Les sources de la Garde à vue
Le Savoir impose d’apprendre ou d’essayer de comprendre ce que nous sommes avec notre agressivité parce que nous l’observons. « L’agressivité naturelle » est indispensable à la survie de toutes les espèces, dont la nôtre. La socialisation nous permet d’en définir différents concepts, de manière à pouvoir en bannir quelques-uns comme asociaux. Néanmoins, « l’agressivité » reste l’élément moteur, bien que socialisée et de ce fait acceptable.
Maîtrisée durant l’évolution de nos aptitudes et de notre capacité cérébrale, elle a façonné l’homme et lui en retour son espace.
Par « agressivité naturelle », j’entends la capacité d’action de l’homme d’interagir sur lui-même, sur les autres, ainsi que sur toutes choses de son environnement, même si un jour il doit réorganiser son existence en ayant compris qu’il ne disposait d’aucun libre arbitre. Il impose de ce fait, contrainte, transformation ou destruction dans l’ignorance partielle du TOUT qu’il est, dans un TOUT plus grand que lui dont il est le semblable, l’univers. Il ne s’agit donc de ne pas confondre ici agressivité et violence.
L’histoire des sciences tout entière n’est que la compréhension progressive du fait que les événements n’arrivent pas de manière arbitraire, mais qu’ils reflètent un certain ordre sous-jacent. Cette remarque est d’autant plus importante qu’elle s’applique à nous, elle s’applique au déroulement de notre existence.
De telle manière que les événements de notre existence ne proviennent que des ordres (systèmes, organisations) qui les ont inspirés, et notre cerveau par la construction de son psychique en est un producteur efficace dans la représentation de ses affects à partir de la nécessité vitale fondatrice de se nourrir, s’accoupler et s’abriter.
Partant de là l’agressivité prendra des nuances capables de répondre à toutes les éventualités de 0 à l’infini que nos schémas conceptualisés lui suggéreront, suivant la traduction et la représentation des informations que nos sens auront recueillies du monde, pour façonner les moyens de vivre ou s’entre-tuer. Si depuis 2000, voire 3000 ans ou plus nous appliquons toujours les mêmes principes punitifs ou méritocratiques sans résultat, qui souvent s’apparentent à de la persécution, malgré les tonnes d’ouvrages sur le sujet c’est que socialement nous en faisons son lit dès la naissance dans notre berceau culturel. La lutte contre la violence ne doit pas aboutir à supprimer l’agressivité salvatrice qui fait qu’un pauvre luttera pour survivre, car faire une société de peureux c’est la vouer à l’extinction ou à la dictature
Donc la capacité d’agressivité ne doit pas être prise comme seulement l’expression de violence, mais en un sens plus générique qui est la capacité d’agir pour aller prendre chez l’autre (son alter ego et le monde) ce qu’il nous donne ou nous prive afin d’exister quelles qu’en soient les motivations, et c’est dans ce cadre là que nous définirons des interdits mais tous ne seront pas des actes de violence.
L‘Homme n’est donc pas irrévocablement un être violent. Il est lui-même la construction d’un amalgame d’informations ordonnées qui ont élaboré son psychique ; mais il a la difficile responsabilité à partir de celui-ci, de quantifier et qualifier les informations qu’il perçoit dans l’ignorance la plus totale du monde objectif, en bâtissant au fil des millénaires l’image de ce qu’il a pu comprendre de lui et du monde. Et ce n’est qu’à partir des définitions qu’il leur donne qu’il est en mesure de transformer une agressivité innovatrice en violence mortelle intra espèce en l’absence d’un inhibiteur inné.
Donc l’information est capitale pour l’homme, et traiter l’information oblige d’apprendre, d’apprendre en permanence, sinon on la subit. Nous la subissons dans toutes les formes imparfaites et barbares dans lesquelles nous la figeons en nous croyant possesseur de la compréhension ultime. De ce fait nous faisons en permanence le procès de l’Homme, au lieu de celui de sa construction psychique, même si celle-ci porte un nom par acteur, tout en n’ayant jamais appris à cet acteur comment fonctionnait un organe aussi essentiel que son cerveau, avec lequel il allait devoir passer sa vie.
Ceci parce que quels que soient les raisonnements que nous tenons au travers d’un psychique organisé, borné par sa culture, bonne ou mauvaise, de manière close par nécessité structurelle, afin d’évacuer l’incertitude et la peur qui développe craintes et angoisse. Cette construction structurelle du psychique retransmettra l’aptitude de son organisme à s’ouvrir à l’autre ou au monde, en fonction d’une multitude de paramètres environnementaux.
Ce raisonnement sera sous-tendu par le non conscient qui contrôlera en permanence, si les décisions que notre psychique culturalisé prend en retour sous sa direction, sont compatibles avec les informations dont il dispose ; informations qui sont de veiller à ce que la structure organique qui le porte puisse se nourrir, copuler, s’abriter : Vivre. Et il en est ainsi au quotidien indépendamment de nous dans toutes les décisions que nous prenons.
C’est pour cela qu’il est si important que l’Homme soit assuré, épanoui, pour que son agressivité innovante au travers d’organisations systémiques sociétales ne se retourne pas contre lui et son alter ego par la violence.
Aujourd’hui la violence semble avoir perdu toute légitimité dans l’espace politique au point de signifier le mal absolu, cette impossibilité à dissocier l’agressivité de la violence sociétale qui peut en découler pose de graves problèmes, au point de ne plus distinguer dans la contrainte culturelle qu’exige notre existence « concentrationnaire », quand elle est la soumission de l’autre ou un manquement organisationnel, quand elle est protection ou agression, quand elle sécurise la société ou quand elle l’apeure. Nous en sommes à ce stade, la police commence à faire peur.
Comment en est-on arrivé là ?
Pour cela il faut se détacher de l’immédiateté médiatique qui nous vend une vue limitée de son évolution, et d’un pouvoir qui nous l’a vendu comme un marchand vend un objet parce qu’il en retire un salaire.
L’évolution d’une société on la regarde sur la durée si l’on pose ce regard sur la violence enregistrée par l’activité policière nous pouvons en retirer avec quelques précautions d’interprétations, une évolution.
Quelques chiffres.
Les crimes et délit sont passés de 1.136 millions en 1970 à 3.579 millions en 1985 soit une évolution de 31%. Ensuite le nombre se stabilise autour de 3.600 millions, avec un pic en 2000, à 3.772millions, et une inflexion en1990 à 3.494 millions.
Maintenant regardons l’évolution du chômage
Le nombre de chômeurs, 502 milliers en 1970 à 2.500 millions, soit une évolution de 100.4%. Ensuite leur nombre oscille autour de 2.600 millions plus ou moins avec deux pics à 3.000 millions en 1993 et 2004, et deux inflexions en 2001, 2.110 millions et 2008, 2.200 millions.
Il saute au regard sans être un grand analyste la corrélation qu’il y a entre les deux, au regard de l’augmentation de la population cela donne en :
1970 2.25%, de crimes et délits et 0.9% de chômeurs. Pour 50 500 000 français
1985 6.4%, de crimes et délits et 4.5% de chômeurs. Pour 55 200 000 français
2008 5.7% de crimes et délits et 4.1% de chômeurs. Pour 62 200 000 français
Ce rapport entre pauvreté et désocialisation à un pourcent prêt se maintiendra jusqu’à nos jours, ce qui signifie que toutes les mesures de sécurité prises depuis ce temps là et qui se sont accrus depuis 1994 et 2002, n’ont pas reversé la tendance prise de 1970 à 1985. Ceci dit ces chiffres ne retracent pas l’évolution de la nature des crimes et délits ni des modification de comptabilisation du chômage. Ils sont juste une photo il est quasi impossible de sérier les seuls crimes et délits en lien direct avec la désocialisation, car l’on comprend bien qu’un crime passionnel n’y est pas relié, mais la récurrence de la courbe constante les exclut de fait.
Il faut noter un passage le rapport 1/3, 2/3, évolution de 31% de crime et délit pour 100% du chômage ceci se comprend au travers de l’étude de Milgram, parmi tous les désocialisés seulement 1/3 d’entre eux franchiront le pas.
Ces quelques chiffres montrent que durant toutes ces années, le pouvoir nous a vendu une insécurité, globalement il n’y en avait pas plus en 1985 qu’aujourd’hui, c’est le regard des français qui a changé. Il leur a été vendu de la peur au travers de bons nombres d’affaires dramatiques, et au travers d’une peur irrationnelle du terrorisme. Le jeu du pouvoir qui en a fait un terrain électoraliste y est pour beaucoup, également tous ceux qui ont soufflé dessus par cupidité et spectacle.
Alors aujourd’hui chacun se rend compte de l’évolution de cette policiarisation au travers de la garde à vue que depuis des années nous avons réclamé en pensant que cela ne concernait que le crime organisé et les délinquants professionnel, et personne n’a pris conscience qu’au travers de ce processus, où ne se faisait plus de dissociation entre agressivité et violence, le pouvoir regardait tous les français comme de potentiel délinquant, vu comme des ennemis.
Dans un colloque au collège de France en 2008, madame Geneviève Giudicelli-Delage a présenté un exposé consacré au droit pénal de la dangerosité, droit pénal de l’ennemi, comme un droit sur des individus pour ce qu’ils sont et non ce qu’ils ont fait, mettant l’accent davantage sur la dangerosité et le risque que sur la culpabilité. La dangerosité sans la culpabilité s’autonomise comme concept détaché de l’infraction et légitime un enfermement pour une durée indéterminée, par exemple du seul fait d’une peine antérieure. C’est envisager la culpabilité sans imputabilité.
Le Sociologue Laurent Muchielli abordait le thème : « identifier, contenir et mettre à l’écart : le retour du discours sécuritaire et ses prétentions scientifiques ». Il relève que nous nous trouvons aujourd’hui dans une frénésie sécuritaire. La stratégie de dramatisation continue avec le concours des médias instrumentant les faits divers alors qu’il est parfaitement connu qu’il n’y a pas de corrélation entre l’intensité médiatique et l’intensité sociale d’un fait divers. La médiatisation de tel ou tel fait divers relève donc d’un choix politique et les discours de Nicolas Sarkozy comme de Rachida Dati peuvent aller sans autre jusqu’au mensonge le plus éhonté. La stratégie de la criminalisation frise ainsi la frénésie pénale et met en cause les principes généraux du droit qui sont les fondements de l’Etat de droit et donc de la démocratie.
Les éléments abordés ensuite dans une table ronde regroupant Mireille Delmas-Marty, Christine Lazerges, Bernard Manin et les autres intervenants ont souligné la permanence des dangers et leur imprévisibilité grandissante. La peur brouille les frontières entre les réponses aux risques et aux menaces dans ce qui apparaît pour Delmas-Marty comme une inadéquation des réponses. Le schéma de la responsabilité civile de type réparation-prévention-précaution est repris au pénal sans discernement. Les faits divers apparaissent comme des diversions qui ajoutent à la confusion. La politique menée ressemble à un coup de dé qui chercherait à abolir le hasard. Pascal relevait déjà que l’on ne pouvait justifier la justice et que l’on a donc justifié la force pour que la force et la justice soient unies.
Christine Lazerges relève que les politiques sécuritaires sont vouées à l’échec car construites sur la facilité. C’est l’impasse de la guerre, de la peur, basée sur la probabilité et l’impossible résilience. C’est l’impasse consubstantielle au discours politique qui exalte les peurs et les risques. L’on assiste sans limite aujourd’hui à un durcissement des politiques criminelles au nom d’une dangerosité présumée de certaines figures de délinquants, par exemple celle du mineur. Les politiques leurrent le citoyen sur ce que la loi peut produire. Le Parlement est instrumentalisé. Si une loi est votée, il faut bien ensuite lui donner les moyens de son application et ne pas demander à la loi ce qu’elle ne peut pas produire.
Vint ensuite pour conclure Robert Badinter La sanction est la première des dissuasions et l’on se dirige donc naturellement vers l’augmentation des sanctions dans une inflation de dispositions répressives accompagnée d’une multiplication des techniques de recherche, de fichage, de vidéosurveillance. Chaque société a ses criminels qu’elle rejette, aujourd’hui c’est incontestablement le criminel sexuel qui fait le plus peur par ce qu’il représente des passions les plus fortes et les plus refoulées. La peur du récidiviste est également un grand thème mais on ne sait jamais si celui que l’on juge récidivera. Le risque hante les consciences collectives et nourrit une inflation du système sur lui-même. Le fait divers est médiatisé autour de la seule chose que l’on puisse en montrer, la victime, dans un courant émotionnel évidemment intense. La victimisation est un facteur puissant du développement du droit pénal actuel dans une mutation indifférente aux principes pénaux fondamentaux.
Pour Robert Badinter, nous allons vers une psychiatrisation de la justice et une judiciarisation de la psychiatrie. La rétention de sûreté est une rupture absolue avec le passé, dans un glissement à l’infraction virtuelle. A partir de là, tout s’effondre.
Il n’y a plus de règle d’or fondée sur les principes issus de 1789 et l’on se trouve aujourd’hui, selon Robert Badinter, dans une période de dérive ou de régression mais pas dans une impasse, juste une longue avenue dont on ne voit pas le bout. Pour lui nous sommes actuellement dans une phase de destruction du droit pénal :
« Comment cela s’appelle-t-il quand le jour se lève comme aujourd’hui et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entretuent mais que les coupables agonisent dans un coin du jour qui se lève ? (…) – Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s’appelle l’aurore ».
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