Lettres sarkosiennes, an I : Mai
Rupture. Un pays, ou à tout le moins son chef, qui se donne pour devise une telle formule, mérite bien un billet. Qu’il me soit permis d’en faire une chronique, qui ne sera ni objective ni exhaustive, mais simplement l’expression d’un candide observateur.

Mai.
Cette période fut si riche en évènements que l’on me pardonnera, je l’espère, d’omettre bien des faits importants.
C’est au cours de ce mois de mai 2007 que le peuple français s’est donné un nouveau chef, en la personne d’un certain Nicolas Sarkozy. Après un mois d’avril inhabituellement tropical, échauffé par ce que l’on appelle ici une « campagne électorale », c’est donc au courant de ce mois de mai, celui-ci pour la saison plutôt frais (certains parlèrent de douche froide), que ce nouveau « président » fut élu. Étrange coutume d’ailleurs que les habitants de ce pays perpétuent à intervalles plus ou moins réguliers. Qu’on en juge plutôt : ce peuple, qui se vante d’avoir tranché la tête à l’un de ses derniers rois, se choisit toujours pour président, peut-être par nostalgie, le plus monarchique de ses candidats. Mieux, il a cette fois-ci, et ce tout à fait librement semble-t-il, désigné celui qui clamait ouvertement vouloir rassembler en ses mains l’ensemble des pouvoirs. Plutôt que « président », sans doute aurait-il fallu nommer « décidant » celui qui possède bien plus de pouvoir qu’aucun de ses homologues du continent. Mais il est vrai que ce peuple français aime à pratiquer la métaphore, comme on le verra tantôt.
De cette élection, que faut-il retenir ? Qu’elle a suscité un regain d’intérêt pour la chose politique, dans ce pays où les citoyens s’étaient peu à peu résignés à une confortable indifférence. Que cet intérêt n’était certes guère lié aux programmes des candidats (même s’ils semblent toujours surpris que ceux-ci, une fois élus, ne tiennent pas une promesse sur dix, les électeurs ont néanmoins appris à ne point trop se fier à la parole de leurs représentants, dont le projet n’intéresse de tout façon nullement ce que ce pays tient pour presse d’information), mais bien plutôt à la personnalité des favoris. Que face au favori du parti conservateur, qui fut élu comme prévu, l’opposition dite « de gauche » avait présenté, manœuvre téméraire chez ce peuple latin, une candidate. Mais que pour rassurer aussitôt l’électeur, celle-ci (qui, on en mesurera l’ingéniosité, avait pour nom l’adjectif d’une royauté toujours admirée), s’empressa de défendre des mesures plus conservatrices que son opposant. Que le duel annoncé entre ces deux candidats, attendu, mis en scène selon un savant scénario par ce que l’on nomme ici les médias (principaux pourvoyeurs de l’information au peuple, à l’exception d’un nouvel instrument dénommé « internet », sur lequel j’aurai sans doute l’occasion de revenir), fut un temps troublé par un obscur paysan-professeur béarnais, qui, se prenant pour un ancien monarque navarrais, prétendait ramener de la raison et de la civilité dans l’exercice du pouvoir (ces mêmes médias, fort puissants ici-bas, eurent tôt fait de renvoyer ce naïf à son pays d’origine). Que le candidat du parti nationaliste, qui avait créé la surprise lors de l’élection précédente, et entendait fort faire fructifier son capital électoral afin d’établir une dynastie politique héréditaire, se retrouva dépossédé de ses idées, de son discours, et finalement de ses électeurs par un candidat conservateur plus habile que lui.
Ce mois de mai commençait donc par ce qui s’appelle « l’entre-deux-tours », période confuse où les deux candidats finalistes pratiquent un étrange rituel, qui consiste à s’affronter lors d’une joute oratoire que chacun peut suivre jusque dans son salon, par la grâce de la technologie moderne. Parce que tout spectacle se doit de réserver une surprise, nos deux acteurs avaient décidé de jouer à contre-emploi, ce qui ne manqua pas de déconcerter quelques observateurs, mais le résultat final, prédit depuis fort longtemps, n’en fut point modifié, au grand soulagement de tous ceux qui avaient parié leur fortune sur la victoire de leur prince.
A l’élection du chef s’ensuivit une brève période d’interrègne, durant laquelle on laisse le temps à l’ancien président-monarque de mettre en ordre ses affaires et de trouver un nouveau logement (il est d’usage ici que l’on attribue un palais au président, comme les rois en disposent dans d’autres contrées), avant que le nouvel élu ne s’empare effectivement du pouvoir. Ce dernier, aussitôt désigné, s’empressa de faire ce qu’il avait promis, et s’en alla faire retraite afin de méditer sur la charge qui était désormais la sienne. Que cette retraite se passe à bord d’un luxueux bâtiment, au frais d’un riche marchand, nul ne s’en offusqua. Il est vrai qu’ayant promis de beaucoup baisser les charges et autres taxes qui accablent les plus riches, il ne paraissait point inconvenant que l’ami des puissants s’en trouve ainsi récompensé par un petit acompte. Quant à l’ancien président, ayant tant donné à son pays durant les douze années de son règne (il déclara ainsi s’être appauvri au cours de cet intervalle), il se trouvait si dépourvu qu’il s’en alla quérir un toit auprès de ses amis. Fort heureusement, il se trouva une âme charitable, qui consentit (mais de façon néanmoins temporaire) à lui prêter un modeste logement en la capitale. L’on s’étonnera donc bien que de si nombreux volontaires soient ici candidats à la fonction suprême, tant celle-ci semble demander au malheureux élu. Bienheureux donc est ce peuple qui suscite en son sein tant de dévouement de la part de ses dirigeants.
Une fois officiellement adoubé, le nouveau président se doit de suivre les indications de ce que l’on appelle ici la Constitution. Il s’agit d’une sorte de manuel à l’usage du gouvernant, qui explique avec moult détails le rôle de chacune des parties. Dans ce pays bien construit, le président nomme un Premier ministre, qui lui-même choisit les ministres de son gouvernement (d’où son autre nom de « chef du gouvernement »), comme cela se déroule en la plupart des pays. Mais comme l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, ce président-ci décida, fort généreusement, de décharger de ce fardeau son Premier ministre en nommant lui-même ses ministres. Puis, afin de s’assurer que ceux-ci ne divergeraient point de ses instructions, s’avisa-t-il de nommer aussi leur directeur de cabinet. Gageant que cela ne serait peut-être pas suffisant, car l’on sait combien le pouvoir fait tourner les têtes, il préféra aussi nommer à son service autant de conseillers que de ministres, chargés de transmettre ses directives à ces directeurs de cabinets, eux-mêmes chargés d’en informer leur ministre. Sans doute un conseiller un peu plus sage lui suggéra-t-il que cela risquait de devenir un peu pesant, car il décida finalement qu’il parlerait et déciderait à la place de ses ministres chaque fois qu’il lui semblerait nécessaire, ce que chacun trouva fort judicieux.
La composition d’un premier gouvernement est souvent scrutée par le peuple avec attention, qui se demande toujours à quelle aune il sera gouverné. A cette occasion, le nouveau président de ce pays démontra son immense habilité. Reprenant à son compte une idée de son (malheureux) opposant béarnais, qu’il avait vilipendé en son temps, mais qui avait semblé plaire au citoyen ordinaire, il s’empressa de débaucher, pour s’en faire des ministres, parmi ses plus farouches opposants ceux qu’un titre pouvait corrompre, non sans avoir ôté préalablement à la fonction tout pouvoir effectif. Par cette habile manœuvre qu’il nomma « ouverture », il décapita pour un temps toute opposition, en s’attirant les louanges de la foule qui n’y vit juste là que bienveillante intention. A cela s’ajoutait une quasi-parité, quelques minorités, des intérêts respectés, et le tour était joué. Le peuple était content, la presse enjouée, et le pouvoir paré à l’élection du Parlement.
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