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Accueil du site > Tribune Libre > Lettre de Nicosie

Lettre de Nicosie

Hier encore, j’étais à la frontière Egyptienne avec la Libye. Il y a quelques jours, dans un tunnel, sous la frontière avec Gaza. Et aujourd’hui sur le mur d’une capitale qui la divise et qui a survécu au mur de Berlin. Je croyais, en quittant l’Egypte et son effervescence exaltée et surréelle, que je m’approchais au monde figé, le nôtre, celui où rien ou pas grand-chose se passe, où par procuration on rêve d’un monde meilleur, le regard fixé sur Tunis. Et me voilà devant une scène encore plus inattendue : des milliers de chypriotes turcs, avec leurs affiches et étendards exigeant  l’unification de l’île, la fin de l’occupation, la fin des caciques et de l’administration servile vouée à Ankara, bref une île sans mur, unie et solidaire. Ce peuple exige la même chose qu’au Caire : du pain, de la liberté et de la démocratie et demande - comble surréel pour un vieux de la vieille que je suis -, aux chypriotes grecs de donner un coup de main, de s’unir à eux pour mettre fin à cette partition honteuse et à cette fiction de démocratie que constitue le nord de Chypre.  

Et à quelques exceptions près, car il existe toujours des nostalgiques doloristes, les chypriotes grecs répondent par un oui franc et massif, emportés par le message de la place Tahrir. Chypre c’est loin, mais c’est tout de même l’Union Européenne. Indépendamment du message, une fois encore, le monde citoyen, le peuple, s’attaque à des nœuds gordiens réputés indéliables, et sur lesquels les Etats ont pendant des décennies prouvé leur inaptitude, au nom de leurs arrières pensées et de leurs intérêts rétrogrades. Le premier ministre turc, solidaire avec le peuple égyptien ne trouve pas de mots assez durs et méprisants pour fustiger « son » peuple qui « ose » « exiger » quoi que ce soit, preuve qu’il a encore besoin de quelques cours d’universalisme. 

Une fois à Nicosie, à quelques encablures du Liban, les nouvelles circulent. Vous savez, ces nouvelles qui ne passent jamais les perrons de nos chancelleries, et qui font dire à nos diplomates et nos élites politiques « qu’on ne pouvait pas prévoir » Bref, ne soyez pas étonnés si demain, à Beyrouth, ultras et caciques qui se partagent le pouvoir se voient contestés par ceux qu’ils sont censés représenter. Ne soyez pas surpris que le régime de Damas, autre « sage partenaire » de notre diplomatie, chancelle. Ne soyez pas surpris que le Caucase, las de ses guerres d’un autre âge, d’Erevan à Bakou se mette à vouloir vivre en paix exigeant le minimum : démocratie et liberté. Ils étaient avant hier des dizaines de milliers dans la capitale arménienne à exiger des élections démocratiques. Et les erzaz, à Bakou, qui habitent depuis une décennie des wagons désaffectés, exigent, comme les chypriotes turcs, de trouver une solution pacifique qui leur permettrait de vivre (rien que ça) comme des êtres humains. Le pouvoir azerbaïdjanais, fait ses discours de guerre, toujours les mêmes, se prépare soi-disant à la reconquête de Karabakh, mais le peuple crie enfin : pas en notre nom.  Et le changement, tel l’eau dans des vieilles canalisations rafistolées, trouve sa voie là où il n’est pas attendu. 

 


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13 réactions à cet article    


  • alberto alberto 3 mars 2011 11:49

    Oui, Michel Koutouzis,

    Mais les chypriotes turcs, mais aussi grecs, ne seraient-ils pas un petit peu les otages de la Turquie qui pourrait conditionner son acceptation à la réunification de l’ile à celle de son entrée dans l’Union Européenne ?

    Espérons que le dynamique des peuples montre sa force devant l’inertie des états...

    Bien à toi.


    • suki18 suki18 3 mars 2011 12:07

      Une petite question à notre spécialiste maison ! mais qui soutient ces régimes s’ils sont servilement alignés sur les politiques occidentales ? c’est très bien de se préoccuper de la question de la démocratie dans le monde arabe ! de la question de la réunification de l’île de Chypre ! mais cela permet surtout de fermer les yeux sur la tragédies Palestiniennes, Irakiennes ou Afghanes,vous savez les saccages produit des méfaits de l’axe du bien . On peut toujours continuer à véhiculer ses fantasmes sur les perfections du « monde démocratique » , je pense que la faillite de la diplomatie Française donne à elle seule la mesure de l’hypocrisie désormais affichée des pseudos élites qui gouvernement la république, simple jeu de miroir de ce qui se pratique dans le monde dit civilisé.


      • Michel Koutouzis Michel Koutouzis 3 mars 2011 12:16

        Je crois m’être exprimé à plusieurs reprises sur ces trois tragedies, entre autres. Je ne peux pas écrire sur tout en même temps. Mais vous trouverez amplement sur Avox mes textes sur l’Afghanistan et l’Iraq. Et depuis des années sur le drame de la Palestine (mais sur d’autres supports). Quand à la diplomatie française et plus généralement européenne vous trouverez mes textes, très récents, ici à Avox.


      • Emmanuel Aguéra LeManu 3 mars 2011 15:26

        Salut.
        Bonne piqûre de rappel...
        Excellent papier sur la situation à Chypre, otage anachronique d’un équilibre hypocrite des forces dans l’est Méditerranéen, c’est à dire théâtre d’une catastrophe sociologique complête.
        Mais quand-même, Michel, pas un mot sur l’avènement d’internet dans tout ça... Il me semble pourtant bien que la « dynamique des peuples », comme l’appelle plus haut Alberto, lui est directement proportionnelle ?
        Et au passage... un certain plaisir (un plaisir certain) à la lecture, merci en général de la qualité de vos papiers.


      • Hadj Ahmed 3 mars 2011 12:19

        Bonjour, juste une remarque place ’Tahrir’ pas ’Tahir’ ça peut sembler anodin ça ne l’est pas, les deux mots ont un sens en arabe, Tahir signifie pur quand Tahrir signifie libération...


        • Michel Koutouzis Michel Koutouzis 3 mars 2011 12:23

          Absolument, merci pour la remarque et mille excuses.


        • Floréal 3 mars 2011 13:36

          Une seule réponse pour tous les peuples, qu’ils soient opprimés ou pas : l’autodétermination démocratique. Quitte à élever le taux de pourcentage à plus de la moitié. L’autodétermination à durée déterminée, à intervalles réguliers, au moins une génération (vingt ans). Ce fut le cas au Kosovo, mais cela pourrait être le cas en Catalogne, au Pays Basque, en Corse, en Wallonie, etc.
          Le problème qui se pose c’est : et après ? on fait quoi ? Il faut un grande structure d’accueil Fédérale qui respecte les peuples qui se sont exprimés par la voie démocratique et qui acceptent de transférer une partie de leur souveraineté en échange d’une paix durable et d’un degré d’autonomie suffisant pour ne pas perdre son ... âme.


          • globulos nilasse 3 mars 2011 14:11

            ce genre de mouvement donne de l’espoir.


            • spartacus le vrai pas l'autres !!! spartacus 3 mars 2011 15:00

              On est au début, d’une nouvelle ère, celle de l’éveil des consciences qui fait si peur à tous nos dirigeants sbires du NWO.
              D’où une accélération des processus de privation de liberté, de destruction de toutes les conquêtes sociales.
              Ce que je crains, c’est qu’ils ne laisseraont pas le peuple mondiale s’émmanciper aussi facilement.
              Tous sont comme kadafi, ils sont prés à tout détruire pourvu que personne n’en profite.

              « SEDITION »


              • L'enfoiré L’enfoiré 3 mars 2011 16:30

                Salut Michel,
                 Que de souvenirs de Chypre. Le chic, le chèque et le choc
                 Oui la scission du pays en 1974 a été très mal digérée. Des familles coupée en deux parties. Près de 37 ans après, les tentatives de fusion n’ont pas été plus loin que des voeux.
                 Merci pour cette réactualisation. 


                • vachefolle vachefolle 3 mars 2011 22:59

                  Chypre sud utilise son veto contre les discussions de l’entrée de la Turquie dans l’europe, et veut faire payer le maximum en compensation. A contrario la Turquie ne voudra lâcher Chypre Nord, qu’une fois dans l’UE. Bref avec leur susceptibilité et leur braquage total sur Chypre, aucune chance que la Turquie ne cède en premier, et donc rentre dans l’UE avant une éternité.

                  C’est le pari que tout le monde fait pour justifier l’échec final de la Turquie dans l’UE.
                  Paradoxalement, si Chypre se réunifiait toute seule, cela embêterait autant les turcs que les anti-turcs européens.

                  Maintenant accepter de discuter avec la Turquie, qui est le seul pays occupant une partie du territoire de l’UE, c’est de toute manière une heresie.


                  • Liberté_chérie 3 mars 2011 23:13

                    Le parti pris manifeste et le deux poids deux mesures à l’égard de tout ce qui touche la Turquie m’a toujours assez interloquée. En effet, tous ces gens qui sont là à toujours chercher des oppresseurs et des oppressés, qui sont les inféodés, ceux qui souhaient l’indépendance de l’île ?
                    Bref rappel historique car l’ignorance et la volonté d’avoir une opinion sur tout ne font pas bon ménage généralement et produisent une dangeureuse naÏveté qui comme dans le cas des révolutions arabes ou de tout autre évènement, aveugle aujourd’hui un certain nombre d’individus qui ne parviennt pas à prendre du recul sur les évènements pour y voir les intérêts stratégiques sous jacents.
                     
                    Je rappelle ainsi que la partie grecque de l’île est inféodée à la Grèce mais de cela vous ne dites mot car c’est aussi la cause de la guerre ! L’EOKA, Makarios tout ça ne vous disent rien ? Les chypriotes grecs ont voulu rattacher l’île à la Grèce et procédéer à des épurations ethniques sur les populations turques. L’intervention de l’armée turque a d’ailleurs indirectement provoqué la chute de la dictature des colonels. A la même époque c’est un gouvernemnt de gauche, dirigé par Bülent Ecevit qui était au pouvoir en Turquie et tout s’est fait dans les règles d’un Etat souverain qui se sent menacé à un point stratégique.

                    Maintenant, beaucoup de temps est passé en effet mais il est évident que la Turquie n’est pas un pays qui se laissera pigeonner par l’UE (dont la majorité du peuple turc ne veut pas et il a bien raison) car pour qu’elle ouvre ses ports à Chypre comme l’exige l’UE, il faut que Chypre ET la Grèce prennent des initiatives qui vont dans le sens d’une réconciliation. Autrement, la suspicion ne se lèvera jamais et j’aimerais qu’on arrête de faire semblant qu’il y a aucune problème posé par les Grecs. Ok, la Turquie a peut être des torts mais ils sont partagés.

                    Enfin, dernier point, en 2005 (je ne suis pas sûre de la date), il y a eu un referendum et la partie grecque a rejeté l’unification. C’est une raison de plus pour que le premier pas viennent désormais de la partie grecque et non turque qu’on traite en criminelle alors qu’elle n’a utilisé que son droit de défense.

                    Quand on touche à la Turquie, l’honnêteté intellectuelle n’est jamais le fort des pays de l’UE mais bon l’objectivité journalisitique les medias l’ont oublié depuis fort longtemps maintenant. On commence à avoir l’habitude de la soupe idéologique.


                    • Michel Koutouzis Michel Koutouzis 4 mars 2011 08:20

                      Chère liberté chérie - inconnue, 

                      Parti pris, dangereuse naïveté, malhonnêteté intellectuelle, vous allez fort. Il se trouve que, hélas, à l’époque j’étais déjà sur la brèche, et votre rappel historique est un rappel confondant l’Histoire et mon histoire. Permettez moi donc de vous indiquer que si les chypriotes grecs étaient inféodés à Athènes, à quoi bon pour la dictature grecque d’organiser un coup d’Etat pour au mieux chasser au pire tuer Makarios ? L’EOKA était une organisation qui menait la résistance armée contre l’occupant anglais qui ne se privait pas de pendre ses membres (Karaoklis et Dimitriou étant les derniers exécutes). Vous parlez sans doute de EOKA-B un groupuscule d’extrême droite qui s’obstinait à renverser Makarios et qui a été le protagoniste du coup d’Etat organisé par le chef de la police militaire grecque Ioannides. Ce dernier a été condamné à mort à la chute de la dictature par la justice grecque, sa peine communiée à la prison à vie (comme celle de toutes les autres condamnations à mort). Bülent Etchevit, surnommé « le poète », était si à gauche que, pour gouverner un peu plus tard, il a fait alliance avec les Loups gris. Organisation d’extrême droite, férue de panturquisme, liée à plusieurs organisations mafieuses et en combattant d’autres (kurdes de préférence) pour le compte de Tansu Ciller, pendant la période des années de plomb qui suivirent la mort de Turkut Ozal.

                      Allons maintenant à l’essentiel : Je ne suis pas du genre à réfuter le fait que la communauté grecque (80 % de la population) persécutait la minorité turque (18%). Que les relations entre les deux communautés étaient pour le moins tendues, surtout dans les campagnes. Je suis de ceux qui pensent que Ioanides a agi comme agent provocateur permettant de la sorte une intervention turque sur l’île. (C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a été condamné aussi pour « haute trahison »). Depuis, la composition ethnique de l’île a été transformée par l’arrivée depuis l’Anatolie de dizaines de milliers de colons turcs, (avec les quels les turcs insulaires ont des très mauvais rapports) et l’île est administrée par Ankara et ses hommes de main locaux, qui mènent moins bien la baraque que R. Denktach. Ce dernier était originaire de l’ile et savait jouer les équilibres. (Il était le beau frère du président grec Klerides). Certes le referendum a échoué et je ne m’en réjouis pas. Mais il existe, dans les deux camps, des irréductibles.  Ce que j’observe aujourd’hui sur place c’est une volonté commune de s’affranchir des tutelles, et de s’émanciper.  Ce que je remarque c’est une réaction très négative de la part d’Ankara. Ce qui me réjouit c’est que le peuple chypriote, dans toutes ses composantes, ne veut plus payer les pots cassés d’une rivalité géopolitique entre Athènes et Ankara. Ce que je constate enfin c’est que le développement du sud et son enrichissement devient un « futur attractif » pour l’ensemble de la population chypriote qui n’aspire qu’à la démocratie réelle et non pas « dirigée ». Enfin, croyez moi sur parole, les élites politiques locales grecques  ne sont pas manipulables, elles l’ont montré, pour le meilleur et pour le pire, plusieurs fois dans le passé (referendum inclus).

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