Les terroristes ont-ils gagné ?
Malgré les 5.000.000 de manifestants de dimanche et les 3.000.000 d'exemplaires de Charlie Hebdo vendus aujourd'hui, on peut légitimement se demander si les attentats de Paris ne vont pas avoir pour effet une instauration de facto de la charia.
Le terrorisme intellectuel de papa, c’était quand même le bon temps…
Jusqu’ici, quand vous franchissiez la ligne jaune tracée par le politiquement correct, les sanctions étaient raisonnables. Bedos vous traitait de connard. Ruquier et Barthès se foutaient de votre gueule. Plenel - dont la vue détruit en une minute le capital sympathie que Magnum et Roland Magdane avaient accumulé en faveur de la moustache -, Plenel, donc, vous fusillait de son regard bleu métal de commissaire du peuple. Vous aviez évidemment droit à un édito assassin dans Médiapart, à un édito assassin dans Libé, à un édito assassin dans les Inrocks… Si vous faisiez vraiment le con, Laurent Joffrin vous incluait dans son herbier dans les pages « facho-réac », recensement minutieux de toute une vie de procureur de la République des lettres et du PAF. Vous étiez alors rangé dans le même tiroir qu’un Finkielkraut, qu’un Muray ou qu’un Taguieff. Dur, peut-être. Mais supportable.
Soyons honnête : la plupart des condamnés s’en remettaient. Certains le vivaient même très bien. Après tout, vos camarades en ignominie n’étaient pas n’importe qui. Pour un esprit libre et un homme de goût, être assimilé à ces damnés avait même, j’en suis convaincu, quelque chose de jouissif. J’ajoute, parce qu’on ne vit pas d’amour et d’eau fraîche, que cette mise à l’index avait de sérieuses contreparties en espèce sonnantes et trébuchantes. Vous pouviez en effet vous tailler une belle petite popularité parmi tous les membres de la « France sacrifiée », chère à Guilluy. Vous savez, ces hommes et ces femmes qui vivent toute l’année dans une ombre médiatique permanente ; ceux qui, depuis des décennies, n’ont droit qu’au mépris des élites médiatiques de ce beau pays. Bref, la situation avait ses bons côtés. Demandez à Zemmour ce qu’il en pense, lui qui, dès qu’il lève la plume, vend seul plus de livres que tous les éditorialistes bien-pensants réunis.
Si vous avez toujours rêvé d’être un résistant, c’est le moment d’entrer dans la carrière…
Mais ça, c’était avant les attentats de Paris. Avant la probable victoire des terroristes. Parce que oui, c’est la mauvaise nouvelle du jour : les terroristes ont sans doute gagné. Passer une certaine ligne jaune coûte désormais un prix exhorbitant, que peu seront prêts à payer.
Parler de victoire des terroriste aujourd'hui peut sembler paradoxal, j'en conviens. C'est pourtant ma conviction. Les manifs de dimanche, les 3.000.000 d’exemplaires de Charlie, les témoignages de solidarité venus du monde entier… Ce fut un joli chant du cygne. Un sursaut en trompe-l’oeil. On ne pouvait quand même pas abandonner la liberté d’expression comme ça, capituler en rase campagne, sous le regard du monde. On a donc montré qu’on était toujours cap’, qu’on en avait encore. Mais une évolution vers une forme de théocratie s’est mise en marche mercredi passé. J’en ai bien peur. Elle sera faite de tout petits renoncements. Ils ont déjà commencé.
A Canal +, d’abord. Canal… le royaume de la déconne, le temple de la rebellitude, la Jean Moulin Inc., qui a toujours courageusement résisté contre des forces exsangues depuis à peine un siècle, comme l’Armée ou l’Eglise catholique. Canal, l’Impertinence incarnée jusqu’au sublime, interdit aujourd’hui à Guillaume Meurice de montrer à l’antenne une caricature de… Charb[1]. « Trop dangereux coco ! Tu n’y penses pas ! Chais pas moi, torche-nous plutôt un billet sur Sarko ou Frigide Barjot ! T’as quand même bien ça en magasin ? »
Et ce n’est pas un cas isolé. Hélas. La couverture du dernier Inrocks, représentant Mahomet en pleurs devant les caricaturistes de Charlie Hebdo, a fini par être publiée dans l’enthousiasme du moment. Mais elle a été très discutée en interne, certains pensant qu’elle faisait « courir un risque grave au personnel. » Peut-on leur donner tort ?
Deux exemples révélateurs, donc, qui en cachent sans doute d’autres, qui montrent que la marche vers le rétablissement de facto du délit de blasphème est une réalité. Et nous ne parlons ici que de médias français connus pour leur ton libre et iconoclaste. Et nous ne parlons pas des menaces de mort qui vont se multiplier, à l’instar de celles qui visent Zemmour. Avouez que ça promet.
Mais la peur qu’inspirent les terroristes, légitime et compréhensible, ne sera pas seule à museler les médias. Elle sera renforcée - à moins que ce ne soit l'inverse - par une forme d’autocensure mise en place par certains, depuis un moment, « pour ne pas heurter nos concitoyens musulmans ». Des concitoyens dont on a pu voir la réaction décalée face au drame : mélange de réprobation à l’encontre de la violence et de compréhension pour son motif. A ce propos, les hauts cris enregistrés dans le monde musulman lors de la sortie du dernier numéro de Charlie Hebdo ne vont dans le sens d’une plus grande tolérance. Bien au contraire.
Bref, avec ce qu’il y a comme terroristes potentiels qui courent dans la nature, il faudra désormais un sacré courage pour tenir un discours critique sur l’islamisme, le djihad ou plus largement sur l’islam. Les braves vont pouvoir se compter. J’avoue qu’il y a des jours où on est heureux d’être un parfait inconnu.
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