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Lettre à Nathalie Kosciusko-Morizet

« Le téléchargement illégal fait mal, ça détruit »...

Madame le Ministre, si c’est ainsi que vous commencez votre travail, je suis très inquiet. Cette phrase montre deux faits : premièrement, vous ne semblez pas comprendre ce qu’est la nouvelle économie portée par Internet, alors que vous êtes en charge de la prospective ; et deuxièmement, vous ne semblez pas voir où sont les vrais problèmes du numérique.

Parlons du premier fait. Sans faire un cours d’économie, je dirais simplement la chose suivante : l’économie de l’immatériel est une économie d’abondance, alors que l’économie matérielle est une économie de rareté. Lorsqu’on partage un bien matériel, il se divise. Lorsqu’on partage un bien immatériel, il se multiplie. Les règles économiques qui gèrent la vente de pizza ne sont absolument pas les mêmes que les règles économiques qui gèrent la vente de la musique. J’ai déjà expliqué cela dans un ouvrage écrit en 2004 et paru aux éditions du Pommier. Internet porte les valeurs de l’économie de l’abondance. Or, tout le jeu actuel de l’industrie du contenu (musique comme film) est de nier ce fait, et de retourner le plus possible à une économie de rareté, par exemple avec les DRM (stupidité qui est actuellement en train d’être abandonnée...) ou bien en infligeant de lourdes amendes à des "pirates" qui ont mis à disposition du contenu.

Madame le Ministre, avez-vous lu l’excellente analyse de Roberto di Cosmo en 2006, qui montrait que le modèle économique nouveau de l’Internet apportait plus d’argent au créateur que le modèle ancien ? Avez-vous regardé des sites comme Sellaband, qui sont des modèles en peer to peer où des passionnés investissent dans des créateurs pour leur permettre de lancer un CD ? Avez-vous lu cet article paru en 2002 dans le New York Times, écrit par Kevin Kelly, un des deux fondateurs de Wired magazine, qui montrait déjà le déplacement de la valeur dans l’industrie de la musique ?

Madame le Ministre, savez-vous ce qui va se passer si l’on continue de protéger les retardataires qui refusent de comprendre que le monde change ? C’est très simple, l’industrie du contenu va mourir, parce que toute protection empêche une industrie de se transformer en innovant. Et comment va-t-elle mourir ? Par assèchement de son catalogue. L’objectif numéro un d’un créateur moderne est de se faire connaître, et justement Internet le permet, en favorisant la transmission rapide de sa musique. Une excellente étude de 2003 publiée par la Sloan School a montré qu’Internet, au travers de l’effet "longue traine" (effet pas toujours très bien compris) avait apporté 500 millions de dollars supplémentaires à l’industrie du livre, uniquement en vendant des livres peu connus. Si elle ne pense pas la modernité, l’industrie traditionnelle du contenu va peu à peu réduire son catalogue à un mélange d’artistes vieillissants et de "Star Academy". Ce n’est pas très palpitant...

Maintenant, deuxième point : quels sont les vrais problèmes ? Madame le Ministre, je ne me permettrai en aucun cas de faire votre métier, je me contenterai de trois simples réflexions.

En premier lieu, je citerais le problème du très haut débit. L’ADSL est une absurdité, pas seulement à cause de son débit ridicule, mais à cause de son "A". Peu de personnes en connaissent sa signification : "Asymétrique". car l’ADSL a été inventé par des ingénieurs des Télécommunications, qui ont raisonné en terme de vidéo à la demande. Ils ont donc privilégié le download, au prix d’un upload à très bas débit (entre 512kb/s et 1Mb/s). Ils ont raisonné culturellement en pensant un monde où les relations sont verticales ; ce monde ancien que, justement, l’industrie du contenu veut maintenir.

Seulement, Madame le Ministre, Internet n’est pas la télévision, Internet est une technologie de pair à pair, horizontale. A partir de là, le citoyen veut uploader son contenu, que ce soit sur youtube, dailymotion, flickr, ou bien tout simplement pour envoyer ses photos à ses amis, à sa famille. Pourquoi diantre obérer ainsi l’upload ? Il faut donc du très haut débit symétrique. La solution existe, elle a déjà été déployée ailleurs, la fibre optique. D’autres hommes politiques ont eu le courage de construire des routes, des autoroutes, des chemins de fer. Il faut avoir le courage aujourd’hui de construire un véritable réseau en fibre optique (oserais-je rappeler ce qui est arrivé à Tours, à Orléans, qui par conformisme ont refusé le train ???), et là se situe fondamentalement le rôle de l’état.

Continuons sur les grands chantiers : la mobilité est en retard en terme d’usage. Pourquoi ? Essentiellement le modèle économique outrancier des opérateurs de télécommunication (savez-vous que, dès que vous surfez en dehors de la France, il vous est facturé entre 5 et 10 euros par mega-octet transféré ??? Ce n’est pas comme ça que nous aiderons nos PME à aller vendre à l’étranger...). Un quatrième opérateur, qui viendrait avec une culture Internet, des modèles économiques en pair à pair, qui aiderait par exemple à installer des Femtocells partout, cela ferait un grand bien, cela permettrait véritablement de donner les conditions d’un nouvel élan économique, au travers de l’explosion des usages en mobilité.

Autre exemple, il faut moderniser l’image des métiers de l’Internet. La DUI a lancé le portail des métiers de l’Internet, dont la deuxième version va sortir prochainement. Il est surprenant de constater que, pour beaucoup de personnes, travailler dans l’Internet signifie être assimilé à un Geek, un "nolife", bref, à quelqu’un de perdu. C’est du gâchis. Lorsque j’ai créé en 2000 ma première start-up, et je me suis aperçu, en allant ouvrir la filiale Américaine dans la Silicon Valley, que la technologie française était extraordinairement considérée. Il ne faudrait pas que nos compétences naturelles se perdent, il faut favoriser l’enseignement de l’Internet dans l’enseignement supérieur, dans ses dimensions technologiques, économiques, sociales, comme je l’ai déjà exprimé ici.

Madame le Ministre, vous savez que ce n’est pas par la consommation que nous nous sortirons de la crise, mais par la production intelligente et la valorisation de tous nos savoirs-faire.

La première mission que les Français attendent de votre administration ne serait-elle pas de faire en sorte, par tous les moyens, qu’Internet soit le vecteur de transformation, et qu’il aide les entreprises à innover, et les citoyens à participer ? Si la complexité chère à l’administration de notre pays vous empêche d’en avoir tous les moyens, auriez-vous au moins la rage de convaincre les autres administrations qu’il faut travailler autrement ?

Car, Madame le Ministre, Internet n’est plus le monde du "OU", mais celui du "ET". Le monde évolue et devient un lieu d’échange en pair à pair. Aux modèles économiques verticaux classiques de l’industrie, Internet supporte la transformation vers un modèle horizontal, de place de marché.

C’est là que se situe le rôle principal de l’État : faire en sorte que cette place de marché soit porteuse de nombreuses interactions. L’État se doit de fluidifier les échanges, votre administration se doit d’y contribuer, en apportant aux entreprises et aux citoyens la meilleure infrastructure au meilleur coût. Les services y viendront par eux-même.

Madame le Ministre, laissons-donc les vieux modèles économiques mourir de leur belle mort, et construisons tous le futur, un futur qui sera supporté par un réseau à très haut débit symétrique.


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13 réactions à cet article    


  • Winael 5 février 2009 13:56

    J’aurais penser que Mme la Ministre allait nous apporter des bonnes nouvelles, je vois que non malheureusement. Dernièrement lors des assises du "piratage" l’auteur Philippe Aigrain dont l’ouvrage "Internet et Creation" tente de donner une approche légal de ce que pourrait être l’internet de l’échange culturel avec rétribution des auteurs, a été censuré.
    Pourtant c’est le seul modèle viable sur internet, dans une économie d’abondance.
    M. Sarkozy a dit : "Je veux que la culture soit la réponse à la crise que nous connaissons.". Pourtant force est de constater que tout est mis en oeuvre pour assasiner la Culture, par le biais de lois dangereuses, infondées tant au niveau national qu’européen (J’ai d’ailleurs écrit un article sur Agoravox sur ce sujet qui n’a pas encore été validé :s)
    En réponse aux Assises du "piratage", le collectif Libreacces (http://libreacces.org/) organise le jeudi 12 février les Assises de "la Liberté, La création et Internet", avec notement l’eurodéputé Daniel Cohn-Benditt, le député de Seine et Marne Franck Riester (UMP - Sous réserve), Jacques Boutault, maire du 2e arrondissement de Paris et aussi certains représentant de la culture libre en France (Mathieu Pasquini de InLibroVeritas, Jeremy Zimermann de la Quadrature du net, Gérald Guibot président du label CC We are unique records...).
    Si Mme la Ministre veut bien venir débattre intélligement sur les questions de créations dans l’ère du numérique, elle est donc la bienvenue.


    • fredleborgne fredleborgne 5 février 2009 14:03

      Lettre peine perdue.
      Rien que cette remarque, signe d’allégeance à l’industrie des médias, industrie où elle a des intérêts personnels via de la "famille", malgré qu’elle s’en défende... rien que cette remarque donc la renvoie à ce gouvernement félon et corrompu qui a pris en charge les intérêts de la France pour les soumettre à ceux des multinationales, en particulier américaines.
      Nos usines ferment pour pouvoir payer les gens un minimum dans celles qui restent opérationnelles, pour que les chomeurs vident les caisses de l’état, pour que les usines étrangères puissent travailler à moindre coût très loin, pour que les "gros" s’empiffrent à tous les stades de production, fabrication, exportation, importation et produits dérivés...
      Le marché global n’est ni équitable, ni durable, dispendieux en ressources, dangereux par pollution et risques environnementaux (navires poubelles).
      A voir avec cette ministre ?
      Une complice comme une autre de l’ "encadrement culturel", et de la désertification intellectuelle par le productivisme...
      En perspective de la prospective : tuer les indépendants du Net.


      • Yena-Marre Yena-Marre 6 février 2009 12:39

        Bonjour ,

        Pas tout à fait d’accord avec vous sur le rôle de la p’tite Nat , je pense qu’elle est là pour fliquer le net et que le protection des auteurs ou des pédophiles n’est qu’un alibi .


      • Forest Ent Forest Ent 5 février 2009 15:18

        Cet article dit entièrement vrai.

        Mais ce ministère porte une malédiction qui transforme des gens cultivés en misérables porteurs de valise des industriels. Aillagon et Albanel étaient des gens quasiment normaux (RDDV je ne suis pas sûr). Après, il faut faire plaisir aux copains des présidents, ceux qui ont le pognon et les médias pour faire marcher la boutique et qui se trouvent justement être les propriétaires des "industries culturelles".

        NKM a montré à l’environnement qu’elle connaissait le dossier. Ca n’a pas plu. Elle fera attention cette fois-ci.

        Mais leur cause est désespérée. Bientôt la faillite de la RIAA et de la MPAA...  :->


        • Atlantis Atlantis 6 février 2009 00:35

          NKM a montré à l’environnement qu’elle connaissait le dossier.

          mais bien sûr ... -_-. documentez vous un peu plus et vous verrez qu’elle a su profiter des temps morts pour se monter en sauce, mais après : du flan ! (de l’environnement elle n’a compris qu’une chose : la comm’ avant tout, comme son cher Konductator) elle vaut pas mieux que borloo, voynet et compagnie (ni pire ni mieux d’ailleurs).


        • Deneb Deneb 6 février 2009 08:13

          "...L’objectif numéro un d’un créateur moderne est de se faire connaître..."

          moi je dirais plutôt : de s’exprimer. De "se faire connaître" s’inscrit déjà dans une demarche commerciale. Le vrai créateur, tourmenté et souffrant du poids qu’il porte n’a, à l’instar d’une accouchée, qu’un seul objectif : "Que ça sorte !". Quand c’est "pour se faire connaître", la recherche de notoriété souille la création, tout comme le souille l’appat du gain. Dans un société chretienne, tout tourne autour de la culpabilité. Les créateurs devrait plutot s’inspirer de l’hindouisme, ou la valeur centrale est le détachement.

          A part ça, bravo à l’auteur . Je m’associe pleinement à cette lettre ouverte au ministre. Je pense que la sortie de la crise ne se fera pas en verouillant, mais au contraire en libérant l’information.


          • Sébastien Sébastien 6 février 2009 09:23

            Tres bon article.

            Je vous rejoins sur le debit symetrique et sur la mobilite. D’ailleurs sur ce dernier point, les operateurs mobiles ne font pas grand chose, sortent des myriades de forfaits pour nous faire croire qu’ils essaient de baisser les prix alors que pas grand chose ne change au final.

            Depuis mon premier portable en 1995, le prix de mon forfait n’a pas beaucoup baisse. Le prix des SMS non plus. Il n’y a aucun service innovant ou gratuit pour le consommateur. A titre de comparaison, durant la meme periode, les debits d’internet ont ete decuples, et pour ce que je payais a l’epoque avec un modem 28k, on a maintenant internet haut debit + TV + telephone.


            • Nathan Nathan 6 février 2009 10:45

              Avox, fight club pour geek ? 5 minutes sur les children ...


              • Nathan Nathan 6 février 2009 10:52

                Il faut une législation.


              • Nathan Nathan 6 février 2009 10:53

                Fermez-les yeux . Insss . A BAS LES PIRATES !


              • zwardoz 6 février 2009 12:23
                Très bon article ; on ne peut qu’en ajouter dans le même sens ;
                la mégalomanie et surtout le repli sur ses acquis d’un regroupement d’intérêts sans aucune envergure et incapable de prévoir tellement engoncé dans ses rentes sécurisées. Incapable de profiter des nouvelles possibilités et ralentissant tout de par ce recroquevillement 19èmiste.
                Ils ne comprendront jamais que la redistribution, même momentanée, à l’ensemble sera profitable aux secteurs pour peu que ceux-ci inventent leurs moyens (cette classe si limitée peut-elle-même encore imaginer quoi que ce soit ??)
                Le libéralisme c’est bien lorsqu’il est suffisamment intelligent pour refonder la pluralité et investir dans l’avenir et non pas concentrer et consolider des pouvoirs acquis.
                C’était le moyen d’installer dans la société une ambition culturelle bien plus élargie et décentralisée.
                Très bon article ; on ne peut qu’en ajouter dans le même sens ;
                la mégalomanie et surtout le repli sur ses acquis d’un regroupement d’intérêts sans aucune envergure et incapable de prévoir tellement engoncé dans ses rentes sécurisées. Incapable de profiter des nouvelles possibilités et ralentissant tout de par recroquevillement 19èmiste.
                Ils ne comprendront jamais que la redistribution même momentnnée à l’ensmble sera poriftable

                • darthbob darthbob 6 février 2009 12:40

                  Bravo pour votre article et surtout pour ce passage :

                  "l’économie de l’immatériel est une économie d’abondance, alors que l’économie matérielle est une économie de rareté. Lorsqu’on partage un bien matériel, il se divise. Lorsqu’on partage un bien immatériel, il se multiplie. Les règles économiques qui gèrent la vente de pizza ne sont absolument pas les mêmes que les règles économiques qui gèrent la vente de la musique."

                  c’est tellement loin du discours pitoyable servi depuis des années par les RDDV, albanel, Lefebvre fils de Jean, NS et tutti quanti

                  Ces personnes ont une intelligence limitée qui ne peut envisager l’économie d’abondance.

                  Un monde régi par l’abondance est un monde où leur pouvoir et leur richesse serait extrèmement limités !

                  Merci


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