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Accueil du site > Tribune Libre > 2. Les territoires perdus de la république : sublimation du fief – (...)

2. Les territoires perdus de la république : sublimation du fief – moi.

Les territoires éclatés ne se trouvent pas qu’en banlieue. La notion de fief a conquis l’ensemble du pays et s’est accentué au sein même de toutes ses structures. Il existe toujours un « contre territoire » plus radical dans la sublimation de sa spécificité que celui du voisin. On parle aujourd’hui du « contre – pouvoir des régions » et, au sein d’elles, un Languedoc – Roussillon ou une Guadeloupe, à la volonté centrifuge et qui, comme tant d’autres, feront de Paris le mal absolu, un mal technocratique et bureaucratique détenteur de la palme d’or de l’inefficacité. Ne retrouvons-nous pas le même schéma concernant la relation des pays - membres avec la technostructure bruxelloise ?

Cette « attraction féodale » se retrouve aussi dans les métiers et les fonctions, même ceux qui ont, tels les médias, vocation universaliste.

Enfin, l’individu lui-même, exalte son unicité, tourne le dos à toute aventure collective, impose sa vision au détriment de toutes les autres. Il se sent seul et agit en conséquence.

Lorsqu’une journaliste ex machina déclare ne pas verser une larme pour la mort d’un « délinquant » et préconise l’action militaire pour répondre à la violence des quartiers, elle use et abuse d’un pouvoir venu de nulle part, abusif s’il en est, solitaire et par conséquent totalitaire. Elle n’a conscience ni de son pouvoir ni de la force de son discours, considérant qu’il en va de soit qu’elle s’adresse à des millions de spectateurs tandis que personne n’a fait d’elle une vox populi, ni même sa propre volonté. User et abuser de sa frustration et de sa solitude est devenu « tendance ». A force d’être seul, tout individu se voit dans les habits d’un prophète.

Ainsi, plus personne n’est à sa place. Le sentiment de vérité, la conscience de son propre environnement, la certitude d’être dans le vrai à force de monologues et « d’humeurs » transforme tout le monde en machine de guerre solitaire, en Don Quichotte fantasque, en moine prêchant dans le désert. La solution d’un quelconque problème devient impossible par la somme d’avis et d’opinions qui, ayant pignon sur rue, ne comprennent plus les notions même de hiérarchie, de responsabilité et d’anticipation. D’autant plus que la parole devient prisonnière de l’humeur, que l’on dira demain, sans aucune sanction, le contraire de ce que l’on dit aujourd’hui. 

Internet, la force de l’image télévisuelle, les clans professionnels de plus en plus fermés et couvrant les dérives des uns et des autres par un « nationalisme du plus petit dénominateur » donnent à toute structure un sentiment de tout connaître et de n’être responsable de rien. Combien de médecins, de dentistes se voient contestés par leurs patients qui, surfant solitaires sur internet, ont leur propre avis sur la pharmacopée et même les traitements lourds et complexes qui leur sont proposés ?

Ainsi aussi, les réactions d’un loubard des quartiers, d’une journaliste du net, d’un philosophe télévisuel, d’un élu ou d’un étudiant procèdent du même mécanisme : « il n’y a de vérité que ma vérité et j’en suis le prophète ». Voilà un syndrome prométhéen « a – historique » et qui se décline désormais exclusivement à l’unité.

Apprendre, désormais, se décline dans le mépris de la continuité, de l’accumulation ordonnée du savoir, des structures adéquates, contestées aussi bien par le picorement d’infos sélectives et au choix subjectif de chacun, que par l’enfermement de chacun par des prédispositions et des « espaces fermés », propres dans un passé récent des partis et des idéologies holistiques mais qui, aujourd’hui, se greffent en tout un chacun.

Cette sublimation du moi se renforce par la prépondérance des réseaux. Gourous et caïds, petits chefs et aficionados s’enferment au sein de clans et de réseaux fermés, subliment leur sensation d’être des encyclopédies personnalisées, des détenteurs d’une violence qui fut jadis monopole d’Etat, lèvent des ponts-levis linguistiques, moraux, éthiques ou identitaires, se rêvent élus des hommes et des dieux, naviguent dans une sensation et un sentiment de pouvoir dont la première fonction existentielle en serait l’abus.

Cependant, brûler une voiture de son quartier ou partir en croisade depuis sa place usurpée au sein d’un plateau télé procède de la même violence : « Je suis violent par ce que je le peux ». Pouvoir et responsabilité se sont dissociées, le pathos subjectif et personnalisé à l’extrême prenant la place de la raison. Quoi de plus naturel ? La raison elle même, appuyée sur le pouvoir des mots (le raisonnement) se refuse toute référence, tout passé collectif, mais reste suspendue, accrochée aux préférences, aux certitudes et aux traumas de chacun. 

Avant d’envoyer les chars dans nos quartiers difficiles il serait bon que l’on prenne conscience que chacun de nous agit et réagit comme un « quartier ». En oubliant que juste à côté, un autre quartier existe, interdépendant de nous. Et qu’aujourd’hui, à force de sublimer le moi et s’en prendre à l’autre, toute guerre prend les allures d’une guerre civile. Même celles menées à l’autre bout du monde.

 

A suivre…


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9 réactions à cet article    


  • Marc P 21 juillet 2010 09:57

    Désolé si je digresse,

    Je pense à ce fieffé Vals qui « sublimant son moi » a créé son micro-parti et ce faisant mouillé tout le PS et une bonne partie de la gauche, à cause de lui assimilés à une voyoucratie qui s’est moquée éperduement de tout un peuple...

    Comme vous dites que de faux prophètes... on n’a pas vraiment commencé à maitriser les moyens de diffusion de l’information modernes, leurs progrès étant si fulgurants et si récents... Les voix des plus sages ne peuvent guère être entendues à quelques rares exceptions près... A avox, on est à bonne école...


    • Sachant Sachant 21 juillet 2010 11:07

      Intéressant cet article
      Je ne puis cependant m’empêcher de prendre la défense des « moi »

      Comment connaissons nous notre univers ?
      Par ces perceptions qui stimulent notre cerveau

      Comment partageons nous cette connaissance
      En émettant des idées, partant du cerveau et utilisant nos membres et organes

      Je répond seul à cet article rédigé par vous seul

      Je vous rejoint en ce sens
      Qu’une société qui se satisfait et souhaite la mort d’êtres humains
      Me semble relever de la pathologie
      Quand bien même cette pathologie serait collective
      C’est une accumulation de soins individuels qui tendrait vers la guérison

      Je ne rejette pas l’universel humain
      Car nous sommes des personnes toutes identiques

      Je ne rejette pas la sublimation du moi
      Car nous sommes des personnes chacunes uniques

      Tout à la fois

      Je me demande même si
      Ce ne sont pas les classsifications intermédiaires d’appartenance
      Qui posent problème


      • bluebeer bluebeer 21 juillet 2010 11:56

        Bonjour Michel.

        Intéressante réflexion. Je m’interroge depuis longtemps sur un des effets pervers du libéralisme économique et politique, en l’occurrence sur l’apologie de l’individualisme. Ayant vécu aux Etats-Unis, j’y ai été frappé par la prévalence totale des solutions individuelles sur les solutions collectives : les gens se débrouillent, doivent être eux-mêmes, et vénèrent tous le mythe des grands entrepreneurs. D’ailleurs, le cinéma holliwoodien est essentiellement consacré à la promotion de héros qui se dressent seuls, ou presque, contre l’adversité, les complots, la tyrannie. Les seules aventures collectives admises sont le sport ou la guerre, mais en société, l’individu doit se démarquer et s’affirmer, seul.

        Ce modèle, nous l’avons adopté progressivement, c’était le modèle dominant, le modèle « de la liberté ». Couplé à l’essor technologique et économique, il a participé à disloquer progressivement le tissu social, en autonomisant les unités, ce que vous appelez les Mois.

        Notre société souffre cruellement de cet effilochement. Chacun peut effectivement se replier sur soi, vivre à l’écart, vivre en dehors, si on excepte le travail et la famille, et encore… Même pour se nourrir, on n’est plus obligé de parler, ni à la caissière, ni à l’employé de fast food. L’argent s’obtient par des machines, les achats se font en ligne, les transports se font de moins en moins en commun. Chacun donne son avis sur la toile, mais on ne se concerte plus. La société se fissure en autant d’électrons libres. Et les sentiments de dérive et de solitude finissent par submerger la masse. C’est aussi cette absence de débat direct entre membres de petites communautés qui alimente le sentiment d’impuissance actuelle face aux dérives politiques et économiques de nos cadres de vie.

        C’est peut-être naïf, mais je suis persuadé que les petites communautés d’antan, du passé, de l’histoire et de la préhistoire, procuraient d’avantage de satisfaction à leurs membres, nonobstant la précarité et l’inconfort de ces époques. Une phrase tirée d’un vieux bouquin d’histoire me trotte en tête : « à l’âge de quinze ans, le jeune gaulois reçoit des mains de son père le glaive et le bouclier qui ne le quitteront plus jusqu’à sa mort ». Cette assertion est sans doute historiquement contestable, et participe peut-être d’une imagerie d’Epinal, mais il me plaît de penser qu’à l’époque chacun savait qui il était et à quoi il servait.

        Ces tribus perdues, nous tentons encore de les reconstituer, maintenant et toujours, en adhérant à des groupes, des organisations, des mouvements, des équipes, un quartier, un style de vie… Il me paraît évident que nous ne saurions nous en passer. Il est urgent de repenser la société, de fond en comble, et de permettre aux petites communautés de réexister, pour rendre son sens à l’individu.


        • Kalki Kalki 21 juillet 2010 16:19

          Pour la guerre des égo c’était pareil avant et meme pis : vous n’aviez pas le choix de la forme d’organisation et de prise de décision : merci à internet, inter net


          • SweetDouce SweetDouce 21 juillet 2010 19:13

            Bonjour et merci pour cet article.

            Je souhaitais intervenir au sujet de l’apprentissage :

            Apprendre, désormais, se décline dans le mépris de la continuité, de l’accumulation ordonnée du savoir, des structures adéquates, contestées aussi bien par le picorement d’infos sélectives et au choix subjectif de chacun, que par l’enfermement de chacun par des prédispositions et des « espaces fermés », propres dans un passé récent des partis et des idéologies holistiques mais qui, aujourd’hui, se greffent en tout un chacun.

            -----------------------------------------

            Je suis en partie en accord avec ce que vous avancez, cependant j’y apporterai quelques « raisons » :

            -L’apologie du self-made man comme vous le décrivez se voit aussi, et de plus en plus, à la télévision, où rien que le fait d’y passer, même en y étant ridiculisé (ou en s’y ridiculisant) fait de l’individu une star (éphémère).

            -Image véhiculé par nos « élites » qui se distinguent par leurs mensonges, amour de l’argent, vulgarités et j’en passe...

            -Une idée de la réussite uniquement basée sur l’argent (et son accumulation) et non pas sur une enrichissement et investissement personnel dans sa propre vie.

            -Et une école vieillissante, qui ne se renouvèle que trop peu, en décalage avec les jeunes (sa mission étant cependant délicate à réaliser sans heurts).

            Comment alors ne pas être fasciné par l’argent et la réussite « facile » lorsque plus grand chose n’a des sens sauf l’individualisme...

            Heureusement quelques structures plus sympathiques subsistent encore...


            • Michel Koutouzis Michel Koutouzis 21 juillet 2010 19:24

              Merci pour les remarques ; les raisons sont en effet, techniquement celles-là. Mais cette tendance à privilégier l’os (support) à la substantifique moelle (techné dans son sens global, grec) est justement une des raisons de l’inadaptation et du vieillissement des structures enseignantes. L’autre étant la maladie infantile qui touche l’ensemble de la société, l’attraction à l’exceptionnel et le défaut de hiérarchisation qui en découle 


              • silversamourai silversamourai 23 juillet 2010 00:00

                Bonjour ,

                valorisation de la personne versus valorisation du collectif .
                Peut-être que le fléau de cette balance ,toujours mobile , réponds à la force du rejet
                des massacres collectifs du siècle précédent...


                • antonio 25 juillet 2010 09:57

                  Je trouve que de plus en plus, il y a une méconnaissance, une ignorance de l’histoire, discipline qui, pourtant permet de mieux comprendre où nous en sommes, de prendre du recul, de réfléchir. Un peu comme s’il avait table rase du passé. Cette « inculture » poussent beaucoup à se poser comme l’alpha et l’oméga dans la société actuelle : Moi et rien que moi.
                  En fait, outre cette matière, l’inculture se propage partout, en particulier dans les médias : il n’est que de voir les jeux télévisés affligeants de bêtise mais « attirants » pour beaucoup puisqu’on peut y gagner de l’argent.
                  Les champions sportifs sont adulés : ils ont réussi. Il est bien rare que l’on retrace leur parcours fait de travail et d’efforts inouïs.
                  Les valeurs de l’effort, de l’apprentissage, du travail sont minorées et chacun veut être chanteur, acteur, vedette, champion tout de suite, rien qu’en claquant des doigts. On tend sans cesse un miroir aux alouettes aux jeunes, ce qui les démobilise et les aigrit devant l’échec qu’ils n’arrivent pas à assumer, le rejetant sur leurs parents, les enseignants, les autres quoi.

                  Une anecdote : une jeune fille se plaint de n’avoir eu que 8 à l’écrit du bac de français et elle en veut à son professeur. Je lui demande quelle a été sa moyenne durant l’année  : après force hésitations, elle me répond : 8 . Que répondre à cela ?


                  • loco 25 juillet 2010 23:05

                     L’image de soi est une corde vitale de l’individu. Or, dans bien des domaines, celle-ci est mise à mal systématiquement, l’organisation sociale semblant faire de cette déstabilisation -de ce mépris ? - son axe de fonctionnement.
                     Au travail, tout processus en place est aussitôt combattu comme obsolète, par une direction qui vante en même temps le savoir-faire, rejetant ainsi le défaut non sur l’organisation, mais sur l’individu. En politique, au terme d’une carrière sans tache, devenu retraité vous voilà coupable d’être un poids insupportable du fait de la loi qui vous a poussé vers la sortie. Au volant, après 40 ans sans accident, vous voilà délinquant pour un anniversaire arrosé suivi d’un retour pépère à la maison, et menacé de prison par le boutonneux de service. La liste est longue du déni d’une vie de travailleur et de citoyen honnête (mais sans rolex) et courageux, traité en gueux par une élite corrompue. Alors, oui, on se replie entre amis, et pour tuer le temps, on graisse le fusil.

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