Lettre Ouverte A Toutes Les Fourest Et Tous Les Joffrin
Il a raison le député UMP qu’est tout déboussolé. Le dénommé Yannick Favennec. Il conviendrait qu’ils « sortent un peu de leur bureau ». Certes, il causait d’Henri Guaino et de Luc Ferry, mais ça vaut itou pour Monsieur Joffrin et Mademoiselle Fourest. Tant m’est avis que ça fait lurette que ces deux-là, n’ont pas été humer l’air du dehors. Celui du populo. Même que c’est ça qui les perd.
Voire pis.
Un journaliste qui n’y va plus, sur le terrain, c’est plus un journaliste. Et c’est pas parce que ses confrères-subordonnés y vont, qu’il en sera plus instruit.
On ne peut pas parler de ce qu’on ne connaît plus.
La souffrance, les fins de mois difficiles qui, comme Coluche disait, le sont surtout les trente derniers jours, les brimades et autres humiliations, la colère avant tout, n’en ont pas idée, les Joffrin, les Fourest.
Ça théorise, ça élucubre, ça pond des livres, mais la réalité, la vraie, ils en sont gravement déconnectés.
La crise, Joffrin, Fourest, vous l’avez pas vécue... Vous ne savez pas ce que c’est. Comment ça dévaste. Tout qui s’écroule. Jusqu’à la plus petite illusion. Plus un quignon d’espoir. La solitude… Vous n’avez pas idée, pas la moindre, de ce qu’il endure, le peuple, par où il passe. Ce qu’il sacrifie…
Vous êtes des privilégiés.
Le passage du Franc à l’Euro, vous l’avez pas senti. Indolore. Incolore. Pour vous, avant, après, c’est du kif…
Vous êtes des épargnés.
Y’aurait tant à dire, n’est-ce pas. Tant à dire... Tout ce que vous avez raté, à côté, dépassé. Enfermés dans vos certitudes. Votre suffisance. Vos dîners au Siècle. Vos congratulations mutuelles, renvois d’ascenseur, cooptations et tutti [1]... On en a soupé. Ça vous disqualifie…
Vous n’êtes pas des interlocuteurs.
Il en a marre, le peuple. Il en peut plus. Tellement qu’on l’a trimballé, cocufié. Et c’est pas Florence Aubenas qui va le consoler. Le guérir de ses plaies.
On peut bien le traiter de tous les noms, le peuple, qu’est-ce que ça peut faire, qu’est-ce que ça change ?
A son quotidien.
On peut asséner qu’il n’entrave que pouic, qu’il ne voit pas plus loin que le bout de son nez, que c’est un inculte même, qu’il vote avec ses pieds, déraisonné, épidermique, et alors ?
A qui la faute ?
Tout de même, pour des gens censés être à gauche, vous êtes pour le moins curieux. Moi qui croyais que la gauche, elle s’interrogeait sur les causes, pas sur les conséquences. Qu’elle était du côté du peuple... Vous me la copierez !
Or donc, si vous n’êtes pas de son côté, que vous ne le comprenez pas, c’est que vous ne le connaissez pas. Vous ne le vivez pas. Vous en êtes à des milles et des milles.
Des années-lumière.
Lâchez votre bureau, et venez donc marner avec nous. Vous cogner notre quotidien. Vous allez voir comme c’est du gratiné. Du copieux. Du velu. Pas de la tarte… S’il vous reste quelque chose, dans le ventre, dans le cœur, ça va vous défriser... Tous ces jours à courir. Pour rien... Et le lendemain, rebelote. Et tous les autres jours... Et les discours, ceusses des politiques, ces rengaines, toujours les mêmes, depuis des années et des années, boniments sur boniments, peut-être alors, que vous en aurez comme des haut-le-cœur. Une envie de tout faire péter. De tout envoyer valser. Jusqu’à la République.
Vos théories, vos clichés, vos idées toutes faites, bien formatées, à la Minc, à la Attali, à la BHL, ceux qui comme vous ne vivent pas, ne sortent pas, n’hument pas, sinon depuis leur chez eux, confortables, aisés, faciles, elles vont s’écrouler, et recta.
Oui, alors, peut-être, vous comprendrez… Je dis bien, peut-être, tant c’est même pas sûr. Tellement vous avez du retard. Des lacunes ça comme.
Je vous entends Joffrin, Fourest, vous allez me dire : « Je ne vous permets de dire ça ».
Ainsi que vous l’avez balancé à Marine Le Pen.
Celle pour qui le peuple, celui pour qui c’est marre, va voter, ou est tenté de le faire. Et d’autant plus après vous avoir vus la travailler, et si mal, jeudi soir, le 23 de ce mois, sur France Télévisions...
... Comme vous avez été pitoyables. A côté... Et même – c’est un comble, pour qui veut dénoncer la haine – haineux !
Mais c’était couru quand on vit comme vous, loin de tout, loin du peuple, et de toute réalité.
Quand la souffrance, la solitude, le désespoir, on n’a pas un gramme d’idée de ce que c’est, de ce que ça fait.
Il a raison, et comment, Pascal Boniface ; vos arguments, Madame Fourest, étaient « mal construits », « anecdotiques », « calomnieux », « inefficaces ».
C’était déjà le cas face à Tariq Ramadam, où – pardonnez-moi – vous ne faisiez pas le poids. Tellement scolaire, vous êtes. Limitée, pour être clair.
Il avait raison, Paul Villach ; vous n’avez, Monsieur Joffrin, en bout de course, que l’injure à la bouche, aveu d’impuissance…
Héritière, Marine Le Pen ? Sans doute.
Mais vous, de qui êtes-vous les héritiers ?
Sinon de la condescendance et de la suffisance.
Elle vit dans un château, Madame Le Pen ? Assurément.
Et vous ? Dans quelle forteresse paressez-vous ? Dans quelle tour d’ivoire ?
Auriez-vous, au passage, posé la même question à François Mitterrand, Jacques Chirac et consorts, vous qui saviez, paraît-il, et n’en avez rien dit. Jamais.
Une dynastie, les Le Pen ? Certes.
Et vous ? Quelle est la votre ? Si ce n’est celle du déni. De la connivence... Nouveaux Chiens De Garde. De l’oligarchie. De l’ordre établi. D’une élite qui méprise le peuple.
Ah ! Vous n’êtes ni des Camus, ni des Foucault, pas même des Sartre ! Ah, ça non. Bourdieu s’est crevé la couenne pour des nèfles. Badiou itou. Et Halimi. Et tant d’autres. Vous n’êtes pas ce de côté-là... C’est un choix. Il ressemble à une erreur. Grossière. Considérable… Mais c’est votre choix. Votre erreur.
Or l’heure, celle des comptes, va bientôt tintinnabuler. Vous y serez pour beaucoup. Vous y aurez tant contribué, faut dire. A creuser le fossé, un abîme désormais, entre vous et le peuple.
Vous et vos amis du Siècle, des Prix qu’on se refile (il faut vous voir, dans les Salons du Livre, cul et chemise, à bâfrer avec les politiques, et ne dites pas non, je vous y ai vus !), des services qu’on se rend, et allez donc !
La déontologie, c’est pas ce qui vous étouffe.
Non plus.
Ne vous méprenez pas. Je suis têtu. Obstiné. Je reste à gauche de la gauche. Malgré la colère, celle qui m’habite, cette envie de tout envoyer valdinguer, Marine Le Pen n’aura pas ma voix. Jamais... Malgré le cocufiage grand format. Permanent. Tout ce qu’on nous a fait... Et ce PS de notables, de barons. Ce PS qui nous a trahis, abandonnés. Et qui continue, comme si de rien n’était... Ce PS, Joffrin, dont vous vous vantez de l’avoir converti au capitalisme via Libération [2]... Ne vous étonnez donc pas que Marine Le Pen, alors, occupât le terrain. Que vous avez laissé. Ou vendu.
Oh, bien sûr, Marine Le Pen prenant le parti des ouvriers, des fonctionnaires, des chômeurs, des laissés-pour-compte, de tous ceux qui trimardent et en bavent, et depuis lustres, de tous ceux qu’on a blousés, c’est de l’entourloupe au carré, un coup de bonneteau, énorme ; je vous l’accorde.
Mais à qui la faute ? Je vous le demande…
Alors poursuivez, sur ce terrain ! Celui du mépris, de la méconnaissance.
Ne travaillez surtout pas, bien calfeutrés dans vos bureaux.
Pondez des livres sur la Marine qui sont aussi profonds qu’un ouvrage d’Isabelle Giordano sur la Martine, aussi vide politiquement, et vous l’aurez, Marine Le Pen au second tour.
Voire plus que ça.
Continuez à ne rien comprendre, à vivre hors de nous, à théoriser, clichés, formatés que vous êtes, héritiers des Minc, Attali, BHL et tutti.
Et vous l’aurez, oui, l’héritière, au second tour.
Et après ? Hein ? Vous ferez quoi ?
Vous bannirez le peuple ?
Vous lui ferez la leçon, la morale ?
Mais : à quel titre ? Au nom de qui ?
De quoi ?
Vous qui préférez tutoyer le puissant, et mépriser le peuple, vous n’avez aucune leçon à nous donner.
Tant ce qui pourrait survenir l’an prochain (ou dans cinq ans) vous en serez en grande partie, responsables.
Et comment !
[1] Extraits de l’ouvrage intitulé Les Nouveaux Chiens De Garde, signé Serge Halimi :
- A propos du Siècle.
Chaque mois, Le Siècle se réunit. Franz-Olivier Giesbert en est membre.
Il s'agit, précise-t-il, d' « un club très sérieux, qui mêle hauts fonctionnaires, hommes d'affaires, journalistes. Très utile pour faire des rencontres, obtenir des informations ».
En 1988, le transfert de Giesbert du Nouvel Observateur au Figaro se serait joué lors d'un des dîners du club. Tout comme, plus récemment, l'irruption d'Édouard de Rothschild dans le capital de Libération, négociée à table entre Serge July et le banquier. Pour appartenir au Siècle, il faut être coopté par deux parrains, obtenir l'appui de deux tiers des membres du conseil et acquitter une cotisation annuelle de 150 euros. Le dîner (62 euros) permet, selon Michèle Cotta, nouvelle icône des apprentis-journalistes de Sciences-Po, de « rencontrer des personnalités influentes dans tous les domaines ». Quelque six cents membres composent « le plus prestigieux des cercles de décideurs hexagonaux », au nombre desquels on retrouve les habituels Maurice Lévy (Publicis), Patrick Poivre d'Arvor, Jack Lang, Nicolas Sarkozy, David Pujadas, Thierry Breton, Christine Ockrent, Dominique Strauss-Kahn, Ernest-Antoine Seillière et Laurent Joffrin.
- A propos de la cooptation, des services rendus, de la connivence, etc.
Qu’on dirait, pour reprendre le terme de Marine Le Pen : une caste.
Laurent Joffrin (…) – qui tutoie Sarkozy – est tout aussi sensible aux flatteries que ses subordonnés lui servent. Il fut « en hausse » en 2001 : « Laurent Joffrin, directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, a reçu le prix du Mémorial prix littéraire décerné par la ville d'Ajaccio, pour son ouvrage Les Batailles de Napoléon paru aux Éditions du Seuil »… Et encore « en hausse » l'année suivante : « Laurent Joffrin a reçu le prix du Livre politique 2002 [...], décerné au directeur de la rédaction du Nouvel Observateur par un jury présidé par Blandine Kriegel* ».
* En 2004, les membres du jury étaient : Jean-Michel Blier (France Info), Gérard Courtois (Le Monde), Jean-Michel Helvig (Libération), Anita Hausser (LCI), Catherine Pégard (Le Point), Arlette Chabot, Michèle Cotta, Jean-Pierre Elkabbach, Bernard Guetta, Laurent Joffrin…
[2] Encore un passage tiré de ce livre indispensable, Les Nouveaux Chien De Garde de Serge Halimi.
Plutôt fier de lui, Laurent Joffrin, chef du service économique de Libération pendant les années 1980, confia des années plus tard que le quotidien créé par Jean-Paul Sartre avait atteint un objectif que son fondateur n'eût peut-être pas recherché : « On a été les instruments de la victoire du capitalisme dans la gauche » (Laurent Joffrin, France 2, 2 juin 1993). Comment avait-il accompli un tel exploit ? « Le service économique était stratégique car on injectait du libéralisme. Nous étions l'aile moderniste, "tapiste" disaient les méchants... On trouvait que Serge July n'allait pas assez vite, mais c'était utile pour lui d'avoir une droite. » (Cité par Yves Roucaute, Splendeurs et misères des journalistes, Paris, Calmann-Lévy, 1991, p. 187.). Tant de talent éblouit...
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