « jeu », mais il faut ce rapport pour que l’ado se sente en confiance. C’est dans la « gestion de la crise » que se mettent en place les relations confiance-dépendance-entraide. Ces moments d’angoisse font ressurgir beaucoup de non-dit. Nous en discutons avec le jeune, mais ce n’était pas notre premier rôle. Il fallait d’abord que « ça » sorte. Le reste, nous en parlions une fois de retour en France avec la psychologue et elle faisait le suivi. Les deux mois de séjours passés, les jeunes qui le désiraient et dont l’ordonnance de placement le permettait restaient encore au sein de l’association avec une autre équipe pour commencer des stages en entreprise, voir un retour à la scolarité pour certain. La réussite ? Les résultats ? Franchement, rien n’était vraiment prévu pour cela. Les institutions, à bout de course, étaient contentes de se débarrasser des jeunes et par-delà les oubliaient. La même phrase revenait à chaque retour « à déjà trois mois, comme le temps passe vite ! » Sans bien entendu avoir pris le temps de penser au retour du jeune, qui immanquablement, se retrouvait de nouveau dans sa famille avec qui aucun travail social n’avait été fait, voire un retour dans un foyer où, de nouveau, il cassait tout... De 2004 à 2006, le prix de journée par jeune en séjour de rupture payé à l’association était de 326 € par jour. Soit un total de 30 000 €. Pour un retour à la case CEF, voire la case prison... J’ai préféré arrêter le social en même temps que les séjours de rupture disparaissaient.
Les EPM : http://prisonpourmineurs.monsite.wanadoo.fr/page2.html
Le coût des placements : http://www.dpa.finances.gouv.fr/performance/performance/
Le centre éducatif de la photo : http://www.bienpublic.com/archives/article.php?
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