Les vraies raisons du résultat électoral
Le résultat du premier tour des élections municipales n'est pas une surprise : le record d'abstentions, la désintégration de la gauche officielle et la percée du Front national étaient des évidences qu'il était facile de prévoir. Nous les avons annoncées depuis des années.
Hélas, dans un désert d'aveuglement dont on ne voit pas la fin.
L'atterrante médiocrité des commentaires – politiciens, experts et journalistes serinant les mêmes clichés – prouve que la caste dominante (la "drauche" – droite + gauche – de l'UMPS) n'a toujours rien compris. Personne, à l'échelle des moyens d'expression importants, n'évoque les vraies raisons de ce résultat.
Déjà, pour commencer, on passe sous silence un phénomène qui marque les dernières décennies : le gouffre qui s'est créé entre les peuples et leurs dirigeants. J'ai écrit trois livres pour essayer d'attirer l'attention sur cette inquiétante évolution : la croûte des soi-disant élites ne parle plus la même langue que le restant de la société ; la masse de la population ne se sent plus représentée par des gens qui vivent sur une autre planète ; le pouvoir a perdu ce qui fait l'essence de la démocratie, la confiance dans les élus. Même en pleine période des magouilles de l'entre-deux tours, les électeurs n'écoutent plus les consignes et mots d'ordre des états-majors de leurs partis.
A ce lien rompu s'ajoute le spectaculaire accroissement des inégalités. Les riches s'enrichissent, les moins riches stagnent, les pauvres se multiplient. L'éventail s'étire entre la "haut" et le "bas" de la société. Le couvercle des nantis, de mieux en mieux protégé, domine la masse des défavorisés, à une distance qui ne cesse de croître.
Que peut inspirer cet état de choses ? Pas difficile de l'imaginer. La désillusion d'abord, fruit délétère des promesses électorales non tenues. Le stress du chômage, qui accable un dixième des Français. Un sentiment d'impuissance, d'impossibilité de se faire entendre. Puis le refuge du désintérêt pour la politique, ou l'énervement devant le mur de la différence de classe. Pour les moins passifs, l'indignation que provoque l'extension de l'injustice. La colère, qui pousse à voter pour l'opposant considéré comme le plus ferme et le plus efficace. Autrement dit, soit la résignation dans l'abstention, soit la rage de la dernière chance vue comme extérieure au magma de la "drauche", Marine LePen ou Mélenchon.
Constat facile à faire. Il suffit d'un peu de bon sens. Mais psychologie élémentaire qui reste à la surface. C'est là où il faut creuser en profondeur. Analyser les motifs réels de cette double réaction d'inertie ou de révolte.
J'en vois au moins quatre, spectaculairement absents des grands médias.
1) Les effets du choix économique. Depuis le sursaut d'indépendance gaullien, qui avait redoré avec fierté l'image d'une France souveraine, nos gouvernements successifs ont peu à peu transformé l'alliance occidentale en une servilité atlantique. Le système néolibéral du capitalisme débridé, imposé par les néocons de Washington, est devenu notre règle de vie, avec son cortège de chômage, d'inégalités et d'injustices. Personne ne conteste la totalité de l'édifice. Personne ne met en question le soi-disant remède à la crise qui étrangle le peuple : la politique d'austérité. Personne ne s'oppose aux économies soi-disant indispensables qui ravagent les services les plus importants de la nation, comme la santé ou l'éducation.
2) Le poids du pouvoir des banques et de la dette. Le renflouement des criminels à l'origine de la crise a souligné la puissance des établissements financiers. Ayant privé l'Etat du droit à sa monnaie, les banques contrôlent les gouvernements. Avec les grandes multinationales, elles ont fabriqué une Europe qui est un monument de paralysante et coûteuse technocratie. Elles se gavent de la dette nationale qui atteint des proportions cosmiques en plombant les budgets. Qui parle d'en nationaliser les plus nocives ? Qui propose de refuser de payer, de s'affranchir d'obligations artificielles qui drainent les ressources du pays en le réduisant à la mendicité internationale ? Qui a le courage de rejeter la dictature du FMI ou de la Banque mondiale ? Qui exige de mettre un terme à la spirale mortelle du nouveau trou financier à creuser pour boucher le précédent ?
3) Le coût de la politique étrangère. On sait que les difficultés de la vie quotidienne limitent l'intérêt de la plupart des gens pour les événements internationaux. Mais tout de même, les délires du Quai d'Orsay ne peuvent pas passer inaperçus. Pour une raison simple : ils coûtent cher. Au vu des résultats désastreux des interventions occidentales que la France a menées ou auxquelles elle a participé – en Libye, en Afghanistan, en Syrie, en Ukraine, entre autres – qui réclame de reprendre le flambeau gaulliste en sortant de l'OTAN ? Plus largement, qui met à son programme un ravalement de notre politique étrangère : relâchement du garrot impérial américain, suppression de la russophobie, relations consolidées avec les émergents à la conquête de leur indépendance en Amérique latine, cessation de la colonisation de l'Afrique, entre autres composantes d'une souveraineté retrouvée ?
4) La faiblesse des défenseurs de la laïcité. Le refus des discriminations racistes et de la xénophobie identitaire – un refus qui est un des fondements de la civilisation et dont il ne faut jamais arrêter de souligner la gravité – n'implique pas le renoncement à une caractéristique essentielle de la République, la laïcité, a séparation de l'Eglise et de l'Etat, la distinction entre le spirituel et le temporel. Chez nous, dans ce domaine, les lois existent. Inutile d'en inventer de nouvelles. Ce sont les entorses à leur application qui irritent. Les multiples concessions faites dans la vie pratique pour se gagner des clients pratiquants ou des voix confessionnelles. Le sujet étant plus ou moins tabou dans la sphère officielle quand il s'agit de l'islam, personne n'insiste avec fermeté et sans équivoque sur le fait que tout immigrant d'un Etat religieux doit respecter la loi et les usages du pays d'accueil sans chercher à les changer – en France, le principe de la laïcité républicaine est contraire au prosélytisme d'une croyance – ou renoncer à s'y établir en retournant d'où il vient.
Voilà quelques pistes d'explication du résultat électoral qui font défaut à nos foudroyants commentateurs. Les grands médias les ignorent, considérant notre statu quo de colonie américaine – libre-échangiste et droitdel'hommiste – comme acquis une fois pour toutes. Nos dirigeants se laissent porter par le courant de la pensée standard, vierge de toute objection. On ne sort pas du système. Qui ne dit mot consent. Et c'est ce consentement qui provoque. Devant le silence de nos politiciens à propos de tout ce que nous avons évoqué ci-dessus, comment s'étonner des deux réactions révélées par la consultation : "voter ne sert à rien" ou "essayons les extrêmes pour en sortir".
Elles sont dans la logique d'un Occident qui fabrique son propre tombeau.
Louis DALMAS.
Directeur de B. I.
13 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON