Les sorties scolaires et les interventions extérieures montrées du doigt
D’après une note de synthèse rédigée par l’Inspection générale de l’Éducation nationale (IGEN) « il est indispensable de lutter contre les habitudes de grignotage du temps installées avec les sorties scolaires et les interventions extérieures, qui déconcentrent les élèves et qui font perdre beaucoup de temps sur les apprentissages, en prenant des mesures de restriction des empiètements tolérés, et parfois encouragés, sur le temps scolaire, en revoyant et limitant les agréments et autorisations ».
Les sorties scolaires et les intervention extérieures seraient donc chronophages et nuiraient à la concentration des élèves et aux apprentissages. En effet, les sorties scolaires prennent du temps, c’est indéniable. Mais de là à dire que ce temps pris est du temps perdu... Les raisons de penser le contraire sont nombreuses.
Les sorties scolaires comme vecteur de la cohésion dans le groupe classe.
Tout d’abord, les sorties scolaires peuvent, lorsqu’elles sont organisées en début d’année, créer de la cohésion au sein d’un groupe. Ce type de sorties, d’une ou plusieurs journées, permet aux élèves de mieux se connaître entre-eux et d’échanger. Les sorties scolaires permettent également aux élèves de mieux connaître l’enseignant, en dehors du contexte de la classe, et à l’enseignant de mieux connaître les élèves avec lesquels il passera l’année scolaire. Cela est parfois indispensable pour créer une cohésion dans le groupe, une certaine confiance, et donc un contexte de travail plus serein pour le reste de l’année. Mieux connaître ses élèves, mieux connaître le professeur, mieux connaître ses pairs, peut désinhiber les plus timides qui sans cela, mettraient beaucoup plus de temps à s’habituer à la classe et à participer réellement aux activités proposées. Cela évite également les hésitations et le temps perdu du fait de la mauvaise connaissance des autres. Les sorties scolaires ne sont donc pas, de ce point de vue là, une perte de temps mais un gain de temps immense.
Les sorties scolaires et les interventions extérieures comme « outils d’apprentissage ».
Les enseignants ne mettent pas en place des sorties scolaires et ne font pas venir des intervenants extérieurs pour faire passer le temps. Le plus souvent, ces sorties et ces interventions s’inscrivent dans un projet pédagogique qui demande à l’enseignant beaucoup de travail en dehors du temps de classe et un investissement personnel important. Les élèves ne devraient-il apprendre l’histoire, la géographie, les mathématiques, les arts, le français, le « vivre ensemble », etc... que dans des livres ou sur des photocopies, enfermés dans une salle de classe ? Je ne le pense pas. Pour étudier un paysage en géographie, les enseignants peuvent se baser sur les photographies trouvées dans les manuels scolaires, montrant des paysages que les élèves ne connaissent pas et pour lesquels ils ne montrent qu’un intérêt très limité. Beaucoup d’entre eux préfèrent emmener les élèves à un endroit où ils peuvent observer le paysage dans lequel s’inscrit leur commune, où ils peuvent photographier, dessiner. L’exploitation de ce travail se continue ensuite en classe. Les élèves peuvent alors se raccrocher à quelque chose de concret, qu’ils ont vu, qu’ils ont vécu. Je ne suis pas sûr que ces méthodes de travail déconcentrent les élèves et nuisent à leurs apprentissages. Bien au contraire. Elles permettent de faire le lien entre la leçon vue en classe et la réalité. Ce qui est indispensable à leur âge. D’un point de vue personnel, quand j’étais moi-même sur les bancs de l’école primaire, j’ai beaucoup appris sur la vie des Celtes en allant visiter l’archéodrome de Beaune. Au collège, j’ai été ému et je me suis rendu compte des horreurs de la Première Guerre mondiale en allant à Verdun avec ma classe.
Je voudrais maintenant revenir sur les interventions extérieures à travers un exemple. Pour l’historien, les sources sont nombreuses : textes, photographies, peintures, mais aussi témoignages. En 1944, un pilote américain s’éjecte de son avion en feu, dans une petite commune de Côte d’Or. Le pilote a été sauvé par l’héroïsme de quelques habitants du village qui ont risqué leur vie pour le cacher dans différents maquis . En 2008, presque personne dans la commune n’était au courant de cet événement qui s’est déroulé il y a plus de soixante ans. Un des enseignants de la commune apprend cela par hasard, en discutant avec les anciens, et décide de monter, à partir de ce fait historique, tout un projet d’écriture. Il fait venir dans sa classe un témoin du crash, qui avait 16 ans à l’époque. Ce témoin, ancien forgeron maréchal-ferrant a en sa possession, un morceau de l’avion transformé... en marmite. Il a également des éclats d’obus, des photos d’avions, des sculptures en bois qu’il a lui-même réalisées et qui représentent sont métier. Les élèves sont absorbés par son récit, par les objets et les oeuvres qu’il montre à la classe. Les questions fusent. Dans la même classe, la même année, l’ancien instituteur du village intervient également. Il a écrit un livre sur l’histoire de la commune. Il raconte aux élèves comment il a écrit son livre, comment était l’école dans le temps, leur montre des anciennes photographies de la commune, leur parle des lavoirs, etc...
Grâce à ces témoignages, les élèves ont beaucoup appris sur la Seconde Guerre mondiale et sur la vie au siècle dernier. Ils ont également rédigé un livret comprenant une partie documentaire sur la commune, et une partie fiction, dans laquelle ils imaginaient ce qu’avait vécu le pilote américain après s’être éjecté de l’avion. Tout un travail de recherche historique, d’écriture, de vocabulaire (sur la peur, la guerre) a été effectué. Cela aurait été impossible sans interventions extérieures. Ces récits ont marqué les élèves et les livrets ont été distribués à toutes les familles de l’école.
L’école ne doit pas être un lieu fermé. L’école doit s’ouvrir sur le monde extérieur. Certains apprentissages prennent du temps ? Tant pis. Du moment que les élèves apprennent. Et pour apprendre, il ne faut surtout privilégier le quantitatif au détriment du qualitatif. Les têtes des élèves ne sont pas des sacs dans lesquels il faut bourrer un maximum de connaissances en un minimum de temps. La salle de classe n’est pas une usine dans laquelle on « fabrique » en recherchant la productivité. C’est un vaste chantier de savoirs et de savoir-faire dans lequel on tente de construire quelque chose de solide et de pérenne. Cela prend du temps, mais cela est nécessaire si l’on veut former des citoyens capables de réfléchir, de créer, d’imaginer, d’analyser, avec des capacités de discernement. À moins que l’on ne veuille former des soldats dociles exécutent bêtement ce qu’on leur demande de faire...
Vous aussi, vous vous souvenez d’une sortie scolaire ou d’une intervention extérieure qui a marqué votre mémoire ? Venez la raconter sur mon blog, en commentaire à cet article : http://ecole-education.over-blog.com
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Stéphane Guinot
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